Sommaire
Archibald
Je me réveillais avec la tête qui tournait. Il me fallut quelques secondes pour me remémorer les événements de la nuit dernière. Je regardais la montre posée sur ma table de chevet et je souriais. Aujourd’hui, j’allais voir mon oncle. Je regardais la pendule accrochée sur le mur et je vis qu’il était onze heures du matin. Je m’habillais rapidement, je n’oubliais pas d’accrocher la montre à la poche de mon pantalon, je me regardais dans le miroir comme je faisais chaque matin et quand je décidais que j’étais assez bien habillé, je descendis dans la salle à manger. Marthe avait déjà tout préparé. Les tartines, les œufs, les saucisses, tout était prêt.
– Bonjour. T’as bien dormi ? Me demanda-t-elle sans la courtoisie inappropriée.
– Très bien, merci, lui dis-je. – Où était-il donc ? me demandais-je. Je m’assis sur la chaise à côté de celle qui était au bout de la table. Mon oncle avait pour habitude d’y présider. La porte s’ouvrit et il entra. Archibald était fort bien habillé dans son beau costume noir. Il avait une belle barbe blanche et le peu de cheveux qui lui restait étaient peignés en arrière. Comme je l’avais prédit, mon oncle s’assit en bout de table, à ma gauche.
– Comment allez-vous mon oncle ? demandai-je.
– Je vais aussi bien qu’hier, mon petit, me répondit-il. À ce moment, je me rendis compte que j’étais déjà arrivé ici il y a quelques jours. Mes souvenirs de ces jours-là étaient ceux de l’enterrement. Mais bien évidemment, j’avais changé tout cela et Marthe et Archibald ne devaient pas avoir les mêmes souvenirs que moi.
– Bon appétit Messieurs ! déclara Marthe avant de s’en aller.
– Tu plaisantes, lui dis-je. Viens manger avec nous. Elle avait l’air aussi surprise qu’Archibald mais on passa un très bon repas tous les trois. Après nous sommes allés nous balader dans les immenses jardins de mon oncle mais Marthe refusa de nous accompagner. Je passais une journée magnifique, extraordinaire même. Pourtant, je me suis juste baladé et j’ai juste discuté pendant l’après-midi, mais j’ai fait tout ça avec mon oncle. Quel bonheur de le voir marcher. Quelle joie j’avais de l’entendre parler. Ce soir là, il demanda une tisane comme il en avait l’habitude. J’en demandais une aussi et cette fois c’est Archibald qui invita Marthe à s’en faire une. On discutait tous les trois et on jouait aux cartes sur la table basse en bois. Marthe avait l’air très contente. On n’avait pas encore fini nos tisanes qu’Archibald éternua très bruyamment. Il éternua encore, et encore une fois.
– Je ne me sens pas si bien, dit-il. Je vais me coucher. Il termina sa phrase en éternuant de nouveau. Marthe accompagna Archibald jusqu’à sa chambre et elle alla se coucher. Je fis de même. J’avais peur qu’Archibald meurt une deuxième fois. Je pris la montre. Elle était glaciale dans ma main. Je pensais à mon oncle, à ce qu’on avait fait ensemble aujourd’hui. J’appuyais sur le petit bouton et j’entendais à nouveau le clic. Je tournais les aiguilles dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et je sentais la fraîcheur disparaître. Je me sentais soulagé. Cette montre était vraiment un objet extraordinaire…
Les Signes
Le lendemain matin, je me levai et vis qu’il était déjà midi. Je me lavais rapidement, et m’habillais avec les même vêtements que la veille, toujours avec la montre. Je me regardais dans le miroir. Je ne voyais rien. Tout était flou. Je m’avançais plus près du miroir mais ma vue ne s’arrangeait pas. Je reculais un peu du miroir et je me vis enfin. Je devais être presbyte. Je ne m’en étais jamais rendu compte. En me penchant un peu, je vis que j’avais du poil brun au menton. – Il faudrait que je me rase, me suis-je dis. Je descendais au salon car, à cette heure-là, le petit déjeuner devait être terminé. Marthe était assise sur le canapé en train de tricoter et Archibald lisait un journal sur le même fauteuil où je m’étais assis à mon arrivée le premier jour.
– Tu t’es encore levé tard Axel. Comment ça va, mon garçon ? dit-il quand je m’assis à côté de Marthe.
– Aussi bien qu’hier, lui rétorquai-je. Cela fit rire tout le monde. Marthe me regardait un peu surprise.
– Tu as un cheveu blanc ! dit-elle. Marthe se pencha et l’arracha.
– En effet, répondis-je.
– Je ne te savais pas si vieux, se moquait-elle.
– Je suis toujours dans la pièce, Marthe, dit Archibald avec un petit sourire. À son tour de nous faire rire. Arrivé le soir, Archibald recommençait à tousser lourdement. Marthe l’accompagna jusqu’à sa chambre et redescendit. Nous buvions nos tisanes tous les deux. Dans le silence, on entendait les feuilles des arbres dans le vent.
– J’ai un peu peur pour lui, je t’avouerais, dit Marthe en brisant le silence.
