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L’énigme de la solidarité bretonne
Notre série Un Bout de Livre consiste, avec l’accord des intéressés, à publier des extraits de livres.
Cet article de Jean-Pierre Le Mat date de 2014.
Dix ans après l’épisode des Bonnets Rouges, il conserve toute sa pertinence.
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Il nous faut parler d’une réalité dérangeante.
Une réalité qui bouscule l’aspiration à l’harmonie, à la paix, à l’organisation raisonnable d’un grand pays. Une réalité qui peut être qualifiée d’antisociale, de perturbatrice. Une réalité qui ne correspond pas aux vérités d’école primaire.
Cette réalité, apparue en pleine lumière avec la révolte des Bonnets Rouges, est la solidarité bretonne.
Non pas celle d’une zone définie par l’administration ; celle d’une zone définie par l’histoire. Ce n’est pas la première fois que cette solidarité s’exprime.
Ah, le dépit de nombreux observateurs !
Cette réalité n’est pas inscrite dans leur logiciel ; donc elle ne peut exister.
Tous ces Gwen ha Du lors des manifestations de Quimper / Kemper et de Carhaix / Karaez leur semblaient blasphématoires. Ils ne peuvent s’expliquer que par une manipulation ou un complot. Le Breton doit rester un provincial, et les provinciaux sont des individus indifférenciés. Nous ne correspondons pas au portrait-robot.
La solidarité bretonne est, pour le Français moyen, une énigme et un danger.
Elle ne peut être dupliquée à toutes les régions françaises. Elle n’a pas d’équivalent.
Qu’est-ce alors qu’une région, si ce n’est pas un sous-ensemble, une déclinaison, une subdivision administrative ?
L’identité bretonne est sans doute liée à une histoire, une culture, une langue, une position géographique, un climat…
Peu importe, finalement. Sa particularité subversive est qu’elle ne se cantonne pas à la sphère privée.
Les Bretons l’installent, de façon naturelle, dans la sphère publique.
Et c’est ce qui est insupportable.
La révolte des Bonnets Rouges illustre à merveille l’approche bretonne de la sphère publique.
Chez nous, elle n’est pas liée à un statut social ou professionnel, ou à un statut d’élu, mais à un territoire.
Nous ne nous révoltons pas parce que nous sommes personnellement agressés, mais parce que notre territoire et notre peuple sont agressés.
Mais voyons, il n’existe pas de peuple breton !
Oh, les Français moyens ont déjà affirmé par le passé qu’il n’existe pas non plus de peuple algérien. Ils ont affirmé la même chose partout où ils ont imposé leur pouvoir. En guerre contre les Serbes, ils ont affirmé qu’il existe un peuple au Kosovo. Laissons-les décerner des brevets d’existence aux uns et le retirer aux autres. Se rendent-ils compte que, sur ce sujet, leur avis a perdu de son importance ?
Le dialogue est devenu mondial et les événements nous départageront.
Comprendre la solidarité bretonne est un enjeu plus grave pour l’avenir de la France que pour l’avenir de la Bretagne.
Si l’unité républicaine française est incompatible avec les solidarités populaires, alors la France ne peut se construire que sur le mensonge et la contrainte. Les Bonnets Rouges veulent jouer gagnant-gagnant. Mais ce n’est pas aux Bretons de sacrifier une solidarité qui les grandit à un mythe qui les atomise.
Si ce n’est pas possible, nos indépendantistes prendront le relais sur les ruines d’une France qui se sera autodétruite, paralysée par son arrogance et par des principes d’un autre temps.
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Le Livre Bleu de la Bretagne, extrait 1, de Louis Melennec