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Le foot breton vu par la PQR Presse Quotidienne Régionale.
L’identité administrative a uniquement été mise en place pour permettre à l’Etat de ne pas confondre une personne avec une autre (165), nous dit le sociologue Jean-Claude Kaufmann. « L’identité régionale n’existe pas au sens politique et social » (166) précise le sociologue Luc Rouban. L’écrivain Morvan Lebesque déchiffre alors la question en écrivant que « la Bretagne n’a pas de papiers. Elle n’existe que dans la mesure où, à chaque génération, des hommes se reconnaissent bretons »(167).
C’est précisément l’identité qu’affirme Bretagne Football Association (BFA) avec l’équipe de Bretagne. France-Football, que certains appellent même la bible du football, ne s’y est donc pas trompé quand il s’agit de reconnaître le véritable périmètre du territoire breton. Le 29 avril 2014, l’hebdomadaire national spécialisé fait un classement des cinquante meilleurs joueurs bretons (168) avant une très bretonne finale de Coupe de France (169).
« Nous avons choisi d’inclure le « 44 » dans notre classement des joueurs bretons » écrivent quatre de ses reporters. « De toute façon, la Loire-Atlantique figure parmi les cinq départements (avec les Côtes d’Armor, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan), où doit être né tout joueur pouvant évoluer dans l’équipe de Bretagne [professionnelle], dont nous reprenons l’essentiel des critères de sélection ».

Ouest France le confirme : Nantes est bien en Bretagne. Derby breton FC Nantes vs Stade Rennais Septembre 2019
La voix de son maître.
De son côté, la presse quotidienne régionale (PQR) installée en Bretagne (Le Télégramme, Ouest-France, Presse-Océan) et la chaîne de télévision publique France 3 préfèrent un conformisme aussi résolu que contradictoire. Les médias interrogent les faits, les analysent et en tirent des conclusions. Mais pour la partition de la Bretagne, la PQR présentes dans les cinq départements bretons se conforme à la « conclusion » présentée par l’État. Ce dernier leur demande, par l’intermédiaire de ses préfets, de trouver des « faits » pour rendre son découpage territorial administratif crédible.
Le résultat de cette politique est aussi de tenter de décrédibiliser les partisans d’un découpage issu d’une cohérence multiple : historique, économique et culturelle. Le patron de presse Jacques Trentesaux (Médiacités) constate que, dans chaque grande ville, un journal de PQR « est en position quasi monopolistique, […] en lien d’affaires avec les collectivités […] et qui, dans sa position de quasi monopole, se transforme en grand journal qui défend une région […] et perd l’acuité journalistique [et] la bonne distance critique qui est nécessaire »(170).
La consultation des archives de la PQR des régions administratives Bretagne et « Pays de la Loire » (PDL) révèle une ligne éditoriale claire, qui se fige dans une pseudo identité administrative. Avec Ouest-France, ce ne sont pas les régions authentiques qui marquent le territoire : La politique du journal délimite une zone de chalandise de régions administratives (171) à partir d’un point cardinal situé à l’ouest de Paris, capitale du pouvoir central.
Le 6 octobre 1971, le conseil des ministres adopte le projet de réforme régionale (172).
D’apparence fortuite, cette décision est riche d’enseignement au sujet du lien qui unit le pouvoir politique à Ouest-France. Alors que projet n’est pas loi, les apparences ne sont pas trompeuses pour tout le monde : Dix jours après, le 16 octobre 1971, Ouest-France fait apparaître (173) pour la première fois la région fantoche « PDL » sur son bandeau de la une et précède de plus de deux ans l’officialisation des régions, laquelle n’interviendra que le 1er janvier 1974 !
Si Ouest-France respecte scrupuleusement les limites territoriales imposées par l’État pour les régions administratives dites Bretagne et PDL, il n’en est pas de même pour traiter d’autres régions administratives. Ainsi, Ouest-France écrit que Rennes ne se déplace pas en Nouvelle Aquitaine mais au… Pays Basque (174), en Coupe de France de football 2017. Idem pour toute équipe bretonne rencontrant une équipe… alsacienne.
Le quotidien nous démontre alors que, par son traitement de l’information, l’identité authentique des Basques et Alsaciens prime sur l’administratif. Le journal ignore soudain la logique administrative de l’État, dont il fait sienne dans les cinq départements bretons et qui cause la division de la Bretagne ! Basques et Alsaciens ne peuvent que se réjouir de ce soudain respect. Quid des néo-aquitains ou habitants du Grand Est.
Contradictions.