– Pourquoi ? Lui demandai-je, en craignant sa réponse.
– Avant que tu ne viennes, ça faisait déjà quelques jours qu’il toussait. Il n’est pas bien. Je pense qu’il est malade et… et… Il est vieux tu sais? conclut-elle.
– Je sais, répondis-je. On alla se coucher sur cette triste note, mais je fus à peine rentré dans ma chambre que je sortis la montre. J’entendais encore le – clic et je tournais encore les aiguilles. La montre redevint chaude puis se refroidit. À quoi cela servait, me demandai-je. Tous les soirs il tombe malade. Tous les soirs il n’est pas bien et tous les soirs je dois tourner les aiguilles, pensais-je. Il faudrait pouvoir le faire une bonne fois pour toutes. Je regardais la montre. Je tournais les aiguilles dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pendant au moins quatre minutes. La montre devenait chaude. Elle restait chaude pendant très longtemps. Je me demandais si elle allait refroidir quand soudain, elle se rafraîchit. Ce soir là, j’eus du mal à m’endormir. J’avais mal un peu partout…
Le lendemain, je me réveillais encore plus tard que d’habitude. Le fait d’utiliser la montre devait me fatiguer. Je décidais d’aller me raser. J’allais jusqu’à la salle de bain où j’avais posé mon rasoir et mon savon. J’allais étaler le savon sur ma petite barbe brune, quand je m’aperçus qu’elle était blanche et grise. Que se passait-il ? Que m’arrivait-il ? Comment était-ce possible ? Hier seulement, ma barbe était brune. Je me rasais rapidement comme pour enlever les traces d’un crime. Je m’habillais et me regardais dans le miroir avec difficulté: Il faudrait vraiment que je m’occupe de ma vue et je vis des rides sur mon visage. Je devais rêver. Comme c’était étrange. En descendant les escaliers je me rendis compte que j’avais vraiment mal au dos. Je devais avoir des courbatures. Une fois descendu, une toux inexplicable me prit. Je toussais et toussais. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’allais dans la cuisine. Il n’y avait évidemment personne car il devait être quatorze heures. Je pris une pomme pour avoir quelque chose dans l’estomac. En sortant de la cuisine je vis Marthe arriver chargée de sacs. J’en pris un ou deux pour l’aider et on les amena dans la cuisine.
– Où étais-tu, Marthe ? lui demandais-je.
– Je suis allé au marché, me dit-elle en commençant à ranger les courses. J’ai eu tellement peur à un moment. Un vieux monsieur tenait un chien en laisse qui aboyait tellement fort, j’ai cru entendre les cris d’un cerbère.
Je sentais mon corps se figer. J’étais paralysé par la peur.
– Tout va bien ? me demandait Marthe en se retournant.
– Oui. Enfin, non. Tu as du papier quelque part s’il te plaît ? lui demandais-je.
– Il y en a dans le salon, je crois. Axel, tout va bien ? Tu as des ri… me dit-elle avec un regard perplexe.
– Merci Marthe, la coupai-je. J’allais jusqu’au salon où mon oncle était en train d’écrire sur un petit livre en cuir.
– Bien dormi, mon enfant ? dit Archibald en gardant ses yeux fixés sur son livre. Je pris un morceau de parchemin et une plume qui étaient posés sur la table basse.
– Oui. Très bien, merci. Enfin non, pas très bien, lui répondis-je. Archibald me lança un regard inquiet.
– Tout va bien, Axel ? Mais je n’entendais plus rien. J’essayais de réécrire de mémoire :
Mort, rien que ce mot te fait trembler,
Encore un autre qui a peur des
‘Urlements du Cerbère qui
Rage sur les esclaves de l’Enfer;
Souffrants, à tout jamais …
Mort est la cause de ta souffrance,
Et que fais-tu, toi ?
Utilise moi, utilise moi !
Rien n’est plus terrible que l’Enfer et ses diables,
Sauve, sauve le, signe, avant qu’il ne soit trop tard…
Moi seul puis empêcher les démons des
Enfers de prendre ton aïeul, signe, signe ou les
‘Urlements de Satan
Régneront sur son âme à tout jamais ;
Signe, signe, sauve le, je suis ta seule chance !
Ce qu’avait dit Marthe m’avait remis en mémoire ces poèmes dans l’office de l’homme à capuche, et quand je les avais devant moi, je compris la vérité.
Mort, rien que ce mot te fait trembler,
Encore un autre qui a peur des
‘Urlements du Cerbère qui
Rage sur les esclaves de l’Enfer;
Souffrants, à tout jamais …
Mort est la cause de ta souffrance,
Et que fais-tu, toi ?
Utilise moi, utilise moi !
Rien n’est plus terrible que l’Enfer et ses diables,
Sauve, sauve le, signe, avant qu’il ne soit trop tard…
Mais je peux empêcher les démons des
Enfers de prendre ton aïeul, signe, signe ou les
‘Urlements du Cerbère
Régneront sur son âme à tout jamais ;
Signe, signe, sauve le, je suis ta seule chance !
J’avais fait un pacte avec le démon…