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Arthur : la légende au service de la politique au XIIe siècle, par Yannick LECERF

de Yannick LECERF
Publié le Dernière mise à jour le

Nous avons le plaisir de vous proposer une contribution de Yannick LECERF à propos du Roi Arthur, entre légende et Histoire.
Second volet : la politique.
Yannick LECERF est préhistorien, archéologue et chercheur au CNRS.

Le contexte politique du XI° au début du XII° siècle.

Dirigée par Guillaume le Conquérant durant son règne (1066-1087), l’Angleterre s’applique à son unification et son expansion. Au cours des treize années de la succession, Guillaume Le Roux poursuit la même politique que son père. Henri I° Beauclerc (fils cadet de Guillaume le Conquérant) accède au trône en 1100. Durant ses trente cinq années de pouvoir, il s’appliquera à la stabilisation de son royaume. Ce grand souverain aura deux épouses : Mathilde d’Écosse et Adélaïde de Louvain. Trois enfants naîtront de la première union. Dont deux fils décédés en 1120 et une fille Mathilde. Au terme de ces années de gouvernance, âgé et de santé déclinante, le monarque entreprend d’organiser sa succession.

Ayant eu un grand nombre de maîtresses et concubines, ce Roi a reconnu trente cinq enfants adultérins.

Grand seigneur, il assurera leur vie par des positions et des titres en leur octroyant une place dans la noblesse d’Angleterre.
N’ayant plus de fils légitime comme héritier, un réel problème se pose alors dans une Angleterre médiévale ou seuls les hommes peuvent régner. Soucieux de l’avenir de sa fille Mathilde, il décide alors d’organiser sa succession.

Pour cela il convoque ses grands barons à une réunion plénière. Brossant un rapide bilan de son règne, il demande à tous les nobles présents de prêter serment d’allégeance à Mathilde et de la soutenir sans réserve pour être reconnue comme ’’Empeuresse’’. Puis comme justification à sa décision, il commande à Geoffroy de Monmouth la rédaction d’une généalogie des Rois d’Angleterre.

Geoffroy de Monmouth (1095- 1155).

Évêque, chroniqueur, historien au service de Henri I° va donc écrire, selon les directives royales, l’Histoire des Dynasties d’Albion. Les douze volumes sous le titre Historia Regum Brittaniae paraîtront avant l’année 1135. Cette imposante compilation, parfois très en marge des réalités historiques, sera suivie deux rédactions complémentaires. D’abord Prophétia Merlini ou les Prophéties de Merlin. Puis de Vita Merlini ou la vie de Merlin.

Lorsque Henri I° Beauclerc meurt en 1135, ses funérailles à peine achevées, la plupart des grands barons du Royaume s’oppose à l’avènement de Mathilde. Reniant leur serment, il leur apparaît inconcevable d’accepter un pouvoir féminin. Alors très vite, dans un climat d’affrontements et de fortes rivalités, des prétendants, assez inattendus, se présentent. Ainsi le Comte Robert de Gloucester. Fils aîné adultérin du feu Roi, vient s’inscrire dans la course au pouvoir. Parmi ses atouts, outre sa filiation naturelle, il fait savoir que l’un des deux romans de la plume de Geoffroy de Monmouth lui est dédié.

Loin de rallier les barons récalcitrants, cette candidature ne reçoit que très peu de soutien.

Alors les barons se tournent vers Etienne de Blois (petit fils de Guillaume le Conquérant). Celui-ci, sous l’insistance des solliciteurs, acceptera de porter la couronne d’Angleterre en 1135.

Hélas, très vite il se révèlera un piètre souverain. Ses hésitations et faiblesses n’arriveront pas à réduire les conflits d’antichambres du pouvoir. De sa prise de pouvoir jusqu’à son décès c’est une longue période d’instabilité (dix neuf ans ans) qui se développe dans le pays. Connue sous l’appellation de l’Anarchie, cette séquence de l’Histoire de l’Angleterre laissera quelques traces et difficultés pour ses successeurs.

Certains historiens chercheurs supposent que l’un des deux écrits sur Merlin produits par Geoffroy de Monmouth aurait été commandé par Étienne d’Angleterre dans le but d’affermir sa gouvernance.

Miné par la maladie, Étienne d’Angleterre meurt en 1154.

L’espoir renaît chez le Comte de Gloucester qui de nouveau tente d’accéder au pouvoir. Mais devant la venue d’un prétendant plus légitime : le Comte Henri d’Anjou, Gloucester, fils bâtard d’Henri I°, s’efface très vite pour se ranger sous la bannière de ce nouveau concurrent, porté par une large majorité des barons.
En l’An 1154, le Comte d’Anjou est couronné sous le nom d’Henri II Plantagenêt.
A la tête d’un puissant royaume auquel se joignent des provinces amies sinon soumises, comme la Normandie, l’Aquitaine, l’Anjou et la Bretagne, ce souverain aura de nombreuses difficultés avec son petit voisin Louis VII, Roi de France.

