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Eugène Aulnette est né en 1913.
La grand place de Beauregard lui est dédiée, à deux pas du Frac et des alignements d’Aurélie Nemours. Il y a loin de cet art sériel et linéaire aux formes d’Eugène Aulnette même si l’une et l’autre de ces formes sont du même granit !
Eugène Aulnette est né au Sel de Bretagne, il y est mort en 1991.
Dût-on le résumer que ce serait à deux actes essentiels : sculpter le bois et la pierre, tout depuis le soufflet, le battoir des lavandières jusqu’aux calvaires gigantesques et second acte, agi simultanément : sculpteur de liens ! Sacré sculpteur, donc !
Il a aussi sculpté l’âme de son village, où il a fondé une sorte de république à part, bretonne sans doute, spirituelle et tolérante, ouverte et quelque peu provocatrice ! Sur le millier d’habitants, combien sont venus grâce à lui, y sont restés, ont décroché la caravane et la posant définitivement près d’une maison, combien doivent à ce sacristain très singulier et au Camping gratuit qu’il avait affiché le long de la RN 177 !
Gratuit, le mot est lâché
Eugène Aulnette a voué sa vie à cette gratuité, dût-elle en coûter à sa famille. Le pain était quelquefois rare mais toujours partagé ! Le voyageur, Aulnette l’arrêtait, l’invitait à boire un caro ! Les saints trouvaient leurs gabarits dans les passants qui passaient !
Certains se disent après coup qu’avec « tous les repris de justice » venus au Sel, tous les TIG accueillis pour restaurer chapelles ou vieux puits, combien ce village contribua à être une utopie.
Enfance plus que pauvre autant qu’on pouvait l’être dans ces campagnes. Enfance à se faire tancer au retour des champs par un père qui entreprenait son fils sur tous les travaux pas faits. Lequel fils cachait profond au fond de ses poches les bâtons sculptés, les souches creusées ou les torsades et autres rosaces creusées.
Comment ses parents si pauvres le laissent aller au collège à Rennes ?
Mystère de certains paysans ou force de conviction d’un garçon pour qui l’étude et la spiritualité étaient un chemin. Suivent les Beaux Arts à Rennes dont il passera sa vie à se désacadémiser.
Dommage qu’Aulnette soit arrivé au métier de la sculpture un peu trop après les Seiz Breur* et juste avant le formica ! Les menuisiers des villages alentours lui apportent les façades d’armoires, ou le célèbre sculpteur Creston. Il sculpte tout, les manteaux de cheminée, les rampes d’escalier, le sacré est sa forme. S’ensommeillent désormais dans les granges ou les arrières de maison nombre de lits et de coffres que l’esthétique d’Aulnette a transfigurés.
Les deux rives du fleuve aulnettien sont la foi et la Bretagne.
Sa « conversion au celtisme », voilà l’expression en usage au Musée qui lui est dédié au Sel de Bretagne. C’est dans son village qu’un de ses fils mourra à l’âge de huit ans. Pas un jour de sa vie, quelle que soit l’heure où il rentrait, il ne passera un moment près de la tombe de Jean Yves.
La foi est tournée vers cette Bretagne dont chaque semaine il pavoise les rues du Sel ! Imaginez le tableau ! Le village avec ses Gwenn ha Du, bien avant le revival breton ! Que fait Aulnette demande-t-on aux gens du village ? « Le matin il monte le bourg avec ses drapeaux et ses statues et le soir il la redescend en les enlevant… »
Drôle de métier pour celui dont les gouges, le burin ou la massette prolongeaient la main. Nombre de communautés bretonnes comptent dans leur cour ou leur cloître de ses oeuvres, souvent peu voire pas payées : « vous comprenez, lui disait le curé ayant passé la commande, c’est que mes paroissiens n’ont pas été si généreux ». Lui, l’homme du gratuit ne s’en formalisait pas, les assiettes des enfants, si.
L’œuvre est ainsi, disséminée aux quatre vents de Bretagne.
La Bretagne, voilà la seconde utopie !
Un bocage intact, un environnement respecté, c’est ce que cet écologiste prémonitoire, avec toutes ses ruses et ses deux ânes a imposé. Le remembrement, pourrait-on dire, l’a tué ! Ou fatigué, lui l’infatigable ouvreur de chemins : pour conserver les droits de passage, les us et coutumes des cheminements, Aulnette attelait ses deux ânes à la charrette. Et il hantait les campagnes, glissant son convoi sous les têtards afin que soit coûte que coûte maintenu ce qui ne se nommait ni GR ni PR ! Ne dit-on pas que bien après 1991, date de sa mort, les deux ânes dont Chaton, le plus vertueux et rétif, qu’affolait les lignes blanches des stop nouvellement tracés, ne dit-on pas qu’ils allaient contre le mur du cimetière, où est enterré leur seul maître à bord.
Aulnette avait cette intuition des paysages et celle des gens. Le sculpteur était aussi footballeur et dans la baraque de bois récupérée après guerre, il en fit un vestiaire, une maison des jeunes et c’est là que les veillées ont pu s’éterniser avec le violon gitan de Jean Varambier, l’ami vannier et si proche en mystique.
Eugène Aulnette a un nom d’arbre mais c’est dans les essences plus dures ou les pierres âpres qu’il a tracé des traits, formé des saints, appelé par « ce qui dépasse » ainsi que le dit Marie Thérèse sa fille aînée.
L’artiste a donné des visages à la pierre, au schiste ou au plus rude granit, il a sublimé le bois
Des milliers d’œuvre dont la sérénité semble le trait commun. Il a fait feu de toute matière, un os à moelle, allez donc, voici sur lui de sculptés deux visages, des sabots, des pelles ou des objets de cuisine, tout était bon !
Aulnette divisait par ses provocations et rassemblait par la force de ses fêtes et le plaisir du partage. Ses grosses têtes et les flonflons, tous gardent en mémoire les fêtes du Sel et les huit chars qu’il engageait: « on n’y arrivera jamais » se décourageaient les villageois et puis tous y arrivaient ! Les feuilles de journal s’encollaient, la peinture donnait des couleurs. Aulnette ne sculptait rien d’autre que la communauté : celle symbolique des saints et celle, incarnée, des gens !
Texte de Gilles Cervera, publié dans Place Publique Rennes, numéro 25 de Septembre – Octobre 2013
Ce livre « Sur la route d’Eugène, sculpteur breton (19313-1991 » est en vente à l’Association AME Amis du Musée d’Eugène au 2 Rue Nominoë 35320 Le Sel de Bretagne / Ar Sal