La contradiction est confondante lorsque ressurgit l’identité de la Loire-Atlantique : Strasbourg l’Alsacien (et non « Grand Estois » en toute logique administrative) rencontre Nantes le… « Ligérien » et non pas Breton. Alors que cette identité authentique a historiquement été incorporée (bien que de force) à la région administrative artificielle des « PDL ». Chaque quotidien régional de Bretagne trouve de fait cette différenciation normale. Alors que les deux régions authentiques du Pays Basque et d’Alsace n’existent pas ou plus sur un plan institutionnel.
Tellement, qu’elles ne figurent plus sur l’arborescence du site internet de Ouest-France lui-même. En effet celui-ci affiche Nouvelle Aquitaine et Grand Est. Arnaud Wajdzik, directeur de Ouest-France à Nantes, préfère camper sur les positions du quotidien. Il affirme sans sourciller que la « région administrative correspond à notre découpage et c’est notre choix »(175). En plus de se nourrir de conformisme, ce choix est donc à géométrie variable.

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Ces responsables et journalistes ont-ils même conscience de l’énormité de ces contradictions ? Une étude de la presse sportive nationale (176) montre que – à l’instar de France-Football – elle est paradoxalement la plus respectueuse de l’intégrité du territoire breton. C’est une constante depuis que Nantes et Rennes ont commencé à jouer ensemble en Ligue 1 en 1963. La flamboyante « une » de Presse-Océan du 31 mai 1965 : « Tous les lauriers, cette saison, pour le football breton » résonne comme l’éloge d’une PQR bretonne disparue.
Le foot breton et le négationnisme historique et géographique.
Cette même date, Ouest-France est déjà depuis deux décennies sur une ligne éditoriale niant de facto l’unité bretonne (177), la radio France-Inter étant plus « bretonne » que le quotidien dans son vocabulaire ! Si Nantes vs Rennes est un derby breton pour la presse basée hors de Bretagne, il ne l’est pas pour la presse quotidienne régionale d’un « grand ouest » qui « recouvre tout ce qu’on veut »(178).
Le 8 mars 1982, un projet de sélection officieuse de Bretagne professionnelle des cinq départements est lancé par l’association Araok Breizh, créée à Châteaubriant, en Loire-Atlantique. Le 20 janvier 1985, l’association suggère à Ouest-France de sonder ses lecteurs (179) à ce sujet (180) sur les départements 22, 29, 35, 44 et 56. Roger Glémée, grand reporter, va relayer la dimension administrative du quotidien. « L’idée d’un sondage est irréalisable dans l’état actuel des choses. […] Ouest-France n’est pas un quotidien breton mais régional [sic], avec parution dans les Pays de Loire et la Normandie ».
Le quotidien dispose pourtant de pages départementales, sports compris, lui permettant toutes latitudes. Selon le journaliste de Ouest-France Marc Le Duc (181) « ce serait une grossière erreur, souvent constaté dans l’univers paranoïaque [sic] des réseaux sociaux que de voir, derrière ce rideau de fer de l’information, des consignes venues d’en haut. Le mécanisme est plus subtil et plus banal »(182). Le rideau de fer était l’apanage des dictatures, subtilité en moins. La différence entre propagande et incitation n’est ici marquée que par l’épaisseur d’une feuille de papier.

Quand tu es obligé d’écrire que Nantes n’est pas en Bretagne, mais que tu affiches la vérité sur ta voiture
Jusqu’à l’absurde …
L’absurde est au rendez-vous pour la PQR lors de l’Euro 2016 et du séjour de la Suède à Pornichet, près de Saint-Nazaire (44). Le Télégramme titre le 9 juin que cette sélection « a pris ses quartiers dans l’ouest »(183). Ce que va « démentir » L’Équipe le 12 juin en évoquant la « cité bretonne »(184) de Pornichet ! Ouest-France Loire-Atlantique titre avant un match de basket-ball féminin du Nantes RB au Landerneau BB : « Le NRB s’interdit de flancher en Bretagne [sic] »(185). France 3 « PDL » fait dans la même veine sur twitter, lors du Nantes v Rennes du 13 janvier 2019 avec « les Bretons [sic] rentrent aux vestiaires avec l’avantage ».
Ouest-France joue clairement la provocation en titrant « Après la Loire-Atlantique, le Tour passe par la Bretagne » (186) le 11 juillet 2018, alors que le service des sports de France-Télévision ne pourra que reconnaître l’évidence le même jour : L’affirmation de l’identité bretonne de la Loire-Atlantique, telle qu’affichée sur ses images par le public du Tour de France. Absurde aussi le titre de 20 Minutes Rennes le 18 avril 2018 : « Les supporters bretons [rennais] pas les bienvenus à Nantes pour le derby »(187).