Bien que régnant sur un territoire réduit à son minimum, Louis VII ainsi que son successeur Philippe Auguste, apparaîtront comme les grands rivaux de l’Angleterre.

Cet antagonisme de caractère commercial et territorial se trouvera exacerbé par la rivalité de deux hommes autour d’une femme. En effet, en 1152, après avoir fait annuler son mariage (1137) avec Louis VII, à peine l’annulation prononcée par le Pape, Aliénor d’Aquitaine épouse le Comte Henri d’Anjou.

La fuite d’Aliénor d’Aquitaine, qui avait déjà trois enfants avec le Roi de France, est vécue comme une trahison.
Par ailleurs, il faut comprendre que par son union avec Henri devenu Roi d’Angleterre, le royaume agrandit considérablement ses possessions territoriales en recevant l’Aquitaine. On comprend alors les nombreux motifs des rivalités qui opposent ces deux souverains.

Cependant, malgré ses faiblesses, Louis VII, roi de France, se réfère dans tous ses actes à l’ascendance prestigieuse héritée de Charlemagne. Se voulant l’égal de son voisin, Henri II de Plantagenêt va commander à Robert Wace le complément des écrits imaginés par Geoffroy de Monmouth.

Robert Wace (1100 – 1178 ou 1183) est un poète normand né à Jersey.

Il va donc, sur cette commande, compléter la généalogie première des dynasties anglaises. Puis rédiger deux romans : Le Roman de Brut et Le Roman de Rou. Ces documents suffiront au monarque anglais pour se hisser au niveau des Rois de France (Louis VII et Philippe Auguste).
Puis intervient un troisième personnage, sans doute le plus connu : Chrétien de Troyes.

Chrétien de Troyes (1130 – 1190) est un érudit, écrivain et clerc, éduqué dans un monastère de Champagne.

S’étant écarté de la vie monastique, ce lettré, au service du Comte de Flandre, est mis à disposition du Comte de Champagne pour venir compléter la saga arthurienne.

On peut à priori être surpris de voir s’immiscer dans le conflit entre les deux souverains des acteurs apparemment éloignés des préoccupations territoriales, économiques et privés à l’origine des rivalités du moment. Cependant, à y regarder de plus près on découvre que l’épouse du jeune Comte de Champagne est Marie d’Aquitaine. Mariée à l’âge de dix neuf ans avec le jeune comte de Champagne qui n’en avait que treize, Marie est la fille d’Aliénor et de Louis VII. En se rangeant au parti de sa mère et de son beau-père, elle s’écarte des visées expansionnistes du Roi de France (son père). Par ailleurs le jeune Comte de Champagne, très épris de son épouse, lui laisse diriger la commande faite à Chrétien de Troyes.

Très productif, le nouvel intervenant va rédiger une suite de récits chevaleresques invraisemblables, mais parfaitement dans la mode du temps.

Ainsi pourra-t-on lire : Erec et Enéide ; Lancelot du Lac ou le chevalier à la charrette ; Yvain ou le chevalier au lion ; Perceval ou les Contes du GRAAL ; Mordred ; etc.

Un quatrième et dernier auteur viendra compléter les romans arthuriens, il s’agit de Robert de Boron (ou Borron). Ce dernier est un clerc, très probablement Chevalier de Boron, originaire de Franche-Comté. Ayant vécu de la fin du XII° siècle au début du XIII° siècle, Robert de Boron, par son œuvre traitée en vers autour de l’histoire du GRAAL, marque une évolution du mythe arthurien. A ce moment de l’Histoire il faut satisfaire aux grandes réformes grégoriennes lancées au cours du XI°s. par le Pape Grégoire VII. Reprenant les écrits de ses prédécesseurs, ce dernier auteur apporte une très présente christianisation dans la légende.

Avoir choisi Arthur comme personnage central de cette longue saga n’est pas le simple fruit du hasard.

Si on peut parfaitement imaginer que la narration s’attache à montrer un Roi soucieux de créer un grand royaume de Concorde, ses auteurs ont pu s’inspirer du grand Brian Boru. Ce roi irlandais, qui dans la seconde moitié du X° siècle guerroie pour rassembler tous les clans opposés, apparaît comme un bel exemple. Par ailleurs, un autre grand Roi combattant du nom d’Arthur est cité dans les légendes du IX° siècle.

