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Entretien avec EMEZI, le groupe musical brittophone
Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter vous et le cheminement vers la formation de votre groupe EMEZI ?
EMEZI : on est Élise Desbordes et Perynn Bleunven.
Toutes deux scolarisées en breton à Diwan, on s’est d’abord rencontrées au collège. Après nos parcours respectifs, études d’allemand pour Perynn et de breton pour Elise, on a décidé de se lancer dans la musique. Élise a suivi un cursus de piano jazz au conservatoire de Brest et Saint-Brieuc / Sant Brieg et Perynn a étudié le chant lyrique au conservatoire de Brest.
Perynn cherchait des musiciens pour créer un groupe et l’accompagner sur scène et a rencontré Élise dans la scène jazz brestoise.
Actuellement, on est toutes les deux musiciennes professionnelles pour notre plus grand bonheur !
Notre duo EMEZI est un groupe de musique actuelle en langue bretonne. Nous écrivons des textes sur des thématiques qui nous touchent comme l’environnement ou l’amour, mais nous cherchons surtout à exprimer nos émotions et à jouer avec la musicalité de la langue bretonne.
Quel est votre rapport à la langue bretonne et pourquoi avoir décidé de chanter précisément dans cette langue ?
Nous avons eu la chance d’apprendre le breton jeunes, à l’école Diwan, donc parler breton est assez naturel.
Nous avons décidé assez spontanément de chanter en breton dans EMEZI, parce que nous avons commencé le chant dans cette langue dès notre plus jeune âge. Élise chantait dans l’Ensemble choral du Bout du Monde, dirigé par son père, tandis que Perynn participait au concours du Kan ar Bobl, entraînée par sa mère. On trouve que le breton se prête bien à la pop et aux musiques anglo-saxonnes (RnB, rap, soul) à cause de l’accent tonique qui est marqué dans ces deux langues.
Écrire en français est très différent du point de vue de la composition.
Le français induit un style musical différent.
Selon vous, chanter et, de manière générale, créer en breton est-il un acte militant ?
Chanter en breton n’est pas un choix militant au départ.
Comme on l’a mentionné, ça s’est fait assez naturellement. C’est aussi la beauté de notre démarche, c’est qu’on utilise cette langue au quotidien, elle fait partie de nos vies et donc on n’a pas besoin de se poser la question. On ne s’oblige à rien. Si on veut écrire en français, on le fera !
N’est-il mentalement pas difficile, en tant qu’artiste, de conserver le cap de créer en breton, en sachant que le public est, mathématiquement, plus restreint ?
On peut aussi penser l’inverse, le breton est un créneau porteur.
Beaucoup de programmateurs nous choisissent parce qu’on chante en breton et que c’est une touche d’originalité. Beaucoup de gens s’intéressent à leurs racines, leur identité bretonne, et sont contents d’entendre du breton chanté différemment. On constate toutefois que les textes sont accessibles à moins de gens, c’est vrai, et on essaye de contourner la difficulté en jouant avec la sonorité de la langue.
On espère que notre musique peut être appréciée sans comprendre les paroles. EMEZI, ce n’est pas que des textes, c’est la musicalité avant tout !
Vous faites partie des rares artistes à créer une musique moderne en breton, susceptible d’attirer les jeunes. Comment expliquez vous cette difficulté, qui a longtemps perduré, pour les langues dites « régionales » en France à proposer une musique libérée du carcan du chant traditionnel (qui a sa place, mais pour une langue, il est sain de pouvoir vivre aussi au-delà), contrairement à d’autres langues minoritaires de même grandeur dans le monde ?
On ne s’explique pas cette absence de musique actuelle en breton.
Il est vrai qu’au Pays de Galles par exemple, la musique actuelle en gallois est très présente et la musique traditionnelle est totalement délaissée.
Il faut interroger les sociologues !
L’on a toutefois assisté, ces derniers temps, à l’essor de plusieurs artistes proposant une musique contemporaine en breton, comme votre groupe EMEZI, ou encore Madelyn Ann et le duo de rap Plouz & Foen. Comment l’expliquez-vous et pensez-vous qu’il s’agisse d’une coïncidence passagère ou d’un mouvement voué à se renforcer ?
Nous connaissons bien ces artistes, puisque nous partageons souvent les mêmes scènes. Plouz & Foen ont comme nous baigné dans le chant en breton. Quant à Madelyn Ann, je (Perynn) crois qu’elle a perçu le potentiel musical du breton dans l’esthétique pop-rock qu’elle affectionne. C’est peut-être tout simplement qu’on veut faire la musique qu’on écoute et qui plaît à notre génération ?
Le tremplin des musiques actuelles en langue bretonne, le Taol-Lañs, a sans doute joué un rôle, puisque de nombreux groupes contemporains ont été propulsés là-bas. On pense notamment à Garlonn, qui a gagné en 2021. Certains groupes du lycée Diwan de Carhaix décident de chanter en breton pour y jouer justement !
Comment le public accueille-t-il vos chansons ?
Et réussissez-vous à toucher un auditoire non brittophone ; quelle est alors sa réaction ?
Le public est souvent étonné d’entendre le breton dans cette esthétique !
Ils nous disent qu’ils sont agréablement surpris et découvrent que cette langue ne se cantonne pas au kan-ha-diskan et aux gwerz. Il nous arrive de jouer en dehors du réseau bretonnant et ça fonctionne plutôt bien. On essaye d’expliquer les paroles pour ne pas perdre les gens.
Selon vous, y a-t-il une différence, qu’elle soit positive ou négative, de traitement à l’égard des artistes brittophones de la part des radios, programmateurs de festivals, des maisons de disque, des médias, etc … par rapport à des chanteurs francophones ou anglophones ?
Comment cela se manifeste-t-il ?
On a l’impression que la tendance est en train de changer.
Aujourd’hui, dire qu’on chante en breton suscite la curiosité et beaucoup de gens trouvent cela intéressant.
Ça change justement de l’anglais, qui est omniprésent. On n’a pas le sentiment de subir de discrimination à ce niveau-là.
Vous venez de révéler votre nouveau titre, Paotrig kaezh, et son clip, tous deux de haute qualité, quels sont vos prochains projets ?
On travaille actuellement sur un nouvel album, on a très hâte de le présenter en fin d’année.
On avait déjà sorti un EP de 6 titres en 2022. Le prochain album sera plus long et marque un nouveau chapitre avec l’ambition de faire danser le public.
On aimerait voir les gens twerker !