Les Ligériens et le foot breton.
Ici et là, athlètes ou équipes de Loire-Atlantique sont aussi qualifiés de « Ligériens » par le quotidien, pour mieux montrer qu’ils ne font pas partie de la Bretagne. Encore et toujours, il s’agit insidieusement de faire accepter l’identité administrative des « PDL », voire « cardinale » de l’ouest, dans lesquelles quasi personne ne se reconnaît. Il en résulte aussi une opposition artificielle à l’identité bretonne, réduite implicitement au quatre départements de la Région administrative Bretagne.
Autre cas flagrant : Bretagne Football Association (BFA) évolue statutairement sur les cinq départements bretons. Un traitement adéquat sur les cinq départements concernés s’impose par essence. Lorsque l’AFP indique le 11 avril 2016 que Raymond Domenech est nommé sélectionneur de l’équipe de Bretagne [administrée par BFA], sa dépêche explique qu’elle concerne « tout joueur né dans l’un des cinq départements bretons »(188). Ouest-France traite cette information à la « une »,(189) mais dans seulement… quatre des cinq départements bretons, ce qui équivaut à la dissimuler sur la Loire-Atlantique.
Le traitement de l’information devient ubuesque lorsque, le 13 mai 2017, en conférence de presse, l’entraîneur portugais du FC Nantes Sérgio Conceição utilise, en français, le nom Bretagne (190). Car un journaliste de Ouest-France « interprètera » pourtant ces propos limpides et fera alors abusivement muter ce nom Bretagne en… ouest (191), mot que l’entraîneur n’a jamais prononcé ce jour là ! La radio publique nationale France Bleu transcrira par contre fidèlement, sur son site internet, les propos (192)de l’entraîneur…

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Enfin, le Festival interceltique soutient l’unité territoriale de la Bretagne. Le 4 août 2019, sa direction donne donc l’autorisation à Bretagne Réunie, comme depuis 2014, de défiler en arborant une banderole « Nantes en Bretagne » lors la Grande parade des nations celtes. Cela n’empêchera pas la chaîne de télévision France 3 – en aucun cas organisatrice de l’événement – de passer outre et d’intimer directement l’ordre aux porteurs de la banderole de sortir du défilé.
Suite à cette scène surréaliste, Bretagne Réunie contestera (193)« cet excès de pouvoir », ayant « l‘accord de l’organisateur ». France 3, chaîne publique, pratique donc la censure politique de cette même banderole depuis 2015. La fin justifie les moyens lorsque des directives politiques ou des incitations administratives prennent ainsi le pas, en l’absence d’une distance critique et déontologique, en présence de faux fuyants. Le miroir que constituent la PQR et France 3 dans les cinq départements bretons ne peut que continuer à susciter les interrogations de simples citoyens qui ne demandent que le respect de leur identité authentique.

Les cinq plus grandes équipes de football de Bretagne
(165) Identités : La bombe à retardement, Jean-Claude Kaufmann, Eds Textuel, 2014.
(166) L’identité régionale n’existe pas au sens politique et social, Emmanuelle Germain, Le Figaro, 17 janvier 2014.
(167) Comment peut-on être breton ? Essai sur la démocratie française, Morvan Lebesque, Eds. Seuil, 1970, p. 18.
(168) Le top 50 des joueurs bretons, Olivier Bossard, Eric Champel, Jean-Marie Lanoë et Patrick Urbini, France-Football, n°3550, 29 avril 2014, p. 28.
(169) En Avant de Guingamp 2-0 Stade Rennais, finale de la Coupe de France 2014, 3 mai 2014.
(170) « Vous avez dans chaque grande ville un journal de presse quotidienne régionale qui est en position quasi monopolistique, qui est en lien d’affaires avec les collectivités – que ce soit via la publicité, via les offres légales et judiciaires, via des partenariats – et qui, dans sa position de quasi monopole, se transforme en grand journal qui défend une région, devient l’emblème d’une région et perd l’acuité journalistique qui est nécessaire, perd la bonne distance critique qui est nécessaire ». Jacques Trentesaux, ex-rédacteur en chef à L’Express, cofondateur, président et directeur de la rédaction du site d’investigation multi-villes Médiacités, Emission L’Instant M, France-Inter, 1er mai 2018.
(171) Ouest-France remplace le 16 octobre 1971 le bandeau de sa une : « Bretagne-Normandie-Maine-Anjou-Poitou », présents depuis son numéro un du 7 août 1944, laissent place à « Bretagne-Normandie-Pays de Loire ». Les régions ne seront pourtant officialisées que le 1er janvier 1974.
