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Kerouac is Dead
Comment naît une idée ? Je me pose parfois cette question. En réalité, peu importe… L’important étant d’en avoir une (bonne) et surtout de la mener à mal pour son bien, et jusqu’à son terme. Ou son commencement. Et ce malgré les péripéties inhérentes à tout projet un tant soit peu compliqué. Les facteurs pouvant entraver la réalisation d’un projet sont sans doute plus nombreux que les bonnes idées… Parfois c’est là que le bât blesse. Car l’on peut avoir un manque de recul par rapport à ses propres qualités ou défauts.
Notre cerveau, ce mystère, cet ami, cet ennemi, quoiqu’il en soit, ce nous qui nous accompagne et évolue du début à la fin, est parfois nimbé, inspiré, auréolé, d’une inspiration légère ou profonde, bête ou bienfaisante, affable ou cinglante. Bref d’une idée qui ne peut rester à l’intérieur de ce petit être insignifiant et égal à tout autre être humain qu’est un faiseur, un artiste, un palabreur, un affreux sale et méchant capable de faire des phrases aussi longues qu’un film de Nino Manfredi.
Mais revenons à Kerouac.
Il a écrit : « Les poissons de la mer parlent breton ». Et bien avant que je n’eusse l’envie presque aussi oppressante que celle de pisser le matin, que d’apprendre la langue d’Anjela Duval, cette phrase résonnait déjà en moi. Cet auteur qui, en plus de ses qualités appréciées par nombre de va-nu-pieds et aussi de « va-en-chaussures », bref d’hommes et de femmes de pays et d’horizons variés, m’avait touché car il parlait de ma région et donc d’une certaine manière de ce moi imaginaire. A la fois ancré dans sa réalité granitique bretonne de l’époque mais aussi libre comme un poisson…
Un sans frontière.
Mais trêve de considérations pseudo-identitaires. Il y a plusieurs années déjà, cette mélodie, ô combien douce, avait jailli de mes entrailles. Celles d’un type qui fait plutôt soixante kilos que cent trente et qui n’écoute pas vraiment. Les anciens comprendront la référence. Si ce morceau ne me fera pas gagner 100 000 dollars, ni à l’ombre, ni au soleil, je suis content de l’avoir finalement réalisé après tant d’années. C’est pendant cette période du confinement (nous pouvons enlever « finement », ou pas) que j’ai retrouvé cette clef USB avec l’enregistrement des voix … Des voix seulement, le mystère des archives étant un secret sacré bien gardé par le dieu « Archivède ».
Imaginez ce morceau, cette petite douceur matinale, sans instrument…
Moi j’ai rigolé.
Et pas parce que c’est moi. En tout cas, j’ai ressenti une énergie qui avait été cristallisée quelques années auparavant et qui ressortait inopinément des arcanes de ce petit objet contemporain ou « contemporien ». J’ai donc décidé de reprendre cette « vieille » idée. Et de lui donner la meilleure forme possible par rapport à mes compétences et mes réseaux d’influence. J’ai donc contacté mon amigo Ricard Tejada qui m’a avoué après, qu’au début, il n’y croyait pas trop … Et que finalement c’était son meilleur projet du moment. Cet ami Catalan aux talents multiples est donc l’auteur de la guitare et de la basse. Il nous fallait ensuite un batteur. J’ai donc contacté mon pote tchèque Radek qui est venu poser ses battements à 178 BPM.
Ceux qui savent, savent. Moi, je ne sais pas.
L’être humain est indéniablement un mélange de fainéantise et de machine de travail. Me classant aléatoirement dans l’une et l’autre des catégories, j’avais d’abord pensé à créer avec l’aide non négociable de Ricard, un mix des voix, des voix uniquement, un «OMNI » (« Objet Musical Non Identifié ») criant haut et fort « Where are the parties ? Where are the parties in my country?
There are no more parties ». Cette idée de punk vocal est tombée à l’eau, celle-là même dans laquelle baisent les poissons, qui parlent breton, gallois et wolof. Bref, on a fait un morceau classique, comprenant des guitares, des lignes de basses et une batterie, puissante et corsée comme un vin sarde. A cela, Radek et Ricard ont chacun ajouté un petit clavier, pour toucher plus de royalties dans quarante-quatre ans, juste après ma mort. Comme tout ami de punk qui se respecte. (« Where is the money, where is the money in my country ? » Vous connaissez déjà la suite).
Chose étrange dans ce monde qui ne l’est pas moins, j’ai créé le solo de guitare avec mes deux doigts de gadjo, non pas pour faire rougir Django mais tout simplement car je ne sais pas jouer. Ricard m’a dit « Tu m’as appris quelque chose ». Et ce n’est pas la musique ou une nouvelle suite d’accords pour sûr. Ah ah. Nino Manfredi peut aller se rhabiller avec son film de cent quinze minutes. Le morceau fini, je me suis dit « merde, c’est la première fois que je fais un morceau pas trop sérieux, il faut que je fasse un clip drôle ».
Et voilà. Alors comment naît une idée ?
J’ai simplement frappé à la bonne porte, O Sea, un bar en bas de chez moi, tenu par Svetlana qui a une fille open-minded enough and creative et jeune aussi.
Et donc ? Je lui ai confié ma caméra, je lui ai montré comment l’utiliser et je lui ai dit « fais ce que tu veux, tu peux me faire faire n’importe quoi ».
La suite ? Il n’y pas de suite.
Regardez le clip.
Je ne sais pas si on est en 1978 ou en 2020 mais peu importe, mon rôle de vieux con nostalgique mais sympa s’arrête là.
Kenavo.