Je viens de terminer les six cent pages de ce livre Breiz Atao ! tiré d’une thèse de Sébastien CARNEY. Et présentée sous la direction de Daniel LE COUEDIC. Ce travail exceptionnel n’a pas suscité l’enthousiasme dans le mouvement breton, et pour cause !
Il s’agit de suivre minutieusement le parcours de quatre leaders nationalistes bretons de leur enfance jusqu’à leur fin. Tout en présentant les contextes et influences intellectuelles de leur époque.
Sommaire
L’héritage des Breiz Atao est un fait
Tout d’abord et dans les faits, leur influence sur le régionalisme contemporain et ce qu’on appelle l’identité bretonne aujourd’hui, est évidente.
- le panceltisme et la relation avec les pays celtiques bien avant le FIL de Lorient ;
- l’introduction de la cornemuse écossaise dans la musique bretonne et la mise en place des premiers orchestres de type « bagadoù » ;
- l’invention du Gwenn ha Du, le drapeau moderne de la Bretagne ;
- la création des cartes de la Bretagne historique à diffuser dans les écoles ;
- les premiers cours de langue bretonne dans les écoles (surtout privées) ;
- la modernisation de la langue bretonne et son unification ;
- les origines du ZH dans le BZH ;
- l’émergence d’une littérature bretonne ;
- le premier Conseil Culturel de Bretagne ;
- les premiers journaux régionalistes et notamment « La Bretagne » ;
- les premiers attentats avec le groupe « Gwenn ha Du » et non le FLB Front de Libération de la Bretagne.
Mais également
- la première radio diffusée en breton.
- les premières revendications pour la réunification de la Bretagne mais aussi volonté d’étendre la Bretagne à l’Armorique sous forme de conquête (sic !)
- les premiers partis politiques, autonomiste puis nationaliste ;
- les premières élections et notamment à des législatives ;
- le terme de « Bretagne colonie » inventé par MORDREL en premier et non l’UDB ;
- les relations entre « minorités nationales » en France et en Europe bien avant Peuple et Régions Solidaires et l’Alliance Libre Européenne ;
Il y a donc bien continuité … Et pourtant, elle n’est pas acceptée car les idéologies qui ont porté ces inventions dans leur contexte étaient loin d’être démocratiques, comme partout en Europe à cette époque.
Les doctrines personnalistes
Ces militants nationalistes de Breiz Atao n’ont jamais créé une idéologie particulière à la Bretagne. Ils ont surtout été influencés par la diversité des mouvements d’idée de leur époque et elles y sont toutes passées, du communisme au personnalisme, à l’exception du libéralisme et du républicanisme démocratique issus de la Révolution Française …
On peut y voir un MORDREL marqué par l’avant garde moderniste la plus innovante, basculer sans ambages vers le communisme puis le national-socialisme, tout en intégrant les différents points de vue personnalistes …
Un des points de la thèse met en avant le « complexe de Mars » : ces jeunes gens n’ont en effet pas eu « la chance » de participer à la 1ère guerre mondiale (« génération inutile ») alors que les valeurs portées par la société étaient alors très guerrière et héroïque. D’où cette revanche psychologique de s’engager sur la scène publique dans d’autres combats …
Reprendre en mains le pays …
Ces militants bretons de la première heure ont été fortement influencés par la suite par les mouvements anti-conformistes des années trente, aristocratiques et élitistes, ils voulaient en découdre avec le monde bourgeois libéral et reprendre en mains le pays en proie à la « décadence » (Spengler). Le personnalisme fut le courant le plus nourri (voir Ordre Nouveau) :
- anti-jacobin (abstrait) et pour partir du réel (réalisme) ;
- et anti-étatique et plutôt fédéraliste sur la base de communautés locales et régionales organiques ;
- anti-libéral / anti-capitaliste et plutôt en faveur du planisme et du corporatisme sur la base des métiers ;
- ainsi qu’anti-parlementaire et en faveur de l’élitisme dirigiste ;
- anti-démocratique et en faveur d’une aristocratie qui donne le cap ;
- et anti-matérialiste / anti-utilitariste et plutôt spiritualiste ou même religieux ;
- enfin, anti-productiviste et donc peu favorable à l’économie de masse portée par la puissance du capitalisme uniformisateur
Mais pas seulement.
Il y avait également la volonté de rechercher l’essence de la Bretagne. Puisque le monde était en pleine modernisation. Et que le passé allait disparaître ou encore se patrimonialiser, il fallait alors justifier l’identité d’une autre manière, soit par la race (science) ou soit encore le mysticisme (ésotérisme). Finalement, le racialisme tenait peu la route d’autant plus que certains de ces militants bretons avaient des origines héréditaires. Non pas seulement celtique mais aussi latine (Mordrel). C’est la langue qui deviendra alors le moyen de porter l’identité puisque, pensait on, elle traduisait aussi l’esprit du peuple ! Puis elle fut modernisée avec l’unification, non sans conflit, des dialectes bretons.
