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Ciril et cloud souverain à vendre : un rachat qui interroge les Bretons
Le 1er août 2025, une information est passée presque inaperçue dans les médias généralistes. Et pourtant, elle pourrait avoir des conséquences lourdes pour des centaines de collectivités locales, y compris en Bretagne. Un grand fonds d’investissement américain, Carlyle Group, vient de racheter Ciril Group, un éditeur lyonnais de logiciels et surtout fournisseur de services cloud dits « souverains », pour un montant estimé à 500 millions d’euros.
Une fois de plus, ce qui était présenté comme une infrastructure stratégique est passé sous pavillon étranger, dans l’indifférence quasi générale.
Mais que s’est-il réellement passé, et pourquoi cela concerne directement la Bretagne ?
Une pépite française discrète mais stratégique
Créé en 1978 et basé à Villeurbanne (France), Ciril Group développe des logiciels métiers (notamment pour la gestion territoriale) et héberge les données de nombreuses collectivités françaises, dont un grand nombre en Bretagne. Sa branche cloud, Business Geografic, propose une infrastructure hautement sécurisée, respectueuse des normes françaises et européennes.
Ce positionnement avait permis à l’entreprise de revendiquer un cloud souverain, c’est-à-dire un hébergement des données sur le territoire français, sous droit français, par une entreprise française. Une exigence essentielle pour les collectivités soucieuses de confidentialité, de souveraineté et de conformité au RGPD.

L’achat américain : 500 millions pour mettre la main sur les données
En août 2025, le fonds américain Carlyle a remporté l’enchère pour acquérir Ciril Group, alors encore détenu par la famille Grivel.
L’État central français n’a pas bloqué l’opération.
Pire : il pourrait même accompagner ce rachat via Bpifrance, selon certaines sources.
Résultat : les données de milliers de collectivités locales françaises vont désormais être hébergées par une entreprise contrôlée par des intérêts américains. Y compris celles de communes, intercommunalités, départements bretons ayant choisi Ciril pour la gestion de leur SIG, de leurs finances locales, ou de leur gestion RH.
Où est passée la souveraineté ?
Peut-on encore parler de cloud souverain quand une telle infrastructure stratégique passe entre les mains d’un fonds américain ?
Cette question choque de plus en plus d’élus, notamment dans les régions administratives dites « périphériques » comme la Bretagne.
Car derrière les promesses de continuité de service et de respect des lois européennes, il existe une réalité juridique incontournable : le Cloud Act américain.
Cette législation, adoptée en 2018, permet aux autorités américaines d’exiger l’accès à toute donnée détenue par une entreprise américaine, y compris en dehors des États-Unis.
Quelles conséquences pour la Bretagne ?
De nombreuses collectivités bretonnes — grandes comme petites — utilisent les services de Ciril Group pour stocker des données sensibles : listes électorales, fichiers de contribuables, documents d’urbanisme, voire parfois des données sociales. Ces informations pourraient désormais, potentiellement, être soumises au droit américain.
Plus grave encore : si ces collectivités souhaitent quitter Ciril, cela suppose des coûts de migration élevés, une expertise technique et parfois des délais incompatibles avec les contraintes des marchés publics.
En d’autres termes : elles sont piégées.

Une Bretagne autonome aurait-elle laissé faire ?
La question mérite d’être posée. Une Bretagne autonome, dotée de véritables leviers politiques, aurait-elle accepté sans réagir qu’un prestataire stratégique local passe sous contrôle étranger ?
Aurait-elle laissé les données de ses institutions publiques échapper à son autorité, au nom d’une simple logique financière ?
Probablement pas. Une telle Bretagne aurait pu :
- Créer un cloud breton souverain, soutenu par ses institutions.
- Exiger une clause de souveraineté numérique dans ses contrats publics.
- Développer une filière locale, en s’appuyant sur les nombreux talents numériques bretons.
Mais dans le système centralisé actuel, aucune région ne décide de sa stratégie numérique.
Tout dépend du bon vouloir de Paris… et du marché.

La France vend ses fleurons, la Bretagne en paie le prix
Le rachat de Ciril Group n’est pas un cas isolé.
En août 2025, EDF a cédé 64 % du capital de sa filiale Exaion, spécialisée dans le calcul haute performance et la blockchain, à l’américain Mara Holdings pour 168 millions de dollars. Avant cela, Technip, Alstom Énergie, Photonis ou encore Latécoère sont passés sous pavillon étranger. Chacune de ces ventes a amputé l’a France’Hexagone d’une partie de ses savoir-faire stratégiques.
Cet État en fin de vie brade ses fleurons industriels et économiques, recule chaque jour un peu plus dans les classements internationaux – qu’il s’agisse d’économie, d’éducation ou d’innovation – et entraîne avec lui 5 millions de Bretonnes et de Bretons dans cette chute.
Ces derniers sont pourtant en droit d’imaginer un autre avenir pour la Bretagne, leur pays.
Un avenir qui pourrait ressembler à celui de l’Irlande, de la Nouvelle-Zélande ou du Danemark : des nations de taille comparable, pleinement souveraines, capables de protéger leurs infrastructures stratégiques et de décider, elles-mêmes, de leur destin numérique et économique.
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