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Anna Vreizh (Anne de Bretagne)
Notre histoire nous a été volé. A partir de cela, j’ai donc envie de reprendre une parole de GLENMOR lorsqu’il put signifier lors d’une interview que pour lui, « la lutte pour la Bretagne est la lutte pour la démocratie ».
Mais puisqu’elle nous a été volée, je voudrais aujourd’hui soumettre à tous un exercice délicat d’éclaircissement autour finalement de l’image controversée par le flou dans laquelle on l’a mis, à savoir d’Anna Vreizh. Au gré de l’histoire, il apparaît que l’image d’Anna Vreizh fut très tôt incluse dans des opérations de récupération. La France en fit d’abord, une figure de paix, à l’origine de l’union de la Bretagne à la France, une image positive donc mais en même temps secondaire. Comme celle que l’on accorde à une femme qui n’eut de génie que de souscrire à un mariage supposé d’amour avec le roi de France.
C’était alors l’union d’une petite duchesse, à un royaume présenté comme puissant et riche.
Donc apportant presque à la Bretagne un avenir là où elle n’en avait, selon eux, pas. Par raccourci, pour ceux-là même la Bretagne était déjà un territoire affilié à la France, du fait d’un hommage-lige soit-disant rendu aux souverains français. Pour un peu, selon cette vision des choses, les Bretons étaient déjà des Français qui s’ignoraient.
Peu à peu ce récit se détériora, précisant de plus en plus de quelle manière, cette femme trouva les ressources pour affirmer son caractère et son pouvoir pour toujours continuer à servir son pays breton. Au début du XXème siècle, les nationalistes bretons reprirent donc d’elle, l’image « d’une duchesse aux sabots de bois ».
L’idée était ici d’alimenter l’image d’une souveraine proche de son peuple et de son pays.
L’historien Bardin la compara alors à Jeanne d’Arc.
Mais tout cela correspond-t-il vraiment à la réalité historique ?
Reprenons alors les faits.
Déjà, il convient de se rappeler qu’Anna Vreizh devint duchesse de Bretagne à douze ans. Suite à la mort de son père, le duc François II de Bretagne. Ce dernier avait alors été un duc qui défendit ardemment l’indépendance bretonne. Même s’il fit quelques erreurs de stratégies politiques. Il aurait même à sa mort fait jurer sa fille de défendre à son tour l’indépendance de la Bretagne. Peut-être est-ce pour cela qu’Anna Vreizh présenta ensuite la devise personnelle suivante : Non mudera (je ne changerai pas).
Son sens de la résistance n’était-il pas déjà inscrit à ces quelques mots ?
D’elle, il fut dit beaucoup de choses.
De son éducation, certains s’empressèrent de dire qu’elle ne parlait pas breton. Histoire sans doute de la rendre plus étrangère à son peuple en s’appuyant sur la représentation d’un pays nantais non-bretonnant (en partie discutable). Cette « analyse » demeure encore une fois incertaine. Car d’autres sources d’historiens ont pu dire le contraire. A ce sujet, il faut aussi rappeler d’autres éléments plus certains par contre.
Dont à savoir qu’Anna Vreizh avait reçu une très bonne éducation, parlant français, latin, le grec et l’hébreu. A côté d’elle, en comparaison, Charles VIII, pourtant roi de France, mais ne disposant pas de la même éducation, passait pour un parfait ignare, presque analphabète.
L’apparence physique d’Anna Vreizh fut même discutée.
Elle fut donc présentée comme pas très jolie et boiteuse. Tandis que d’autres en firent une femme élégante et belle. Il est probable que la vérité soit dans les propos de Zaccaria Contarini, ambassadeur de Venise, qui la décrit en 1492 : « a dix sept ans, … de petite taille, fluette, et elle boite visiblement d’une jambe, bien qu’elle porte des chaussures à haut talon pour cacher sa difformité. Elle a le teint foncé et elle est assez jolie. Sa finesse d’esprit est remarquable pour son âge et une fois qu’elle a décidé de faire quelque chose, elle s’efforce d’y parvenir par n’importe quel moyen et à n’importe quel prix. »
Quoiqu’il en soit, en devenant duchesse de Bretagne, la jeune Anna Vreizh et son mariage devint nécessairement un enjeu politique.
