Entretien exclusif entre Pierre Romainville du magazine de rock progressif Prog-Résiste et Claude Mignon pour Seven Reizh, qui sort son tout nouvel album, à découvrir en urgence.
Nous vous offrons le morceau Herzel en écoute libre à la fin de cet entretien.
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Ceux qui ont suivi depuis près de vingt ans mes voyages en lointaine terre bretonne pour les y rencontrer sont déjà au courant des éléments constitutifs de l’histoire qui nous amène jusqu’à la sortie de ce triple-vinyle-double-CD-téléchargement-24/96. Mais ce ne sera faire injure à personne que d’en rappeler les pierres angulaires.
Au départ, Seven Reizh est un collectif musical organisé autour d’un duo depuis longtemps lié par l’amitié, l’amour de la musique progressive, l’intérêt pour la culture celtique, et par la frustration d’avoir vu disparaître les beaux objets qu’on achetait avant en même temps qu’on achetait la musique, ces pochettes qui les faisaient autant rêver que la musique qu’elles recelaient.
Claude s’occupe de composer la musique, Gérard s’occupe du visuel et du concept, et le projet prend forme grâce à la ténacité du duo, et à la participation d’excellents musiciens parmi lesquels un chanteur et des chanteuses particulièrement charismatiques.
Après deux albums très bien reçus par le microcosme progressif, mais pourtant délaissés par le monde culturel celto-breton, le projet s’essouffle financièrement et les soucis personnels ne facilitent pas les choses. Jusqu’à l’arrivée d’une sorte de mécène qui va leur proposer de subvenir aux besoins d’investissements pour achever la trilogie initialement prévue. Claude déménage à Crozon / Kraozon, le bout du bout de la Bretagne, et s’écrivent alors les pièces de ce qui deviendra finalement deux albums. La Barque Ailée, puis L’Albatros. Se dévoile aussi le sujet du concept, une sorte d’allégorie à la vie et l’œuvre de Jean-Marie Le Bris, précurseur breton de l’aviation.
Mais pour des raisons qui ne nous regardent pas, la longue amitié du duo vole en morceaux. Et Claude Mignon, désormais seul dépositaire de l’avenir de Seven Reizh, envisage de continuer l’aventure avec cet étrange projet qui nous occupe aujourd’hui : reprendre les compositions des deux derniers albums, en enlever les paroles et les chanteurs, en retravailler les sons et structures, y rajouter de nouveaux instruments découverts çà et là dans le monde, faire habiller l’ouvrage par une artiste de Crozon, et sortir le tout sous une forme hybride, au choix triple-vinyle-double-CD-téléchargement-24/96. Voilà où nous en sommes, lorsque commence ma discussion avec Claude Mignon.
Prog-résiste
Mon cher Claude, si je te demande comment tu vas, et si je te demande comment va Seven Reizh, est-ce que j’aurai la même réponse ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Ah ben euhh… en fait oui, je pense que tu aurais quasi la même réponse. D’ailleurs je me demande si plus ça va, plus Seven Reizh commence à prendre la forme de Claude Mignon, ou l’inverse.
Je vais t’expliquer pourquoi c’est une bonne question. Je crois que tu mets le doigt sur ce qu’il y a de plus important dans mon parcours. Parce que derrière ta question faussement simpliste, il y a bien sûr la question de l’identité. L’identification. C’était sans doute très inconscient au début de Seven Reizh, mais j’ai depuis compris pourquoi je passe le plus clair de ma vie à faire de la musique. Parce que ça a à voir avec ma propre histoire. Avec une histoire de résilience. D’ailleurs il m’arrive encore plein de choses étranges. Récemment j’étais à Bordeaux pour le concert de Peter Gabriel, et je me promène dans cette ville que je ne connaissais pas. Je prends le tram, et je me retrouve quasi nez à nez avec quelqu’un dont tu as déjà certainement entendu parler, le créateur du concept de résilience !
Prog-résiste
Boris Cyrulnik !
Claude Mignon pour Seven Reizh
Lui-même. J’ai lu plein de ses bouquins, ce qu’il dit résonne chez moi. Et du coup quoi ? Je l’aborde et je l’emmerde ? En face de lui il y avait un siège vide. J’y vais. Et je lui dis : « Bonjour, je suis un résilient ». Il me répond que ça ne l’étonne pas, et beaucoup de gens l’abordent de cette façon. Je lui ai parlé cinq minutes, je lui ai raconté un peu de mon histoire, et c’est celle-là qui résonne en moi quand tu me demandes si je vais bien et si Seven Reizh va bien. J’ai eu quelques tsunamis dans ma jeunesse, et j’ai presque chimiquement transformé cette énergie négative, j’ai transformé de l’impossible à vivre en possible à créer. Comme un puits sans fond.
