Les menhirs de Karnag … but men don’t hear !
Les loups sont dans la bergerie !
Je suis comme beaucoup d’autres, choqué, mais aussi profondément attristé par la destruction de trente-neuf petits menhirs au chemin de Montauban à Karnag.
Choqué que l’on puisse encore en 2023, au vu et au su de tous, à Karnag, balayer au bulldozer un alignement d’une trentaine de pierres de plus de 7000 ans pour certaines, pour construire un magasin de bricolage.
Attristé, car les mégalithes font partie de notre psyché de Bretons, et qu’éliminer ce que certains appellent des «tas de pierres» c’est nous enlever une part de nos rêves, de notre (pré)Histoire, de nos mythes.
Certes, ces destructions ne sont pas nouvelles.
D’après Du Chatellier et le Docteur Vourch, le Menez Hom comptait au début du XXème siècle presque une centaine de menhirs et dolmen. Il n’en reste aujourd’hui que trois ou quatre. Le Cairn de Barnenez, une des trois plus vieilles constructions mégalithiques d’Europe, a servi de carrière jusqu’au début des années cinquante.
Plus récemment, dans les années 80, le site de Kerham, à Ploemeur, qui comportait plusieurs tumuli a été profondément abimé par les terrassements liés à la construction du Golf Océan.
On pourrait multiplier les exemples à l’envi.
On se dit que c’était une autre époque, que l’archéologie préventive n’existait pas, pas plus que la Drac, et que finalement, à l’époque, chacun faisait ce qu’il voulait de ces «tas de pierres», faute d’information, faute d’intérêt des pouvoirs publics pour cet héritage, bien éloigné du dogme gréco-latin!
Force est de constater que l’absence totale des constructeurs de mégalithes dans les programmes scolaires n’a pas aidé à une prise de conscience de leur valeur, et partant, de la nécessité de leur protection.
JAMAIS, je dis bien JAMAIS, un enseignant ne m’a parlé du mégalithisme en Bretagne pendant mes années de collège et lycée. Je me rappelle d’une professeure d’histoire qui comparait Pontivy / Pondi à Rome : «Chacune avait 7 collines», disait-elle.
Une autre nous faisait réciter par coeur, je m’en rappelle encore, «Kheops, Khephren , Mykérinos. Kheops, Khephren , Mykérinos». Incantation nous vantant la grandeur de la civilisation des pharaons, et nous rendant, petits Bretons aliénés, admiratifs du talent de constructeurs d’un peuple vivant à trois mille kilomètres de chez nous, alors que nous ne savions rien des mégalithes que nous voyions tous les jours à notre porte, pas plus que nous savions qu’il existait à une heure de route de chez nous, le site de Barnenez, qui précédait de deux mille ans les plus anciennes pyramides d’Égypte !
Une autre enseignante d’Histoire, à Pontivy / Pondi, et c’est rigoureusement authentique, a expliqué un jour à une classe dont faisait partie mon frère que le découpage du territoire correspondait à l’esprit profond d’un peuple : « en Méditerrannée, de grandes parcelles, révélatrices d’une grande ouverture d’esprit, en Bretagne, de petits champs entourés de talus, synonymes d’esprit étriqué» (sic).
Qu’il s’agisse du monde néolithique ou celte, aujourd’hui, adulte, je crois que cette propagande a fait des ravages dans nos esprits adolescents en formation et recherche…
Mais admettons que ça ait changé.
Barnenez est aujourd’hui un site protégé.
Les archéologues font un travail incroyable de recherche, d’interprétation et d’information sur les sites de Gavriniz, Karnag, Lokmaria Kaer et d’ailleurs en Bretagne (il est urgent à ce titre de visionner « Carnac sur les traces du Royaume disparu » sur les sites de streaming et de vous rendre au Musée de Préhistoire de Karnag, fantastique périple dans la préhistoire et le mégalithisme breton) .
Bettina Schulz Paulsson , une chercheuse autrichienne a estimé, dans les résultats d’une recherche publiée dans Proceedings of the National Academy of Science de février 2019, que le mégalithisme a essaimé dans tout l’ouest de l’Europe à partir de la Bretagne il y a 7000 ans.
Alors comment se fait-il que, à Karnag, en 2023, on joue du bulldozer à nouveau?
Les explications d’Olivier Lepick, maire de Karnag, semblent plus que fallacieuses.
Il prétend que le site n’était pas protégé, alors qu’il figurait sur la liste indicative du dossier d’inscription des alignements de Karnag au patrimoine mondial de l’Unesco, dossier constitué par …la mairie de Karnag!
« Il faut raison garder » dit Olivier Lepick dans Le Point (08 Juin 2023) : défense typique de l’élu « adulte » qui ramène la controverse à de l’enfantillage… Le lanceur d’alerte, archéologue et contributeur du CNRS, Christian Obelzt, explique que la parcelle était parfaitement connue de la mairie, puisqu’ elle était à l’origine d’un premier refus de permis de construire pour un autre projet au même endroit en 2014!
Pour Christian Obeltz, l’explication est simple : certains élus se dépêchent de faire des aménagements qu’ils ne pourront plus faire après le probable classement de Karnag à l’Unesco!
Business, business, surtout à Karnag!
Karnag, c’est 65 % de résidences secondaires (Insee 2022)!
