on ne naît pas Breton

« On ne naît pas Breton, on le devient … »

de Yoran Embanner

Nous vous proposons trois extraits du livret Communauté de destin, de Alan Le Cloarec, chez Yoran Embanner, l’Éditeur des Peuples Oubliés

L’être soi

Ainsi nous pensons.
Sur les pas de Simone de Beauvoir, Xavier Grall disait « On ne naît pas Breton, on le devient, à l’écoute du vent, du chant des branches, du chant des hommes et de la mer ». Loin de lui l’idée que les racines ne sont rien, bien au contraire, Grall nous éclairait ainsi d’une vérité nue. Sans le souffle et le mouvement, il n’y a plus rien.

Sans la forme de vie d’une âme consciente, puissante, sans la sève, la racine n’est plus grand-chose. Elle est la proie des semeurs de mort venus de France qui pourraient bien nous laisser le souvenir des racines, tant que celles-ci ne donnent pas de nouvelles pousses.

Certains de nos compatriotes se satisfont ainsi de leurs racines, les pensent immuables. Il est alors facile de se faire berner par l’idée française, dans l’illusion qu’ils peuvent être de Bretagne par leurs racines, Français par le reste. Sauf que la France, elle, par sa tradition, déracine.

Penser l’appartenance à la communauté de destin bretonne, ce qu’elle est, renvoie donc à appréhender comment elle se manifeste. Penser qui est Bretonne et Breton, c’est tout d’abord se demander qu’est-ce qui nous fait Bretonnes et Bretons.

Ainsi nous faisons.
Sur sa terre comme dans sa diaspora, existe encore grâce à la transmission, le mouvement qui va des racines à l’être présent. Il ne suffit pas de venir de ce pays pour en être pleinement, car notre peuple, comme tout autre peuple, survit par le mouvement des racines à l’être, du passé au présent. Nous sommes dominés, c’est un fait, depuis longtemps notre survie dépend de notre résistance.
C’est pour cela que nous faisons, encore et toujours, que nous transmettons, de la racine à l’être, cette volonté de vivre qui transperce les siècles.
Nous faisons seuls, vaille que vaille, nous faisons par la communauté.
Encore et toujours, nous continuons ainsi à être. Il est là notre héritage constitutif : faire pour ne pas se laisser faire.

La Bretagne comme un rêve
« Plus on est enraciné, plus on est universel », Charles Le Goffic, poète breton

L’être commun

Qui compose, de façon très concrète, cette Bretagne que nous connaissons ? La trinité serait sans doute le mot qui lui conviendrait le mieux, celle de la terre, des corps et des cœurs.

Au commencement bien sûr était la terre.
Ce n’est pas une question de géographie, c’est un lien physique, charnel avec un pays. Ce sont tous ces nôtres qui ont toujours été là. C’est le socle inamovible, celui qui permet de penser, d’affirmer, de revendiquer qu’il y a bien une communauté de droit sur cette terre : le peuple breton. Celles et ceux dont les racines ont toujours été ici, tout au moins aussi longtemps que l’on s’en souvienne. Accroché à son village, à sa ville, ou déplacé, mais toujours en Bretagne, car on est toujours chez soi sur la terre où l’on a grandi. Certains ont donc des racines anciennes, d’autres plus récentes, d’une, deux générations ou plus, mais qui ont aussi poussé dans le sol du pays. De fait, ils ont la même expérience concrète de la terre que celles et ceux dont les anciens y étaient depuis plus longtemps, à condition, d’un côté comme de l’autre, d’écouter et de s’ouvrir pleinement au chant de la terre. Et il faut lutter de nos jours, pour prêter une oreille attentive à ce murmure qui devrait s’imposer naturellement, car la société française dans son ensemble, appelle à écouter autre chose, le chant mercantile de l’intérêt, de l’individualisme et du déracinement.

La terre dépasse en effet la question des ancêtres et des identités, particulièrement en Bretagne où elle façonne tout.
Les frontières n’y sont pas mouvantes au cours des siècles comme celles des pays voisins. Au contraire, elles forment les contours du pays sans changer jusqu’à disparaître dans l’annexion française. Ici la terre est donc facilement saisissable, on sait ce qu’est la terre bretonne et il faut tous les efforts de l’administration pour démembrer un pays qui a toujours fait sens tel qu’il est.
Le rapport à la terre s’en trouve donc renforcé, par l’écoulement du temps. De vivant il se fait viscéral. En cela l’expérience de la terre est celle qui unit toute une génération qui a grandi dans le même pays, à la même époque, qui y a vécu et ressenti les événements en commun, ainsi que le lien entre les générations, qui sur la même terre y ont vécu d’autres époques et événements.