Pour les Bretons et pour les Français. Elle fut donc notamment fiancée dans un premier temps avec le futur Édouard V d’Angleterre, mais qui mourut trop tôt pour que cela puisse aboutir.
Elle fut ensuite mariée à Maximilien Ier d’Autriche. Ainsi la faisant Reine des Romains pendant un an. Par rapport à ces éléments, je voudrais déjà souligner un fait qui me parait étrange : Un futur roi d’Angleterre et un futur empereur des romains ? Des gens de ce rang se seraient-ils engagés par eux-mêmes avec une pauvre petite duchesse aux sabots de bois ? Cela ne démontre-t-il pas que la Bretagne était parfaitement un état souverain, et affichant une réelle grandeur ?
Autre point : nous pouvons remarquer de quelle manière Anna Vreizh en décidant à se marier à Maximilien Ier cherchait de toute évidence à s’allier avec un ennemi de la France. Bien sûr cela en vue d’obtenir un puissant allié à l’indépendance bretonne.
Malheureusement par la suite, il eut la défaite de Saint Aubin du Cormier / Sant Albin an Hiliber en 1488, qui imposa un mariage entre l’État breton et l’État français par respect au Traité du Verger signé en 1488. Cette défaite s’imposa malgré l’appui militaire (quoique trop faible) de la maison des Habsbourg et le ralliement du côté breton… du futur Louis XII, roi de France. Cocasse, non ?
Et la question cruciale de l’union/annexion, donc ?
Peut-on réellement imputer à Anna Vreizh la responsabilité de cette annexion ?
Quelques dates nous indiqueraient d’emblée que non. Ainsi le rattachement de la Bretagne à la France fut acté en 1532. Alors qu’Anna Vreizh était déjà morte depuis dix-huit ans ans. Soit quarante et un ans après la date de son premier mariage avec un roi de France qui était présenté comme ayant permis l’union.
Alors, que signifierait donc cet écart ?
Avançons…
Le mariage entre Anna Vreizh et Charles VIII fut parfois présenté comme un mariage d’amour par certains historiens, trop soucieux sans doute de préserver un caractère honorable à cette union. De toute évidence, il n’en fut rien. A ce moment-là, le choix pour la Bretagne était soit un mariage avec la France, soit l’acceptation d’un ravage militaire sur les terres et à l’encontre des populations bretonnes. Anna Vreizh qui ne manquait pas de maturité et de force de caractère, était de plus entourée de certains nobles bretons (notamment le maréchal de Rieux, tuteur d’Anna Vreizh) qui s’étaient ralliés au camp français grâce aux bénéfices de quelques pensions généreusement versées par la France.
Ce mariage fut donc en 1491 une obligation politique.
Mais à partir de laquelle la Bretagne voulut encore de préserver son indépendance. La cérémonie de ce mariage s’effectua quoiqu’il en soit. Non pas en terre bretonne mais au château de Langeais, en France. Ce détail a à mes yeux une valeur symbolique car il marque la manière autoritaire par laquelle la France voulut prendre possession de la Bretagne à partir de sa première représentante.
Le caractère contraint de ce mariage (que la Maison d’Autriche sans doute vexée alimenta aussi) fut si bien interrogé que le pape Alexandre VI, lui-même, s’en inquiéta. Anna Vreizh elle-même le rassura mais nous pouvons aussi imaginer qu’elle fit aussi en vue de préserver sa propre dignité.
Ce mariage ne fut cependant pas la marque d’une soumission totale.
