être nationaliste

Comment peut-on être nationaliste ? Réponse à Bern MOREL

de Jean Pierre LE MAT
Publié le Dernière mise à jour le

L’article de Bern Morel, paru le 6 mars 2021 dans NHU Bretagne et intitulé « Être autonomiste, c’est quoi au juste ?  » est intéressant à plus d’un titre.

Avouons-le : nous ne savons plus ce qu’est un militant breton. Ni ce que signifient des mots que nous utilisons mécaniquement : nation, nationaliste, régionaliste, autonomiste, indépendantiste.

Le monde a changé et il est urgent que ceux qui seraient aptes à construire une pensée bretonne moderne se mettent au travail. Le dernier ouvrage de référence des militants, « Comment peut-on être Breton ? » de Morvan Lebesque, a été publié il y a plus de cinquante ans et nous devons piocher dans des penseurs d’autres cultures, quitte à les singer bêtement.

Merci donc à Bern MOREL d’initier une réflexion bretonne originale, à la fois sur les mots et sur les concepts que nous utilisons. Les mots et les concepts, nous ne les maîtrisons pas forcément, ce qui explique en partie notre difficulté à être crédible.

Ma réponse ne doit pas être vue comme une réfutation, mais comme un dialogue autour d’un bâtiment à construire.

Bern MOREL établit une alternative entre autonomiste et nationaliste, à partir du point de vue autonomiste. Je vais présenter le point de vue nationaliste. Du moins ce que peut être le nationalisme breton d’aujourd’hui. Je le répète, mon objectif n’est pas de contester, mais d’apporter des éléments à une construction collective nécessaire.

Revenons d’abord sur l’origine du nationalisme. La nation est un vieux concept, disons un objet sociologique. Les philosophes des Lumières en ont fait un objet politique. Dans leur sillage, les révolutionnaires en ont fait une revendication. Pour Montesquieu, la nation est « l’esprit des lois ». C’est elle qui doit inspirer la façon d’organiser la société et c’est elle qui lui assigne un horizon.

La Déclaration des droits de l’homme de 1789 proclame dans son article 3 …

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». Le mot « nationalisme » date de cette époque-là. On peut relier la démocratie à la nation par l’équation suivante : Démocratie = nation + souveraineté.
Le nationalisme classique, en revendiquant la souveraineté d’un peuple sur son territoire, s’inscrit dans la pensée démocratique des Lumières.

Tout cela est bien joli, mais entre l’idée pure et sa mise en application, il y a un fossé. Pour assurer la souveraineté, les nationalistes ont créé ou renforcé des institutions, qui se sont concentrées dans des États. Bref, on est passé du nationalisme à l’étatisme.

Bern MOREL a tout à fait raison de remarquer qu’avec la construction européenne, on n’est plus dans le paradigme des Lumières.
La souveraineté y est partagée. La subsidiarité ne se préoccupe des nations que pour les affaires culturelles, éducatives ou identitaires. Le reste dépend du niveau le plus pertinent, qui peut être local, régional, étatique ou international selon les problèmes rencontrés. Comment, dans ces conditions, peut-on être nationaliste ?

A la différence de Bern MOREL, je ne poserai pas l’alternative nationalisme vs autonomisme. L’autonomie est pour moi une solution politique comme la régionalisation, l’indépendance ou la confédération. Je distingue les quatre solutions à partir de deux critères. Le premier est le rapport hiérarchique (ou non) par rapport au pouvoir de référence, France ou Europe. Je le note H+ ou H-. Le second est la spécificité (ou non) de législation et de fonctionnement par rapport aux autres « régions » ou territoires associés. Je le note S+ ou S-.

Régionalisation : H+, S- (non souveraineté, statut commun)
Autonomie : H+, S+ (non souveraineté, statut particulier)
Confédération : H-, S- (souveraineté, statut commun)
Indépendance : H-, S+ (souveraineté, statut particulier)

A la différence des quatre notions précédentes, le nationalisme n’est pas une solution politique …

Mais une façon d’envisager la cohésion sociale et le vivre-ensemble.
L’alternative que je poserais au nationalisme est le rationalisme. Vous allez dire : c’est mesquin de cliver pour une petite lettre de différence !
Eh bien oui. Le rationalisme, le règne de la Raison, c’est la cohésion et le vivre-ensemble conçus à partir d’abstractions qui se veulent universelles. Ce peut être les droits de l’homme des Occidentaux, l’amour du prochain qu’enseignent les Chrétiens, la lutte de classe des communistes, la Pax Americana de l’empire américain. Le rationaliste est un missionnaire sûr de lui. Il détient une grande vérité valable en tous temps et en tous lieux.

Le rationalisme peut se décliner de plusieurs manières.

Ce peut être l’universalisme, qui est la manière douce ; ce peut aussi être l’impérialisme, qui est la manière forte.
Je suis nationaliste breton. Ma référence n’est pas une vérité universelle, mais un objet particulier, qui a sans doute vocation à évoluer, mais non pas à s’étendre. Je ne souhaite pas convertir, mais vivre en harmonie avec mes voisins et les autres nations du monde. Et suis donc contraint à la tolérance et à l’intelligence relationnelle. Je ne me réfère à aucun idéal abstrait. Pour moi, le nationalisme est un humanisme sans universalisme. Ou plutôt, pour éviter les « …ismes », une aventure humaine sans prétention à être un modèle ou à en suivre un.

Aujourd’hui, c’est vrai, la défense de la nation bretonne ne passe pas seulement par les nationalistes.

Elle peut se faire aussi au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du droit des minorités, des droits de l’homme. Bref de valeurs universelles. Le nationaliste et l’universaliste peuvent travailler ensemble. Pour cela, ils doivent se répartir les travaux sur le chantier. Quand je parle de défense, mon idée n’est pas de faire de la Bretagne un pays bien clôturé. C’est de permettre à mes compatriotes de s’épanouir, sachant que, comme pour tout être vivant, il existe des métissages, des cycles et des mutations.

Le choix de la nationalité, question que soulève Bern Morel dans son article, me semble une revendication très adaptée à notre temps. C’est la distinction, devenue nécessaire, entre les communautés nationales et les institutions étatiques. Les institutions centrales peuvent délivrer un certificat de citoyenneté, mais ce n’est pas à elles de définir notre identité.

Donc pour conclure.

Pour faire entrer la revendication bretonne dans le XXIe siècle, il est nécessaire de s’accorder sur les mots et sur les concepts. Ceci est d’autant plus urgent que l’État-nation, qui était le modèle de l’organisation politique jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, est bousculé par la construction européenne. Ainsi que par les GAFAM et le capitalisme cosmopolite, par la révolution numérique, par les pandémies, par les changements climatiques, par l’épuisement des ressources, par la fin des idéologies.
Les paradigmes changent, disons tous les cinq cent ans. Lors de la Renaissance, le duché de Bretagne n’a pas su se réinventer pour aborder les temps modernes. Anne de Bretagne représente la fin d’une époque. Mais personne ne représente la Bretagne d’après, si ce n’est peut-être les Bonnets rouges, près de deux cent ans après. Aujourd’hui, le défi est d’entrer de plain-pied dans la post-modernité.
A nous de réinventer le nationalisme breton et l’autonomisme.

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