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Jean-Guy Talamoni n’est pas un inconnu pour les Bretons.
Ex président de l’Assemblée de Corse, il représente le courant indépendantiste du mouvement nationaliste. Invité d’honneur lors de l’édition 2019 du salon du livre de Karaez / Carhaix, il revient, samedi prochain, dans la capitale du Poher, où il sera l’un des invités importants du colloque sur l’autonomie organisé par Bretagne Majeure avec le soutien du collectif Pour Une Bretagne Autonome. A quelques heures de son arrivée en Bretagne, Ni Hon Unan a tenu à interroger cette figure essentielle de la résistance corse sur son combat pour son pays et sur ses espoirs.
Jean-Guy Talamoni, le grand public vous connaît en raison de votre combat de toujours pour les droits, la liberté et la dignité du peuple corse.
Vendredi , vous serez à Karaez / Carhaix , pour intervenir au colloque sur la nécessaire autonomie de la Bretagne, à l’invitation du collectif Pour une Bretagne Autonome, fédéré autour de Christian Troadec, vice-président de la Région Bretagne administrative et maire de Karaez.
Quel est votre message aux Bretons ?
J’ai accepté naturellement cette invitation par sympathie pour les Bretons et par solidarité avec le combat d’une vieille Nation pour la réappropriation de ses droits historiques. Je tiens à porter témoignage de ce que nous avons fait en Corse depuis cinquante ans. Je viens aussi dire aux Bretons que je ne considère pas que la bataille juridique soit la plus importante ni la première des batailles.
La bataille culturelle est la première, chronologiquement.
Elle précède la bataille politique et électorale qui elle-même précède la bataille juridique ou statutaire. En Corse, nous avons remporté la bataille culturelle, puis la bataille électorale. Mais ensuite, il y a eu un blocage du pouvoir français. Aujourd’hui on peut dire que l’ensemble de la société corse partage notre projet de société autour de la défense de notre langue, de notre culture et aussi de notre environnement.
Cela n’était pas acquis il y a un demi-siècle.
Je veux vous dire aussi qu’il n’y a pas de recette miracle pour les peuples qui souhaitent s’émanciper. Chacun doit déterminer son propre chemin vers sa libération. Les Catalans, par exemple, sont plus avancés que nous sur ce chemin.
Et sur cette voie, l’autonomie est bien évidemment une étape importante.
Mais attention, il faut vous préciser qu’en Corse nous en sommes encore très loin. D’ailleurs, même l’indépendance n’est qu’un passage, une étape. Certains pays d’Afrique sont devenus des États indépendants sans être réellement libérés de la colonisation. Le chemin vers la libération nationale et sociale est en réalité un combat permanent. En Corse, au risque de décevoir certains, je dirais qu’il n’y a pas actuellement de démarche historique. Pour l’instant les négociations entre l’exécutif, l’Assemblée de Corse et l’État français relèvent plutôt du bavardage.
Les Corses ont démontré que la société corse est distincte de la société française, ils ont voté pour un certain nombre d’orientations culturelles ou politiques, toutes rejetées par Paris. Et les propositions de négociations sur un statut d’autonomie ont été considérées par Paris comme un moyen de calmer la jeunesse révoltée par l’assassinat d’Yvan Colonna. Monsieur Darmanin a même lâché une phrase très symptomatique, lorsqu’il a dit : «Il faut voir ce qu’on met derrière le mot « autonomie » ». En fait, il sait bien qu’il ne peut y avoir d’autonomie que par un transfert de compétences législatives. En disant cela, il sait qu’il barre la route à un vrai processus de dévolution.
Aujourd’hui, il n’y a pas de discussions stratégiques sur l’avenir de la Corse. Il n’y a que des discussions techniques.
Dans les instances démocratiquement élues par les Corses , vous représentez la tendance indépendantiste, que la grande presse parisienne oppose volontiers aux «gentils » autonomistes «responsables » , conduits par Gilles Simeoni, président de l’exécutif .