Car il donna lieu à un contrat d’union « personnelle ». Ce qui veut dire que Anna Vreizh demeura maître en Bretagne jusqu’à sa mort. Même si une clause la liait à la France. Puisqu’il était précisé que si le roi décédait avant elle, qu’elle devrait se marier avec le prochain roi de France. Cependant le caractère personnel de cette union permit en attendant le maintien pour la Bretagne. Ce qui était nommées les « libertés armoriques ».
D’ailleurs, ce terme fut ensuite repris et revendiqué pendant la révolte des Bonnets Rouges. Par celles-ci, la liberté était accordée aux Bretons de rester Bretons. Nos institutions étaient préservées, nos lois (la Coutume de Bretagne) également, etc… Évidemment Charles VIII s’empressa vivement de malmener certains termes de cet accord. Mais il décéda dès 1498, en se cognant la tête à un linteau de porte.
Existe-t-il dans l’histoire une mort plus ridicule ?
Son mari de roi décédé, Anna Vreizh s’empressa tout de suite de revenir en Bretagne. Elle fit frapper une monnaie en or (une cadière) et décida d’aménagements nouveaux pour le château des Ducs de Bretagne à Nantes. Elle rétablit aussitôt les institutions bretonnes et marqua en cela, son autonomie et sa liberté retrouvée. Même si elle savait pertinemment qu’elle restait liée à l’obligation de se marier de nouveau au prochain roi de France. Et ce fut Louis XII. Celui-là même qui s’était battu pour la Bretagne à Saint Aubin du Cormier / Sant Albin an Hiliber.
Ce deuxième mariage cependant s’effectua cette fois-ci en Bretagne, au château de Nantes. Ce qui vint marquer un rapport de force plus équilibré entre les deux parties.
Là encore, un nouveau contrat (lettre traité de Nantes de janvier 1499) fut élaboré précisant treize clauses (que l’on peut retrouver sur internet).
Parmi celle-ci, Louis XII garantissait encore pour la Bretagne, la reconnaissance d’une administration propre, distincte de celle de la France. Ainsi que le maintien de la constitution bretonne, si chère aux Bretons. Par ce mariage, la Bretagne ne perdait donc pas en rien, son existence !! Pour Marcel Planiol, illustre juriste, ce mariage actait l’union personnelle de sa souveraine avec le roi de France. Mais sans que cela n’atteigne pour la Bretagne, son identité de pays. Puisque le contrat précisait clairement que Anna Vreizh en conservait personnellement la propriété.
Ce contrat stipulait par ailleurs que le deuxième des enfants du couple, mâle ou femelle, devait hériter de la principauté de Bretagne. Là encore, il est intéressant de noter que cette clause porterait surtout la marque de la coutume bretonne. Car après tout, la loi salique appliquée en France ne permettait pas normalement qu’un enfant femelle puisse hériter d’un trône.
Alors qu’en Bretagne, si.
Le couple Anna Vreizh/Louis XII fut semble t-il un couple au sein duquel Anna Vreizh sut afficher un fort tempérament, entendant encore régner en Bretagne.
Elle fut par ailleurs, une grande reine de France apportant un raffinement certain, favorisant les arts et la poésie et notamment Clément Marot, tout en se montrant proche du courant humaniste.
Loin d’être soumise, elle s’employa jusqu’à sa mort pour favoriser un mariage entre sa fille ainée, Claude, et le futur Charles Quint. C’était là encore une manière de permettre à la Bretagne d’échapper à la convoitise française. Son indépendance d’esprit était clairement maintenue. Tant et si bien que lorsque Louis XII tomba très malade en 1505, au point d’être considéré comme perdu, Anna Vreizh s’activa aussitôt à faire acheminer ses affaires vers « chez elle », en Bretagne. Elle aurait pu le faire si le Maréchal de Rohan-Gié (traître breton?) n’avait pas compromis ses plans.
Par la suite, finalement Louis XII ne mourra pas.
