Barzhaz Breizh

Barzhaz Breizh de Hersart de la Villemarqué

de NHU Bretagne

Préface de Jean Pierre Le Mat de la nouvelle édition de l’indispensable Barzhaz Breizh de Hersart de la Villemarqué / Kervarker, aux non moins indispensables Éditions Yoran Embanner.

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« Pour sauver la nation et la liberté, et émanciper la plèbe, créer la paix et développer les principes de la Révolution en Europe, je ne vois réellement qu’un moyen, c’est de diviser la France en douze États indépendants et de supprimer Paris »
Lettre de Proudhon à son ami Chaudey

Curieuse introduction pour un recueil de chants traditionnels, me direz-vous !
Pourtant, vous verrez, Proudhon l’anarchiste nous explique, bien mieux que n’importe qui, l’aristocrate Hersart de la Villemarqué.
Quelques explications sont nécessaires, je vous l’accorde.

Il faut replacer le Barzhaz Breizh dans un contexte européen.

Il nous faut dépasser le cadre breton et le cadre français.
Nous sommes dans le deuxième tiers du XIXe siècle. En Europe, les anciennes normes intellectuelles vacillent. L’équilibre social est remis en cause par une innovation révolutionnaire : l’appartenance devient une revendication. L’appartenance était fille du Moyen-âge. La revendication se veut fille de la raison et de la modernité. Appartenance à une classe sociale. Appartenance à une nation. Les uns et les autres éprouvent une fierté de leurs racines et de leurs pratiques, qui peuvent être professionnelles, nationales, culturelles. La nouveauté est que, de leur identité, ils font désormais un objet politique.

La révolution industrielle crée de nouveaux clivages sociaux. Les travailleurs ne se contentent plus de travailler. Ils revendiquent fièrement leur importance. C’est notre travail qui crée la richesse commune, disent-ils ! L’appartenance sociale donne naissance à des revendications, qui s’agrège autour d’un mot : socialisme. Au même moment, l’appartenance à la nation devient une revendication dans toute l’Europe, et particulièrement dans les territoires dépendants de l’empire d’Autriche. Le mot nationalisme apparait à la toute fin du XVIIIe siècle et se répand partout. Le bouillonnement aboutira, en 1848, au Printemps des Peuples. Des énergies nouvelles s’expriment et fusionnent. Mazzini théorise la revendication italienne et tente, avec Garibaldi, de réaliser l’unité du pays. Kossuth crée un gouvernement hongrois, tandis que les Croates se soulèvent pour leur indépendance. Le Parlement de Francfort réclame l’unification de l’Allemagne. Les parlementaires tchèques veulent fédéraliser l’empire austro-hongrois.

En 1840, parrainé par l’Académie de Besançon, Pierre-Joseph Proudhon publie un mémoire intitulé « Qu’est-ce que la propriété ? ». Il le présente comme une étude scientifique sur les moyens d’améliorer la condition physique, morale et intellectuelle de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Quelques mois plus tôt, Théodore Hersart de la Villemarqué avait publié la première version du Barzhaz Breizh, recueil de chants traditionnels bretons. Il le présente comme une continuation du collectage commencé par sa mère et comme une histoire poétique de la Bretagne.

Ces précautions de nos deux écrivains pour banaliser leurs œuvres respectives cachent mal le passage de l’appartenance, sociale ou nationale, à la revendication révolutionnaire. Proudhon est direct et sa thèse est limpide : La propriété, c’est le vol.
Il déroule méthodiquement dix propositions pour démontrer que « la propriété est un droit d’aubaine que le propriétaire s’attribue sur une chose marquée par lui ». Il ajoute malicieusement : « Il me semblerait digne d’une nation intelligente d’aller au-devant d’une révolution inévitable, plutôt que de s’y laisser traîner au char de l’inflexible nécessité. »

De son côté, Hersart de la Villemarqué, dans sa préface, souligne le sentiment patriotique et la nationalité vivace.
« Ce qui frappe le plus dans cette suite de morceaux épisodiques, sans lien apparent, œuvre de plusieurs milliers de poètes rustiques inconnus les uns des autres et même séparés par les siècles, c’est le caractère commun, c’est le sentiment patriotique, c’est le drame merveilleux qui résulte de tant de scènes diverses, c’est l’expression énergique et fidèle d’une nationalité vivace que la France a eu tant de peine à absorber ».
Beaucoup de contemporains de l’époque ne s’y sont pas trompés. Il n’est que de citer George Sand : « Il est fort étrange que cette littérature… n’y ait pas fait une révolution ».

