pierres levées

Les architectures de pierres levées : mythes, fantasmes et réalités.

de Yannick LECERF
Publié le Dernière mise à jour le

Les menhirs sont souvent organisés en files où certains y cherchent des interprétations astronomiques. D’autres se perdent dans des fantasmes issus d’imaginations débridées. Pour ces files, simples ou associées de façon parfois complexe, ayant souffert du temps et des interventions humaines, leur juste lecture est longtemps restée un exercice incertain. Cependant, les avancées issues des dernières recherches archéologiques, viennent aujourd’hui entrebâiller la porte à une lecture raisonnée.

Leur présence, spécifique des cultures en cours de sédentarisation, se signale en différents points du monde.

Si les alignements de Carnac / Karnag bénéficient d’une belle renommée, de nombreux autres ensembles se remarquent un peu partout sur la péninsule bretonne. Parmi ceux-ci, il faut distinguer les quadrilatères et des hémicycles. Mais aussi des lignes croisées ou associées. Les récents travaux menés sur quelques grands ensembles proposent une approche renouvelée de l’interprétation de certaines de ces stupéfiantes constructions.

Sans définitivement écarter les propositions d’orientations astrales. D’autres paramètres plus tangibles s’invitent alors dans la réflexion. On constate aujourd’hui des implantations et des développements étroitement liés aux disponibilités géologiques du sous-sol. Ainsi les grands ensembles de la partie méridionale du Massif Armoricain s’appliquent à suivre la ligne est/ouest du synclinal sud. Pour le reste du territoire concerné, une large liberté apparaît comme une évidence. Comme autre point étonnant apparu lors des dernières études : les plus grands menhirs, les plus massifs, les plus hauts sont généralement les plus anciens.

Fallait-il alors en se référant aux seuls groupes de Carnac/Karnag s’enfermer dans des démonstrations et des affirmations axées sur le rythme solaire ?

Pourquoi omettre de citer la plus ancienne de ces lignes de stèles dressées selon un axe nord-sud près de la Table des Marchands en Locmariaquer / Lokmaria-Kaer ? A lui seul, cet exemple démontre que lorsque les hommes décident d’orienter leur construction, ils s’affranchissent alors des orientations astrales. N’est-il pas plus simple d’imaginer, pour les plus grands ensembles, que par intelligence et économie d’énergie, les constructeurs aient pris en compte des données géologiques facilitant leurs entreprises en réduisant l’ampleur du travail de manutention et de transport.

Lorsque le regard se porte sur l’ensemble du territoire breton, on constate de nombreux groupes de pierres levées à l’orientation totalement déconnectée des considérations astronomiques. Les files de Médréac / Mederieg (22), le groupe du Bois du Duc en Spézet / Speied, les restes de l’alignement de Kerfland en Plomeur / Ploveur (29), les demoiselles de Langon / Landegon, le Cordon des Druides en Landean (35,) la file du tombeau des Géants en Campénéac / Kempenieg ainsi que celles de Sainte Barbe en Plouharnel (56) et quelques autres encore s’écartent résolument des orientations est-ouest pour s’affranchir du substrat rocheux.

D’autres exemples de pierres levées plus complexes comme ceux de Lagatjar à Camaret/Kameled …

Également de Leuré et de Raguènes sur Crozon / Kraozon (29). Ou encore celui des landes de Bocadève en Saint Just/Sant Yust (35) par leur disposition en lignes croisées viennent encore compliquer le lien avec des références solaires. Cependant, ces propositions émises dès le début du XX° siècle par l’amiral H.B. Somerville, complétées plus tard par celles de G. Charrière en 1964, puis par les écrits du Dr P.A. Cariou dans les années 1970 méritent d’avoir entretenu l’intérêt pour ces mégalithes. Même si elles n’étaient là que pour conforter des convictions, les mesures et savants calculs du professeur A. Thom publiés en 1967 et 1971 ont oublié trop de paramètres pour garder aujourd’hui un quelconque crédit.

Les dernières interventions menées sur ces ensembles de pierres levées font apparaître des informations invitant à porter le regard au-delà des interprétations astrales et calendaires.

Pour exemple les données recueillies sur les alignements de Karnag révèlent comment au cours de siècles, des monolithes ont été déplacés de leur calage d’origine. Afin de disposer d’espaces utiles à la culture des pommes de terre, des petits agriculteurs locaux ont modifié l’organisation originelle ’’en poussant’’ certains menhirs. Les recherches documentaires et d’archives laissent apparaître des achats de mégalithes dans des carrières voisines au début du XXe siècle afin de combler quelques vides. Par ailleurs, les nombreuses interventions de destruction, organisées par le clergé depuis le Moyen Âge, sont venues perturber l’organisation de ces lieux voués à des cultes abhorrés.