Le roi français pût donc donner Claude, la fille ainée d’Anna Vreizh à François d’Angoulême, futur, François Ier de France.
A ce moment-là, la Bretagne était toujours indépendante. Devenu roi à son tour, François Ier dut donc s’employer à quelques manœuvres des plus répugnantes. Devenu tuteur de la sœur de sa femme, Renée, elle-même héritière légitime de la Bretagne, il choisit de la marier avec un sombre et violent petit duc d’Italie (Ferrare). Alors que son titre pouvait lui permettre d’envisager de meilleur parti. Il la spolia de ses prétentions en la laissant dans l’ignorance. Ainsi faisant de sa femme Claude la nouvelle héritière de Bretagne. Pour être complet, il faut préciser que Renée intenta ensuite un procès à la France, bien des années après sous le règne de Charles IX.
Mais en vain.
Afin que toutes ces manigances lui permettent d’obtenir ce qu’il voulait, il ne restait ensuite à François Ier qu’à soumettre le Parlement de Bretagne réunie à Vannes à partir de largesses financières accordées à certains et grâce à une pression militaire déployée autour de la ville, pour que tous ces parlementaires en viennent à signer… l’union ou l’annexion ?
Quel terme serait le plus approprié ?
Quant à Anna Vreizh, si son corps ne put échapper à son obligation de reposer à la basilique des rois de France, selon ses dernières volontés, son cœur revint en Bretagne sous l’escorte de son fidèle et dévoué Philippe de Montauban. Celui-ci est désormais dans son écrin d’or au Musée Dobrée de Nantes et représente l’attachement d’une grande dame qui s’employa jusqu’à son dernier souffre à conserver l’indépendance à la Bretagne.
Pouvons-nous aujourd’hui oublier son acte de nous avoir offert son cœur ?
Enfin afin que la Bretagne reste parfaitement dans la postérité, elle commanda durant son existence trois histoires de Bretagne. D’abord une en 1498 auprès de Pierre Le Baud. Histoire qui servit certainement de bases de connaissances pour Bertrand d’Argentré dans la mesure où ce dernier était son grand-oncle. Puis une autre finalisée en 1514 auprès d’Alain Bouchard. Enfin une dernière en 1512 auprès de Jean Lemaire de Belges mais qui ne fut jamais éditée.
Que pourrions-nous finalement lui reprocher?
Au vu des faits, ne pouvons-nous pas dire que oui, Anna Vreizh a constamment œuvré pour le bien de la Bretagne ? Et qu’elle la servit avec honneur et dignité ? Ne pouvons-nous pas dire que de cette histoire, seules la brutalité de Charles VIII et la perfidie de François Ier sont à déplorer ?
On voit l’intérêt de la France de nous éloigner de notre histoire, par différents procédés. Comme en imposant une version officielle. Également en décrédibilisant les apports nationalistes de l’opprobre d’une subjectivité supposée en vue de créer la confusion.
Il est vraisemblable que nous ayons à reprendre notre grande Histoire afin de la comprendre objectivement sans aucun mauvais prisme.
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1 commentaire
À lui seul, le fait qu’Anne ait rétabli la chancellerie de Bretagne dès le 9 avril 1498 (soit 48h après la mort de Charles VIII) au profit de Philippe de Montauban (homme de confiance s’il en est, durant toute la vie d’Anne) suffit à prouver son caractère et son attachement à l’indépendance de la Bretagne. En femme de devoir, elle a porté le deuil de Charles VIII (faisant de grandes affectations de tristesse pendant 24h et refusant de manger), mais n’a pas attendu plus qu’il n’en faut pour reconstruire ce que Charles VIII avait détruit au sein des institutions bretonnes. Entre cela et le contrat de mariage de 1499, il n’y a aucune raison de mettre en doute ses intentions concernant la Bretagne. Elle tint son rôle de reine de France comme il se doit, mais fit tout ce qu’elle pouvait pour la Bretagne.