Je ne peux pas tout te raconter en détail, on n’est pas sur un divan d’analyste, mais tout se passe comme si par manque d’identification au départ, Seven Reizh était devenu mon identité. J’ai pu me créer moi-même, et être reconnu. L’identité et la reconnaissance. Il ne doit pas y avoir de questions plus importantes que celle-là, au fi nal. Et ce sont aussi les fabuleux musiciens qui jouent et ont joué avec moi, qui m’ont donné cette reconnaissance, qui ont aidé à cette construction. Perso je n’ai jamais fait de longues études musicales, je suis plutôt du genre autodidacte et j’avais cette sorte de complexe, par rapport à eux.
Prog-résiste
Le syndrome de l’imposteur ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Je l’ai eu très longtemps. Ça m’arrive encore parfois d’avoir ce genre de réflexe, je me dis un jour les gens vont découvrir que je ne sais rien faire. Mais je m’en suis ouvert aux nombreux musiciens avec qui j’ai travaillé, et ils m’ont au contraire rassuré sur le fait que de ne pas avoir de cadre préconçu me permettait parfois d’aller là où quelqu’un d’autre avec une éducation musicale bien cadrée n’irait peut-être pas. Un jour par exemple, un contrebassiste professionnel, à qui je demandais d’essayer de jouer un peu en dehors des temps, m’a demandé de le diriger, à la façon d’un chef d’orchestre. J’étais terriblement gêné, mais ça s’est passé ainsi. On aurait dû me filmer, c’était gag. J’ai gagné beaucoup de confiance dans ce genre de moment, et de bénéfice pour mon identification, pour en revenir à ta question initiale.
PR : N’est-ce pas dangereux d’autant s’identifier à ton projet musical ? Si un jour pour une raison quelconque ce projet périclite, c’est tout ton être qui part en dépression?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Je ne sais pas. Je ne crois pas. Mon pari est déjà gagné, en quelque sorte. Ce qui arrivera à Seven Reizh, c’est ce que je déciderai d’en faire. Et pour l’instant je n’en sais encore rien.
Prog-résiste
Tu restes un inconditionnel de l’objet physique. Pour toi, le fond et la forme ont la même valeur ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Pour moi, l’objet reste indissociable du contenu. Par exemple j’ai acheté une liseuse, il y a quelques années. Et bien je n’y arrive pas. J’ai besoin du contact avec le bouquin. Évidemment comme musicien, je place la musique avant toute autre chose; mais l’identité de Seven Reizh c’est aussi de faire un pont entre les arts.
C’est né comme ça. De la frustration d’être passé du vinyle au CD. Dans le temps c’était quasi fétichiste, je pouvais rester longtemps à analyser la pochette dans tous les sens, lire tout ce qui était indiqué, avant de me permettre de me lancer dans l’écoute du disque. Une mise en condition. Je comprends que des gens comme toi, car je sais ce que tu penses, se concentrent aujourd’hui exclusivement sur la partie audio; mais j’ai toujours quant à moi l’approche globale de l’œuvre. J’ai bossé comme un taré pour le visuel de ce dernier album. Et la vraie version, cartonnée, palpable, ce n’est pas un PDF.
Prog-résiste
Revenons en si tu veux bien au lien entre ta musique et toi-même. En tant que vieux chroniqueur, je me permettrai de dire qu’au fil du temps, au fil des albums, ta musique est devenue de moins en moins rock, et de plus en plus mélancolique, voire contemplative. La balance a changé. Ça correspond à ton devenir personnel aussi ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Oui.. Je réfléchis en te parlant… notamment depuis que je suis arrivé sur la presqu’île de Crozon / Kraozon. Il s’est passé un truc.
Une sorte d’alchimie entre qui j’étais, et le lieu où je venais d’arriver. C’est pertinemment là que je veux mourir. Je le sais.
Je suis arrivé là où je devais arriver. Il y a douze ans, quand je suis arrivé ici dans la première maison que je louais, et où tu es venu, d’ailleurs, j’avais un voisin avec qui j’ai très vite sympathisé. Le premier endroit où il m’a mené fut une sorte de colline d’où on pouvait voir une bonne partie de la presqu’île, jusqu’au goulet de Brest. Et là, dans le hameau juste à côté, j’ai vu des boîtes aux lettres de maison. Et trois portaient le nom de Mignon. Dingue, non?