A Monteneuf/Monteneg …

Les fouilles du site des Pierres Droites en Monteneuf / Monteneg (56) démontrent par une suite de datations C14 une évolution dans la construction, débutée vers 4 000 ans avant JC pour prendra fin 2 000 ans plus tard.

Ainsi, pour ces ensembles dont l’aménagement s’est effectué sur des séquences parfois étalées sur plus d’un millénaire, on peut parfaitement imaginer des motivations et des pratiques évolutives qui avec d’autres données doivent intervenir dans la réflexion développée autour de ces monuments encore à découvrir. Ceux qui avaient décidé et choisi les lieux des premiers levages de monolithes n’avaient aucune idée de la façon dont allait évoluer ces grand sites de pierres dressées. Et deux mille ans plus tard, les derniers intervenants sur ces mêmes sites avaient probablement oublié les motivations initiales justifiant ces constructions ?

Les cercles

Ces regroupements de pierres levées semblent résolument s’écarter de toute relation funéraire directe. Cependant, l’association du cromlech de l’îlot d’Er Lannic en Arzon / Arzhon-Rewiz (56) avec des petits coffres en pierre et des incinérations ne manque pas d’interroger sur la fonction du lieu. La fréquentation intense du Néolithique à l’Âge du Bronze de cet îlot participe à expliquer la promiscuité des diverses structures arrivées au fil du temps.
Ainsi, comme l’ensemble de Pen ar Lan en Ouessant / Enez Eusa étudié en 1988 à l’occasion d’une opération de fouilles et de restauration, les deux cercles d’Er Lannic se voient fréquemment proposés comme des observatoires astronomiques. Afin que cette proposition puisse valoir pour toutes les autres organisations de pierres levées, il est nécessaire de disposer de dates précises sur la période de constructions de ces ’’observatoires astronomiques’’.

Ce qui n’est pas le cas !

Je n’aborderai pas ici l’exemple du fameux groupe de Stonehenge (Angleterre). Ce site emblématique, dont l’interprétation est souvent galvaudée, sert tous les fantasmes. En omettant sans vergogne la réalité des données archéologiques on le voit attribué tantôt aux hommes du Néolithique, tantôt aux Celtes. Mais là encore les données scientifiques viennent sérieusement malmener ces affirmations. Il fera l’objet d’un prochain article.

Les quadrilatères.

Installés dans la phase finale de la séquence néolithique, débordant probablement sur les débuts de la métallurgie, des organisations aux formes quadrangulaires viennent s’ajouter à la série des autres architectures de pierres. Le quadrilatère du Manio, en Carnac / Karnag, le Jardin aux moines en Néant sur Yvel / Neant, ainsi que quelques autres structures de ce type gardent une part de leur mystère quant à une juste interprétation de leur fonction

Nos collègues archéologues allemands, ayant menés des études auprès de populations mérinas du sud de Madagascar et des communautés de Sumba dans îles de la Sonde en Indonésie, nous apportent des éléments intéressants sur les motivations de ces peuples encore engagés dans la construction ou dans l’utilisation de mégalithes semblables aux nôtres. Pour ces communautés ignorant l’écriture, les pierres levées marquent un événement important entretenu au fil des générations par la mémoire orale du clan.

Les allées couvertes et dolmens sont des sépultures familiales ou de groupes sociaux.

Par ailleurs, ces grandes constructions mégalithiques affirment la puissance du groupe constructeur.
Sans vouloir imposer ces données comme la raison du mégalithisme armoricain, il nous semble difficile de refuser de prendre en compte ces informations. Dans ses hypothèses, la lecture archéologique ne doit considérer que les données avérées. Quelque soit la discipline concernée, la recherche ne peut pas se limiter à servir des convictions. Gardons nous de nous laisser berner par le merveilleux et les idées simplistes. Acceptons de reconnaître l’absence de certitude. La réalité, même si elle n’est celle que d’un moment, peut aussi être aussi belle que les rêves.

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1 commentaire

Caradec 7 avril 2021 - 9h49

Intéressant , beaucoup de questions pour cette « civilisation » mégalithique qui s’est diffusée jusqu’au nord des Pays-Bas !

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