« Qu’est-ce que la propriété ? » est plus qu’une étude sur les nécessités sociales.

Le Barzhaz Breizh est plus qu’un recueil de chants anciens.

Les deux ouvrages sont des manifestes. Proudhon revisite les notions de liberté, d’égalité, de propriété et de sûreté, apportées par la Révolution de 1789. Son ouvrage est un manifeste éthique. L’œuvre du Breton est un manifeste esthétique. Il pourrait s’intituler « A qui appartient le génie d’un peuple ? », pour faire écho à « Qu’est-ce que la propriété ? ».
L’un en appelle à l’éthique, parce que le social nécessite une morale. L’autre se tourne vers l’esthétique, parce que la patrie se réfère à une harmonie.

Pour les travailleurs, Proudhon est une sorte de précurseur génial mais encombrant.
Il a été critiqué, non seulement par ses ennemis politiques, mais aussi par ceux-là même qui s’en sont largement inspirés. Karl Marx est le plus célèbre d’entre eux. L’idée qu’un ouvrier puisse être un penseur était mal acceptée. Pour les Bretons, Hersart de la Villemarqué est un précurseur génial et encombrant. Il a aussi été critiqué par ceux qui s’en sont largement inspirés. François-Marie Luzel est le premier d’entre eux. Même après la découverte des carnets de collecte de la Villemarqué, l’idée que des pauvres anonymes puissent avoir composé ou transmis des splendeurs poétiques est mal acceptée.

Qu’en est-il pour nous, plus de cent quatre-vingts ans après ?
Le Barzhaz Breizh est toujours un manifeste. Il est le manifeste poétique d’un peuple extraordinaire, le nôtre. Les chants du Barzhaz, portés par nos chanteuses et chanteurs actuels, nous font communier aux rythmes et aux paroles de Gwin Ar C’Hallaoued, An Alarc’h , ou Gwerz Marv Pontkallek. Lors de nos révoltes, comme celle des Bonnets Rouges de 2013, nous nous installons instinctivement sur la même longueur d’onde que Diougan Gwenc’hlan, la prophétie de Gwenc’hlan, composée mille cinq cents ans plus tôt. Une longueur d’onde inexplicable, qui nous fait vibrer par-delà la violence des périodes barbares, par-delà les dogmes du Moyen-âge, par-delà les idéaux des Lumières, par-delà les idéologies des temps modernes. Le Barzhaz Breizh est un déclencheur. Il déclenche des émotions. Il déclenche à la fois une appartenance, une revendication, une adhésion.

Appartenance et revendication des enracinés d’une péninsule d’extrême-occident.
Revendication, non pas d’une éthique qui se voudrait universelle, mais d’une esthétique qui se veut singulière.
Appartenance à une nation insolite et insolente.
Adhésion à une aventure collective qui, dans un monde déboussolé, dégoûté par les utopies mortifères, se fixe un point de départ poétique, plutôt qu’un horizon totalitaire ou que la triste perspective d’un paradis bien rangé.

Éditions Yoran Embanner

« Chants d’autrefois, les chants du Barzhah Breizh sont devenus des chants de toujours, où la mémoire d’un peuple se raconte sous forme de poèmes. Ces paroles et ces musiques, où affleurent nos racines, ont connu une nouvelle jeunesse grâce aux artistes contemporains. Pour tout Breton digne de ce nom, le Barzhaz est à la fois une référence littéraire et musicale, un manifeste politique, une source d’inspiration et une perspective d’avenir.« 

« Kanioù ar Barzhaz Breizh, kanioù a wechall-gozh bet savet e stumm gwerzennoù, a zo memor ur bobl hag a chom bev-buhezek a-hed ar c’hantvedoù. O c’homzoù hag o sonerezh ken stag ouzh hon gwriziennoù zo bet nevesaet a-drugarez d’an arzourien a-vremañ. Ar Barzhaz Breizh a zo z don kalon an holl Vretoned vat ; ur sichenn lennegel hag heson, ur manifesto politikel, un andon a awen eo evito kenkoulz hag ur sell a-gred war an dazont. »

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Yoran Embanner, éditeur en Bretagne

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1 commentaire

Hervé Brétuny 15 décembre 2023 - 11h16

la grosse polémique de l’époque n’est pas totalement éteinte car les carnets retrouvés par Donatien Laurent ne comporte aucun des champs « historiques » et « nationaux »

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