Les tentatives de collaboration avec le régime de Vichy, et l’Allemagne surtout, réussies ou non, ont été évidentes tant d’un point de vue intellectuel que dans la praxis. Au demeurant, ni le régime de Vichy et ni l’Allemagne n’ont pris vraiment au sérieux les revendications et les agissements de ces chefs nationalistes bretons. Souvent en conflit les uns avec les autres et avec lesquels toutefois des contacts étaient réguliers et les actions maigrement subventionnées. Ce livre Breiz Atao remet donc sérieusement en cause les fantasmes de l’essayiste Françoise MORVAN …
Quelle influence aujourd’hui ?
Un autre livre sous forme de suite pourrait nous en apprendre beaucoup sur le revival des années 60-70 et la situation actuelle du mouvement breton. L’influence du personnalisme ne s’est certainement pas arrêtée là. Car elle s’est étendue au mouvement économique (Célib, Datar …), européen (DELORS, De ROUGEMONT …), démocrate-chrétien et surtout écologiste. Ce dernier en a largement repris le flambeau. En imposant une certaine conception du régionalisme qui n’a rien à voir avec les nationalismes à l’oeuvre en Écosse et en Catalogne. Qui sont bien plus influencés par les idées modernes des Lumières, la défense des intérêts et le civisme politique … que par le retour au moralisme spirituel.
Quid des partis régionalistes bretons aujourd’hui et quelles sont leurs doctrines ou mystiques ?
Quelle influence du personnalisme ?
Progressisme ou conservatisme ?
La réponse n’est pas évidente et une étude mériterait d’être approfondie …
A lire également
Le Retour de « L’Ordre Nouveau », Les métamorphoses d’un fédéralisme européen, Jean JACOB aux Éditions Droz.
« On tarde encore à prendre l’exacte mesure de ce qui s’est passé dans la foulée de Mai 68. La contestation du pouvoir en place s’est en effet, alors, progressivement orientée vers la dénonciation d’une modernité trop artificielle, trop matérialiste. La contre-culture et l’écologie politique naissante ont ainsi souvent magnifié la nature et parfois encensé un mode de vie communautaire. Cela n’a pas échappé à plusieurs anciens non-conformistes, jadis hérauts d’un Ordre Nouveau, qui se joindront opportunément aux contempteurs du pouvoir gaulliste pour se refaire une virginité politique. Aujourd’hui, le constat s’impose : la greffe a totalement réussi. C’est dans les rangs alternatifs et écologistes que l’on trouve des réminiscences de personnalisme communautaire et fédéraliste. On y fustige en effet, comme jadis Denis de Rougemont, Bernard Charbonneau ou Jacques Ellul, le productivisme, la droite et la gauche, l’Etat-Nation… Ainsi l’irruption de la nature à gauche de l’échiquier politique a-t-elle permis à des théories conservatrices de revenir massivement sur le devant de la scène en se parant d’atours progressistes. »
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« du républicanisme démocratique issus de la Révolution Française … »
Connaissez-vous le texte de Debray : « Etes vous démocrate ou républicain ? » ?
« L’idée universelle régit la république. L’idée locale régit la démocratie. Ici, chaque député l’est de la nation entière. Là, un représentant l’est de sa seule circonscription, ou « constituency ». La première proclame à la face du monde les droits de l’homme universel, que personne n’a jamais vu. La seconde défend les droits des Américains, ou des Anglais ou des Allemands, droits déjà acquis par des collectivités bien limitées mais réelles. Car l’universel est abstrait et le local concret, ce qui confère à chaque modèle sa grandeur et ses servitudes. La raison étant sa référence suprême, l’État en république est unitaire et par nature centralisé. Il unifie par-dessus clochers, coutumes et corporations les poids et mesures, les patois, les administrations locales, les programmes et le calendrier scolaires. La démocratie qui s’épanouit dans le pluriculturel est fédérale par vocation et décentralisée par scepticisme. « A chacun sa vérité », soupire le démocrate, pour qui il n’y a que des opinions (et elles se valent toutes, au fond). « La vérité est une et l’erreur multiple », serait tenté de lui répondre le républicain, au risque de mettre les fautifs en péril. Le self-government et les statuts spéciaux ravissent le démocrate. Ce dernier ne voit rien de mal à ce que chaque communauté urbaine, religieuse ou régionale ait ses leaders « naturels », ses écoles avec programmes adaptés, voire ses tribunaux et ses milices. Patchwork illégitime pour un républicain. »
http://sophi.over-blog.net/article-36984148.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20150428.OBS8077/etes-vous-democrate-ou-republicain-par-regis-debray.html
Le « jacobinisme », idéologie élaborée et mise en pratique durant la Révolution française, n’était pas démocratique, au sens fort, même s’il devait s’accomoder des élections. Le modèle de Lénine et des bolchéviques, c’est Robespierre et les jacobins.
https://postcolonialbrittany.wordpress.com