Après vérification sur internet, j’ai ensuite appris que l’endroit de France où vivent le plus de Mignon, c’est Crozon / Kraozon. Je l’ignorais. Une connexion avec mes sources. L’endroit m’inspire, et j’en suis devenu contemplatif et spirituel, par connexion avec cette nature. Une paix intérieure qui a provoqué l’évolution musicale, c’est très probable.
Mais d’un autre côté, la certitude de tes racines, la quête aboutie de ton identité, te permet beaucoup plus sereinement de t’ouvrir au monde. Et cette ouverture est présente également depuis mon premier album.
Prog-résiste
Ayant acheté récemment la version 24/96 de ton premier album Strinkadenn’YS, je l’ai par conséquent réécouté intégralement et attentivement. Et j’y ai pris beaucoup de plaisir.
Sais-tu que pour pas mal de camarades, ce premier album reste de loin leur préféré ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Ça me fait plaisir. Ça veut dire que derrière une certaine unité entre mes albums, il y a aussi une vraie diversité. Certains préfèrent le côté brut de Strinkadenn’YS, d’autres, comme toi je pense, préfèrent Samsâra, et d’autres me citent les derniers. Avec une belle répartition entre mes albums. Le pire serait que tout le monde me cite éternellement le
même album comme étant le meilleur. Ce serait à se demander pourquoi avoir fait les
autres. Après, cela devient compliqué de mesurer l’intérêt que portent les gens aux albums d’aujourd’hui, puisque les CDs ne se vendent plus.
Prog-résiste
Je vais me risquer dans une question plus scabreuse.
Claude Mignon pour Seven Reizh
Ah? Vas-y, ose.
Prog-résiste
À la fin des Beatles, ils sortent Let It Be, qu’il en soit ainsi. À la fin de Supertramp, ils sortent Famous Last Words. À la fin de Camel avec Peter Bardens, ils sortent Breathless, à bout de souffle.
Et toi tu sors un album qui s’appelle Quand s’envolent les Mots, le jour où tu perds ton parolier…
Claude Mignon pour Seven Reizh
Alors, pas du tout. Beaucoup font le rapprochement, certains me demandent si je ne vais plus faire que des instrumentaux, mais pas du tout! Mon idée de cet instrumental date d’une époque où Gérard était encore là. Dès 2012. Tu sais que les morceaux de La Barque Ailée et de L’Albatros ont tous été créés en même temps. Ils sont du même moule.
C’est seulement après, en fonction de l’histoire et du roman, que le tri s’est opéré pour en faire deux albums à quelque temps d’intervalle. Mais dès cette époque, alors que je n’en étais peut être qu’à la moitié de l’écriture, un ami à qui je faisais écouter mes maquettes, sans chant dessus par conséquent, me dit alors que ce qu’il entendait se tient par lui-même, et qu’il ne voyait pas l’intérêt éventuel d’y rajouter du chant. Je n’ai jamais oublié cette remarque. D’autant que quand tu fais de la place au chant dans un mixage, tu dois forcément atténuer ou faire disparaître des parties d’arrangements musicaux, et j’en ai dès lors nourri une sorte de frustration. J’adorais les versions finales avec les voix, mais j’adorais aussi tout ce que le mixage vocal avait fait disparaître.
Tout ça pour dire que la genèse de cet album instrumental n’a rien à voir avec le départ de Gérard.
D’ailleurs, est-il réellement instrumental, cet album?
On y entend des voix. Chanteuse vietnamienne, chanteuse turque, chanteur lyrique, ils sont là. Au départ je leur avais demandé de chanter des onomatopées, parce que justement il n’y avait plus de texte. Et ça n’a pas fonctionné. Le résultat ne me convenait pas. Il me manquait la vraie langue de chaque chanteur. Alors je leur ai demandé de chanter des textes de poésies classiques de leur pays d’origine. Et ça m’a plu tout de suite.
Mais comme le but est la musicalité d’une langue, et pas ce qui est dit, il n’y avait aucun sens à retranscrire sur la pochette les paroles ici chantées. On est donc dans un « instruvocal » un peu spécial. Ai-je bien répondu à ta question ? N’ai-je pas été long ?
Prog-résiste
Si tu as été long, c’est que le sujet nécessitait sans doute la plaidoirie d’un bon avocat.
Claude Mignon pour Seven Reizh
Je te répète que la genèse du projet est celle que je viens de t’expliquer. Je voulais que les mots s’envolent. Après, il se fait que les mots qui s’envolent sont ceux écrits par Gérard. Et que l’artiste qui a fait la pochette et qui est à la base calligraphiste, a retranscrit en effet les mots de Gérard comme étant ceux qui s’envolent. Ce qui syncrétise symboliquement peut-être quelque chose de mon vécu avec lui. Mais encore une fois, même si Gérard était resté dans le projet, cet album « instruvocal » aurait existé.