(172) Ouest-France, 7 octobre 1971, p. 1.
(173) Ouest-France remplace le 16 octobre 1971 le bandeau de sa une : « Bretagne-Normandie-Maine-Anjou-Poitou », présents depuis son numéro un du 7 août 1944, laissent place à « Bretagne-Normandie-Pays de Loire ». Les régions ne seront pourtant officialisées que le 1er janvier 1974.
(174) Ouest-France, 6, 8 et 9 janvier 2017.
(175) Message sur Twitter de Arnaud Wajdzik, journaliste et directeur de Ouest-France, Rédaction de Loire-Atlantique, 25 juillet 2019.
(176) En 1965, à l’occasion du « doublé » Nantes et Rennes, il y avait notamment L’Equipe, France-Football, Football Magazine, Miroir des Sports, Miroir-Sprint, France-Soir.
(177) Ouest-France titre en une le 1er juin 1965 sur « cet étonnant doublé qui a ravi l’Ouest » mais France-Inter lui indique que les deux équipes que le journal lui-même va accueillir le lendemain sont bien bretonnes : « A signaler que les équipes de Rennes et de Nantes se retrouveront demain pour une autre réception, mais cette fois-ci par un journal local qui pourra ainsi fêter toute la victoire du football breton. » Inter actualités, 20h00, France-Inter, dimanche 30 mai 1965.
(178) « L’ « ouest » a toujours été le mot clé des niveleurs de droite ou de gauche. Lorsqu’à la fin du siècle dernier [19e] les démocrates-chrétiens partirent à la conquête de cette partie de la France, leur premier soin fut de fonder L’Ouest-Eclair qui niait l’identité bretonne, dispersée et rebrassée en éditions départementales s’ignorant mutuellement, priorité fut donnée aux vocables nouveaux, la « Cinquième région », le « Val de Loire », etc. […] il s’étend, s’étale, recouvre tout ce qu’on veut, Vendée, Mayenne, Anjou, Normandie, Poitou et, pourquoi pas, Charentes. » Comment peut-on être breton ? Essai sur la démocratie française, Morvan Lebesque, Eds. Seuil, 1970, p. 124.
(1779) Eskalibor – Le magazine du football celtique, n°18, novembre-décembre 1985.
(180) Egalement contactés, les quotidiens de Bretagne Le Télégramme et Presse Océan restent muets. Ibid.
(181) Marc Le Duc, ancien journaliste à Ouest-France, dont 21 ans en Loire-Atlantique.
(182) En Loire-Atlantique, la Bretagne dans la trappe des médias, Marc Le Duc, Le Livre blanc de l’unité bretonne, Yoran Embanner, 2016, p. 210.
(183) « Zlatan Ibrahimovic : La star suédoise a pris ses quartiers dans l’Ouest », Le Télégramme, 9 juin 2016.
(184) « Pornichet zlatané ! L’attaquant de la Suède, qui débute son Euro demain, a bouleversé le paisible quotidien de la cité bretonne ». José Barroso, L’Equipe, 12 juin 2016.
(185) Ouest-France Nantes, 15 décembre 2018.
(186) Ouest-France, 11 juillet 2018, p. 1.
(187) 20 Minutes Rennes, 18 avril 2018.
(188) « Raymond Domenech devient sélectionneur de Bretagne », dépêche de l’Agence France Presse (AFP), Paris, 12h13, 11 avril 2016.
(189) « Football : Raymond Domenech sélectionneur de la Bretagne », une de Ouest-France sur les départements 22, 29, 35 et 56, à l’exclusion du 44. Ouest-France, 12 avril 2016.
(190) « Au niveau de la zone, Bretagne, c’est très important, je sens ça… C’est intéressant quand même, un petit championnat, on va essayer d’être les champions », Sérgio Conceição, entraîneur du FC Nantes, conférence de presse, fcnantes.com, 13 mai 2017.
(191) « Le FCN veut être « champion »… de l’Ouest » et « le mini championnat de l’Ouest », ouest-france.fr, 13 mai 2017.
(192) FC Nantes : Sergio Conceicao veut gagner le « mini-championnat » de Bretagne, Aurélien Tiercin, France Bleu Loire Océan, francebleu.fr, 13 mai 2017.
(193) Communiqué de presse de Bretagne Réunie, 12 août 2019, abp.bzh.

La partition de la Bretagne dans le sport en trois dates clés.
1 commentaire
Excellent article, irréprochable, par sa précision sur les faits (avec même des références de sources !) et la sobriété de l’expression, sans trace de l’enflure passionnelle trop fréquente, et dévalorisante, de certains militants bretons.