Pourquoi, dès lors, apporter votre soutien à un colloque qui réclame précisément … l’autonomie ?
Parce que l’autonomie est une étape évidemment importante sur le chemin de la liberté et de l’indépendance. Mais à chacun de trouver son chemin. Chez nous, par exemple, les jeunes ont un vrai désir de langue corse. Il faut que nous parvenions à obtenir un statut de co-officialité linguistique. Lorsque j’étais enfant, la plupart des Corses étaient persuadés que leur langue, leur culture ne valaient rien ou presque face à celle de l’État français. Il y avait dans la société corse une volonté de s’assimiler et de s’identifier aux Français. Une majorité des Corses était même persuadée que leur langue avait vocation à disparaître.
Aujourd’hui cette honte , on peut même dire cette « haine de soi », comparable à l’échelon d’un peuple au syndrome de Stockholm, est derrière nous. C’est une bataille fondamentale qui précède la bataille politique, puis la bataille institutionnelle. Le peuple doit se sentir légitime à maintenir et à transmettre sa culture. Ensuite, le droit s’adapte. D’ailleurs, l’État français fait la sourde oreille au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il ne comprend hélas que les rapports de force. On l’a vu lors de toutes ses guerres de décolonisation. On l’a vu aussi en Nouvelle-Calédonie où il a fallu les morts d’Ouvéa pour qu’il consente à ouvrir un processus de paix, malheureusement réduit à néant il y a quelques mois.
Vous avez écrit dans un article très clairvoyant, que les autorités corses ont d’une certaine manière été « roulées dans la farine » par le gouvernement français, lorsque ce même gouvernement a exigé le retour au calme de la rue et l’éloignement des indépendantistes de la table des négociations. Pour vous il aurait été plus politique de maintenir la pression et d’accepter à la table de négociation toutes les tendances élues par les Corses.
Où en sont actuellement les négociations franco-corses ?
Et quels conseils donneriez-vous aux Bretons pour se réapproprier, dans un premier temps, une partie de leurs droits historiques et nationaux ?
Pas certain que les autonomistes aient été «roulés dans la farine». Il y a surtout des gens qui ont intérêt à conserver leur place… mais je le répète, je n’ai pas de conseils ou de leçons à donner aux Bretons. Je peux simplement faire écho et témoigner des luttes des Corses pour leur liberté. Je constate que seules les bombes du FLNC ont réussi à maintenir l’existence du peuple corse, à l’époque où les nationalistes n’avaient pas la majorité au plan institutionnel. Sans les campagnes du FLNC, la Corse aurait disparu en tant que nation.
Aujourd’hui, la pression vis-à-vis de l’État français est toujours nécessaire. Elle peut bien-sûr s’exprimer autrement que par des moyens militaires. Les nationalistes sont majoritaires dans les milieux syndicaux de l’île, les syndicats paysans, des transports, etc… Nous pourrions exercer un bras de fer contre Paris en bloquant toute l’île. Le gouvernement français serait alors vraiment contraint à de vraies négociations avec les autorités de l’île. Mais hélas, nous avons, à l’exécutif territorial, une majorité que je qualifie de… pusillanime alors même que notre jeunesse, on l’a vu au printemps dernier, lors de l’assassinat d’Yvan Colonna, est très décidée à pérenniser la Nation corse.
Propos recueillis par Thierry JIGOUREL pour NHU Bretagne
1 commentaire
J’apprécie le terme des Bretons « suiveurs « de la France,de G Talamoni.
C’est ce que je, et d’autres que moi ,dénonçons depuis 1983.,l’attitude d’élus quémandant sans arrêt auprès des pouvoirs français ainsinque l’allégeance de certaines organisations bretonnes de « gauche » principalement.
D’autre part l’absence de leaders pugnaces,et même grande G….. est toujours regrettable