Prog-résiste
Au fait, pourquoi as-tu changé les titres des morceaux, entre ceux des deux albums initiaux et ce nouvel instrumental ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Par obligation. Ce n’était pas une volonté de ma part au départ, même si je trouve ça très bien au final. Il s’agit quand même de morceaux restructurés, et joués avec douze nouveaux instrumentistes. Mais la raison initiale du changement de titres est que je n’avais pas le droit de déposer à la SACEM deux fois le même titre. Mais comme j’ai emmené ces morceaux ailleurs, c’est très bien d’en avoir changé les titres. Par contre, pour ne pas tromper l’acheteur, La Barque Ailée et L’Albatros apparaissent bien dans le titre de l’album, même si pour moi le vrai titre est Quand s’envolent les Mots. En résumé, rien n’a été rejoué à par les parties des douze nouveaux musiciens, mais le mixage et les structures ont été retravaillés de fond en comble.
Prog-résiste
Tu ne pourras pas empêcher certaines personnes de dire des trucs du genre « c’est quand même bizarre, de qui n’ont même pas cinq ans, s’il les modifie à ce point-là c’est qu’ils compositions ne devait pas en être vraiment satisfait.. »
Claude Mignon pour Seven Reizh
Oui, je sais. Et je comprends parfaitement qu’on puisse dire ça. Mais emporter ses propres compositions ailleurs, dans un autre voyage, ne signifie pas pour moi que je ne fus pas satisfait de leur premier voyage.
Des voyages différents, qui n’annulent pas l’autre ni le diminuent.
Prog-résiste
Tant qu’à faire, et pour te permettre de répondre à des commentaires pas toujours plaisants, je voulais te demander si tu n’avais pas peur, avec cette longue liste de musiciens invités, que ton album ne commence à ressembler à une espèce de catalogue d’instruments et de voix exotiques ?
Claude Mignon pour Seven Reizh
Je comprends. Je comprends cette question si on se contente de regarder le nombre d’instruments sur la pochette, mais je me permets de moins la comprendre si on a vraiment écouté l’album. Je pense qu’il y a une vraie fluidité dans la composition, et qu’on n’est pas en train de se dire à l’écoute « tiens encore un nouvel instrument ».
Ça ne fonctionnerait pas si l’idée de départ était un challenge sur le nombre de nouveaux instruments. Le principe est tout simplement de ne se mettre aucune frontière ni aucun interdit. Et puis tout est surtout affaire de rencontre, de liaisons entre personnes humaines. Je ne me suis pas dit « Tiens je vais aller chercher un Javanais ça va faire bien ». Il se fait que j’ai rencontré ce violoniste javanais via ma meilleure amie, dans une association où il bossait. Et ses capacités musicales correspondaient pleinement au violon dont je rêvais pour mon morceau.
Prog-résiste
Je vais retenir de cet interview « Tout est affaire de rencontre ». Mais si on peut fi nir par une petite question technique, je voudrais te demander en quoi consistent exactement ces versions 24/96 qu’on peut acheter en ligne.
Claude Mignon pour Seven Reizh
Je ne suis pas spécialiste de cet aspect des choses, mais je peux te dire la version 24/96 est celle qui sort directement de la table de mixage.
C’est celle qui est envoyée pour produire les vinyles. Et qui est malheureusement comprimée pour produire les CD. Bien entendu il faut du bon matériel et une qualité d’écoute attentive pour en mesurer la pleine différence, mais il s’agit au final de la meilleure qualité possible à atteindre à partir de nos enregistrements.
Prog-résiste Merci, cher Claude, pour cet entretien à bâtons rompus, et pour ta faculté à pouvoir discuter sur des questions parfois difficiles.
Claude Mignon pour Seven Reizh
Merci à toi et au magazine. Tu sais, les interviews-pommades, ça n’intéresse vraiment personne. En tout cas pas moi. Et à bientôt j’espère !
Propos recueillis par Pierre Romainville
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Vente directe de ce nouvel album de Seven Reizh
1 commentaire
Je viens de découvrir l’univers sonore, musical, onirique de Seven Reizh, de Claude Mignon… Je veux parler du triple vinyle de « Quand s’envolent les mots ». Tout est oeuvre d’art, la musique et les images de la pochette de cet ensemble. C’est incroyablement émouvant, c’est beau à entendre et c’est beau à voir. Il y a une fusion stupéfiante entre la musique et les images…. C’est trop trop beau pour moi qui redécouvre les créatifs bretons …