Hameau du Goënidou – Berrien – Finistère
31 janvier 2023
Nous nous trouvons aujourd’hui sur les modestes ruines de ce qui fut un hameau médiéval occupé du XIIe au XIVe siècle. Sa proximité avec l’Abbaye du Relec (commune de Plouneour Menez) suggère que ce sont les moines cisterciens qui furent à l’origine de cette quévaise, exploitation agricole singulière propre aux terres des Monts d’Arrée.
Sommaire
La quévaise de Goënidou
Le site, découvert en 1983 par l’association Patrimoine des Monts d’Arrée, fut fouillé à deux reprises de 1984 à 1987 puis de 2001 à 2005. Quelques fragments de céramiques et des meules à grains furent exhumés. Les archéologues qui œuvrèrent en ces lieux ne tardèrent pas à conclure qu’ils se trouvaient sur les ruines d’une petite exploitation agricole de trois à quatre hectares.
Aux environs du site principal, quelques monticules et talus témoignent de la présence de quatre autres entités, chacune étant composée, d’une habitation principale et de deux autres bâtisses adjacentes, le tout étant organisé autour d’une cour centrale ainsi que d’une autre structure excentrée. Les archéologues suggèrent que la maison principale étaient constitués de murs en pierres sèches et d’une toiture de bois recouverte des végétaux des landes environnantes.
Hommes et bêtes sans doute vivaient ici sous le même toit, avec cependant, une répartition précise des espaces. L’implantation de ce hameau médiéval s’est très probablement effectuée sur un site gallo-romain.
Des vestiges ainsi que du numéraire du IIIe siècle de notre ère ont en effet été retrouvé sur la colline qui domine le site.
Qu’est-ce que la quévaise ?
En breton moderne, quévaise se dit kevaez et serait issu du moyen breton quemaes qui signifierait champ commun ou champ que l’on cultive ensemble. Il s’agit d’une forme de tenure * tout à fait originale consistant à mettre à disposition des terres et des bâtiments à des personnes afin de repeupler des régions désertes et de mettre en valeurs des terres de mauvaise qualité.
La quévaise serait héritée du droit anglais du Haut Moyen – Age. Ces terres sont attribuées aux quévaisiers soit par une abbaye, celle du Relec ou celle de Bégard par exemple, soit par une commanderie de l’Ordre des Frères Hospitalier de Saint Jean de Jérusalem. La quévaise est une institution de droit privé mise en place surtout dans les Monts d’Arrée et dans une moindre mesure dans le Trégor.
À son apogée au milieu du XVIIe siècle pas plus de 1500 à 2000 quévaisiers auraient exploité ces terres ingrates sur quelques soixante-dix communes des Monts d’Arrée.
Agréments et désagréments de la quévaise.
Moines et Hospitaliers au nom du droit d’asile vont proposer à des indigents parfois dit-on a des malandrins repentis, une terre et un toit. Le quévaisier ne peut être expulsé de ces terres et de sa maison. Il n’est pas un serf mais un homme libre. À son trépas la quévaise sera transmise à son puiné et non à son aîné selon le principe dit de juveignerie.
En l’absence de descendance, terres et bâtiments sont récupérés par les propriétaires. Le quévaisier dispose en outre d’un courtil dont la superficie est égale à un journal c’est-à-dire à un lopin de terre pouvant être labouré en une journée.
Les contraintes ne sont pas loin de là négligeables. Le quévaisier ne peut évidemment pas vendre cette terre sans avis favorable du propriétaire et / ou sans s’acquitter d’une lourde imposition. Il ne peut bien sûr détenir deux quévaises. Les lopins ont par ailleurs tous la même superficie. Il est en outre interdit aux quévaisiers de dresser des barrières et / ou de lever des talus.
L’existence sur la quévaise est sans doute rude.
Chaque année le paysan s’engage à cultiver la moitié des terres les plus riches en céréales et en légumes. Ces terres sont désignées comme terres chaudes. Une partie de sa récolte sera prélevée par les moines ou les hospitaliers, sorte de taxe donc nommée champart *. Le paysan dispose également de terres froides. Ce sont par exemple des bois ou des landes sur lesquelles il peut conduire ses bêtes et cultiver de petites parcelles le plus souvent sur des sols ingrats. Il y pratique l’écobuage * qui participera à modeler ces paysages si prodigieux des Monts d’Arrée.
Fin de la quévaise
C’est aux environs de 1350 que la quévaise commence à se déliter. Elle perdurera dans les faits jusqu’au XVIIe siècle. Le servage est aboli en France par l’édit du 03 juillet 1315. Régime certes avantageux mais non exempt de contraintes la quévaise volera en éclat en 1789 lorsque l’Assemblée nationale Constituante la considérant comme un droit féodal l’abolira lors de la nuit du 04 août 1789. La question de la quévaise avait été très largement évoquée dans les cahiers de doléances des paysans de Bretagne. C’est la Loi du 25 août 1792 qui organisera le partage des quévaises entre tenanciers.
Lexique
Tenure : Terre concédée à un roturier.
Champart : Taxe payée en nature.
Écobuage : culture sur brulis.
Bibliographie
- Un monde rural en Bretagne au XVe siècle : la quévaise, Jeanne Laurent, Éditions des Hautes – Études en Sciences Sociales, 1972, 442 page
- La maison rurale du XIIe au XIVe siècle dans les Monts d’Arrée (Finistère). Les données des fouilles archéologiques, Michaël Batt, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 432 pages
Illustrations
Calendrier extrait du Rustican ou Livre des proffiz champestres et ruraulx ouvrage traduit en français en 1373 de Pietro Di Crescenzi (1233-1321) dit Pierre de Crescens.
Plan des bâtiments de l’ilot 1 extrait de l’ouvrage de Michaël Batt
Photographie #stephanebrousse