Plus tard, comme pour assurer à son fils né en 1187 la meilleure position à l’accès au trône d’Angleterre, la Duchesse Constance de Bretagne, jeune veuve de Geoffroy de Plantagenet, nommera leur enfant du nom d’Arthur. Ainsi ce petit fils de Henri II aurait pu succéder à Richard Cœur de Lion si Jean Sans Terre, soucieux d’accaparer le pouvoir ne l’avait assassiné de ses propres mains dans son château de Rouen en 1203.

Dans les séquences historiques suivantes, le mythe d’Arthur sera utilisé pour justifier quelques décisions ou intentions royales anglaises.

Comme exemple on pourrait citer le marché de dupe proposé lors de la troisième croisade (1190) par Richard Cœur de Lion au roi des normands de Sicile Tancrède de Lecce. Richard Cœur de Lion aurait offert au roi Tancrède l’épée Excalibur contre l’assurance de la mise à disposition de ses nefs, utiles au transport de l’ost des croisés vers la Palestine.

Au début du XVIII° siècle Guillaume d’Orange s’appuyait sur cette légende afin de justifier l’Édit Royal, créateur du Royaume Uni. Ainsi parmi les autres arguments avancés pour annexer l’Écosse et soumettre l’Irlande, le mythe arthurien continuait sa propagation qui déborderait très vite au-delà du Royaume d’Angleterre.

Si la localisation du mythe arthurien semble aujourd’hui liée à la forêt de Brocéliande en Bretagne armoricaine …

… ce fait très rarement évoqué vers la fin du Moyen Âge apparaît clairement affirmé au cours du XVIII° siècle. Particulièrement par l’arrivée des émigrés jacobites fuyant le Royaume Uni et l’Irlande. Son installation dans le décor de la forêt de Paimpont est en grande partie due à l’abbé Henri Gillard (1901-1979). Recteur de la petite paroisse de Tréhorenteuc (56), l’abbé Gillard, passionné de la légende arthurienne, restaure la petite église paroissiale en la décorant de peintures où se mêlent la foi chrétienne, le celtisme et l’histoire du Graal.

Dans un contexte de déclin du monde rural, il donne un nouveau souffle à l’ensemble du territoire de la forêt de Paimpont. Surtout en présentant les sites archéologiques et cet environnement particulier comme le berceau des légendes de la Table Ronde. Par l’organisation des visites, des séminaires, par de nombreuses publications, le mythe vient rapidement renforcer des convictions aux fondements bien fragiles de quelques celtisants. Aujourd’hui battues en brèche par l’afflux des données archéologiques, ces affirmations sont à joindre aux convictions et données improbables avancées comme preuves de la réalité d’une présence celtique sur la péninsule armoricaine.

L’exploration de cette séquence de l’Histoire permet également de constater l’importance du rôle joué par la Duchesse Constance de Bretagne.

Ce personnage mal connu a beaucoup œuvré pour l’indépendance de son Comté. Dès son mariage avec Geoffroy fils d’Henri II de Plantagenet, les deux époux n’ont pas hésité à s’opposer au Roi d’Angleterre pour imposer l’indépendance de leur territoire. Sans avoir prêté un hommage lige à la France, la Duchesse Constance, devenue très vite veuve, entretient des relations commerciales avec les deux royaumes voisins sans se soumettre. Par ses mariages successifs avec Ranulph de Blondeville (1188) et Guy de Thouars (1199), elle garde la Bretagne en dehors des conflits qui opposeront Henri II Plantagenet et Philippe Auguste.

Ainsi, comme on peut le lire ici, les légendes n’ont pas nécessairement besoin d’une trame de réalité pour se substituer à travers le temps. Et même si elles génèrent des convictions sans aucune autre démonstration que leur certitude, restons cependant attentifs à garder ces beaux contes car avec l’Histoire ils sont les bases de notre identité bretonne. La crédibilité de cette forte identité régionale ne doit pas être réduite par un excès de folklorisme.

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1 commentaire

Pierre 12 avril 2022 - 12h14

Un article intéressant, un sujet bien exposé, mais ne faudrait-il pas avoir l’honnêteté de considérer tout ceci comme des hypothèses, si ce n’est de jolies légendes ?

Dans un autre article, l’auteur n’oublie pas de preciser  » Quelque soit la discipline concernée, la recherche ne peut pas se limiter à servir des convictions. Gardons nous de nous laisser berner par le merveilleux et les idées simplistes. Acceptons de reconnaître l’absence de certitude. La réalité, même si elle n’est celle que d’un moment, peut aussi être aussi belle que les rêves. »

Sur toute cette période du Moyen Âge , bien peu d’éléments nous permettent de reconstituer cette histoire. Ayons alors aussi l’honnêteté de la laisser au domaine des légendes.

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