Lorsqu’on se rend à Karnag, l’on est saisi par une sorte de dualité : d’un côté, une ville peu charmante, assez froide et déserte huit mois sur douze, où l’extrême droite représente presque un bulletin de vote sur deux (Insee 2022). De l’autre une pléthore de sites mégalithiques souvent peu ou mal mis en valeur et détériorés.
Il n’est qu’à visiter les grands sites mégalithiques Anglais, Irlandais et Écossais pour prendre conscience du retard pris par la Bretagne : citons par exemple Stonehenge (malgré certaines controverses) et sa plaine partiellement reconstituée, avec disparition de la route et accès au site à pied ou par navette. Newgrange, grand site Irlandais similaire à Gavriniz avec un accès piéton discret, et Calanais, dans les Iles Hébrides, dont le centre touristique et historique réalisé sur les modèles des « black houses », maisons de pierre traditionnelles, s’intègre, se cache parfaitement dans le paysage.
Pourquoi n’a-t-on pas décidé par exemple à Karnag et à Plouharnel de reconstituer autant que possible les sites à l’identique en tentant de supprimer les routes qui les coupent en deux ?
Olivier Lepick, maire de Karnag répondrait vraisemblablement « qu’ il faut raison garder ». !
Pourquoi à Karnag, cet horrible bâtiment en béton pour accueillir les visiteurs?
C’est clair, ce qui est possible à Stonehenge, Newgrange ou Calanais, n’est pas possible en Bretagne.
Ou plutôt, il n’existe pas la volonté politique pour le réaliser.
Dommage pour le « Royaume disparu » qui va finir par l’être vraiment.
La Bretagne devenant une Terre misant de plus en plus sur le tourisme, la situation n’est pas prête de s’arranger.
Il y a quelques années, Venise était montrée du doigt, et cette année, les habitants de la ville sont au bord de l’asphyxie. Paradoxalement, certains médias bretons dénoncent d’un côté le tourisme de masse comme celui dont souffre Venise et de l’autre, vantent la « formidable saison » touristique de la Bretagne!
Formidable?
Jusqu’à 10.000 personnes par jour sur Bréhat / Enez Vriad l’été dernier!
Le chemin de douaniers de Belle-Ile / Ar Gerveur est une autoroute!
Des endroits réputés peu ou pas fréquentés il y a encore cinq ans sont bondés dès le mois de mai!
Alors formidable pour qui?
On l’a bien compris , pour le business, le commerce, le monde de l’argent .
Même la région Bretagne se frotte les mains et parle de pérenniser le tourisme sur les mois d’hiver! Comme si la coupe n’était pas déjà pleine!
Mais non, car la coupe se remplit de billets, et tout le monde est content.
L’immobilier s’en mêle et rêve d’un nouvel eldorado breton.
Il y a quelques mois Stéphane Plaza, le roi de la télé-réalité immobilière annonçait s’installer en Bretagne « où l’on peut encore faire des affaires » (Le Télégramme). Le monde de l’immobilier fait à présent pression sur les élus pour « assouplir » la loi sur les « dents creuses ». Une « dent creuse » c’est un terrain côtier non-constructible entre deux maisons construites avant la Loi Littoral.
L’argument du monde de l’immobilier repris par certains élus est de dire : au lieu de laisser vierge un terrain entre deux maisons, rendons-le constructible puisque de toute façon, il y a déjà des constructions de chaque côté!
Ou l’art d’amputer un unijambiste de sa deuxième jambe valide puisqu’il ne peut de toute façon pas marcher.
Il sera donc de moins en moins simple de résister face au monde du tourisme, de la finance et de l’immobilier pour protéger certains lieux qui nous sont chers.
Les pierres de Bretagne ne sont pas cotées en bourse.
Elles n’ont aucune valeur si ce n’est celle, indicible, qu’elles ont prise, au yeux des historiens, des archéologues, des rêveurs, des poètes.
Comme un alignement de quelque trente-neuf petites pierres sur un terrain à Karnag …
Protégeons-les pour rêver encore au « Royaume de Karnag ».
Les loups sont dans la bergerie.
2 commentaires
Si nous étions indépendants nous pourrions instruire nos enfants de ce que représentent toutes ces richesses historiques plantées chez nous comme autant de points d’interrogation sur ce qui s’est déroulé depuis des millénaires. J’ai souvent pensé que ces pierres levées pouvaient figurer une carte du trajet des étoiles dans le ciel puisque les cairns captaient les rayons des solstices, puisque ces trajets ont abouti à Stonehenge, puisque finalement le calendrier celtique luni-solaire dit de Coligny est l’aboutissement d’une démarche scientifique d’observation du ciel, en raison de notre latitude générant quatre saisons successives qui en disent long sur les relations de la Terre avec « son » lune et « sa » soleil comme on dit en langue bretonne. Ce site et des fouilles appropriées auraient peut-être permis de percer la finalité d’un travail élaboré durant des milliers d’années, un travail qui s’avère de plus en plus comme scientifique si on accepte de se demander qui étaient ces peuples d’avant l’invention de Dieu et des dieux des panthéons antiques et de leur guerre des sexes. La transmission orale était puissante alors et l’histoire n’a été écrite que par les vainqueurs et ceux-là sont toujours au pouvoir, au nom de l’argent roi …
C’est la Bretagne et son âme que la France et ses institutions détruisent. Il s’agit par là d’extirper notre sentiment national.
Et pendant ce temps, les Bretons se laissent démanteler. Détruire au bulldozer.
Silencieusement. Dans la servitude volontaire.
Mais le silence est complicité.