Dans cette trinité de l’appartenance, la terre est le premier pilier sur lequel tout peut se construire. Aucune idée politique bretonne n’existerait sans cette caisse de résonance avec le réel, avec ce lien particulier qui relie le mouvement national et le peuple breton. Quand le mouvement parle de logement, son message grandit en force par l’écho de toutes les expériences concrètes vécues. De même quand il parle d’autonomie, l’expérience commune de la terre résonne dans le sentiment partagé que la Bretagne est plus qu’une région, qu’elle est un pays, que les Bretonnes et les Bretons forment un peuple. Le vécu sur cette terre bretonne fait naître l’idée aussi bien que le murmure collectif qui l’approuve, jusqu’à ce que l’idée, grandissant par les réponses qu’elle apporte, se fasse réalité dans les victoires politiques.

L’autre et le soi

L’idée défendue par Xavier Grall, on ne naît pas Breton on le devient, pose une idée neuve sur une pratique spontanée que la Bretagne a faite sienne depuis longtemps. Que l’on regarde dans l’histoire qui nous précède ou autour de nous, il n’y a aucune difficulté à trouver des exemples de la capacité de notre communauté à intégrer de nouveaux membres. C’est d’ailleurs bien le signe d’une vitalité certaine, car on ne peut intégrer qu’à une communauté encore vivante.

Néanmoins, toute réflexion sur la nature de l’appartenance à la Bretagne ne peut s’envisager sans être mise en perspective avec la situation concrète que nous connaissons dans ce début de XXIe siècle. L’élément fondamental qui se relève de l’actuelle spéculation immobilière, crise du logement et colonisation de peuplement, est révélateur de politiques publiques anciennes et bien particulières.
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Historiquement, la Bretagne est une terre calomniée dans l’esprit français.
Selon cette conception, c’est une « province » lointaine, pendant longtemps officiellement « réputée étrangère », vue comme misérable, au point de vue économique, politique et culturel. L’image négative forgée par des siècles de mépris n’avait pas pour but d’attirer une population française en Bretagne, mais bien au contraire, à intégrer cette dernière à l’espace et à l’esprit français. Traditionnellement, il était entendu que la Bretagne était à vider de ses forces vives pour les envoyer vers les centres urbains et les bassins industriels, ou les champs de bataille plus ou moins lointains.

Ne devait rester au pays qu’un minimum d’autochtones à même de faire tourner la Bretagne vers ce à quoi elle était destinée : l’agriculture et le tourisme. Pour l’agriculture, le remembrement et la mécanisation des exploitations qui l’accompagnait, réduisaient la main-d’œuvre nécessaire aux travaux des champs. Le reste pouvait partir vers l’immigration. Sur les côtes, le surplus de main-d’œuvre était alloué au tourisme. D’un côté, le maillage traditionnel du bocage était mis à terre par les bulldozers et le modèle agricole des petites exploitations familiales était remplacé par une concentration de fermes toujours plus grandes. De l’autre, tout ce qui pouvait trouver un intérêt en termes de paysages et de villégiature devait se mettre au service du tourisme.

Agriculture et tourisme sont devenus les matrices de l’aménagement de la Bretagne, tout y est fait pour l’un ou pour l’autre. D’un côté, nous devons être une réserve de production de nourriture, produire bien trop par rapport à ce que la terre peut supporter, afin de mieux exporter vers la France, l’Europe, le monde. D’un autre côté nous devons attirer toujours plus de touristes, bien trop par rapport à ce que le peuple et sa terre peuvent supporter. Dans un cas comme dans l’autre, le phénomène est conçu dans une optique typiquement capitaliste : il en faut toujours plus, plus de productions agricoles et agro-alimentaires, et plus de touristes, toujours plus de touristes. Il n’y a aucune limite ni aucun objectif derrière cette stratégie autre que celle d’une Bretagne devant servir les intérêts français et générer toujours plus de profit, sans considération des attentes et des besoins du peuple breton, ni des conséquences pour le pays.

On ne naît pas Breton
Communauté de destin, de Alan Le Cloarec, aux Éditions Yoran Embanner

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1 commentaire

Thomas 7 janvier 2024 - 22h00

Bravo et merci pour ce bel article qui donne envie d’acheter le livre d’Alan Le Cloarec (et que je vais acheter !)
Je suis tombé dessus par hasard peu de temps après avoir réécouté la chanson de Tri Yann « La découverte ou l’ignorance » et qui fait grandement écho à cet article…

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