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Denez et les gwerzioù.
Certains musiciens ont le don de pouvoir maîtriser et mettre au service de leur art leur sensibilité et leurs émotions. Denez PRIGENT qui a fait siennes les côtes granitiques et les ciels changeants de Bretagne atteint un point culminant dans le superbe Stur an Avel et nous transporte avec élégance au sommet des nôtres.
L’univers musical particulier dans lequel les chants traditionnels bretons se confrontent aux musiques électroniques irrigue son dernier opus. Les instruments acoustiques des différentes cultures du monde se répondent pour nous offrir une géographie sonore tour à tour bouleversante, tragique, stimulante et enchanteresse. Il nous offre un voyage sensible en pays de celtitude qui permet aussi la rencontre intime, sa voix étant le fil d’or d’un chemin vers soi. Arrivés au port nous restons toujours dans la mélancolie de la gwerz dont le remède serait de réécouter inlassablement cet album beau à pleurer de larmes libératrices.
En 1999 à la présentation d’IRVI il était noté dans les Inrockuptibles que l’artiste attendait humblement de se laisser souffler à son tour par quelque haleine à la nature céleste.
Douze ans après cette inspiration est confirmée.
Angélo BRANDUARDI avait écrit en 2006 dans l’Avvenire qu’à « notre époque il semble que les musiciens « chamans » capables de communiquer avec le transcendant ne réussissent plus à élever l’âme. La leur et celle d’autrui ».
Denez PRIGENT le fait encore pour mettre la nôtre sur une verticale qui la transporte dans une montée vertigineuse, du visible à l’invisible.
Stur an Avel est un galion fantôme qui revient jeter son dévolu sur l’art sonore. Il nous communique là un souffle régénérateur en nous poussant « à ne pas capituler face aux vents contraires ».
Denez PRIGENT appréhende toujours son monde de proximité avec un côté novateur et une finesse que peu de chanteurs bretons ont expérimenté.
Sa musique est plus que le reflet d’une époque. C’est une onde où fusionnent des accents traditionnels et métissés, facteurs hypnotiques rassemblant les auditeurs en quête d’absolu. La musique de Denez racée et variée restitue la magie et la puissance de la nature bretonne, elle en dépasse le genre et touche à l’universalité. S’il apporte une pierre à l’édifice musical breton, c’est une pierre précieuse.
Nous pouvons néanmoins penser à l’écoute de ce disque époustouflant que si le succès remporté par ce compositeur est la conséquence de cette densité musicale, la reconnaissance artistique n’est pas pour Denez PRIGENT une finalité. Cet alchimiste du son nous montre qu’il a toujours à cœur de poursuivre la création de ce qu’il est : un chanteur engagé dans son interprétation.
Pour ceux qui viennent des gwerzioù, Denez accompagne avec complicité un moment de l’émotion qu’il porte en lui, et les ramènent à l’essentiel, à ce qui les a construits.
Ce maître de la gwerz me rend plus intensément que jamais une partie de moi, profondément enracinée en Bretagne. Par sa voix envoutante qui se pose en colonne vertébrale il la met en exergue par la magie des sortilèges.
Et peu m’importe si je ne comprends pas la langue de mes aïeux, je renoue avec ma « nénène » un dialogue perdu. Je danse la gavotte sur le pont du village de Petit-Carhaix avec ma grande tante Chann Marie la blanchisseuse défunte qui déclinait des prières sur son rosaire.
Les blessures que nous chante en murmure Denez PRIGENT, la main en corolle autour de son oreille, nous délivrent les messages profonds de l’âme humaine » la mort triomphe de tout sauf de l’amour ».
Cet amour parfois décrié dont on ne peut se passer et qui est le fil conducteur de toute existence.
Dans ce monde qui devient « une valse folle » sa voix pure et puissante est un trésor.