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Le balais de genêt : un objet typiquement breton, entre purification et sexualité, entre nettoyage et fertilité, entre humilité et sacralité.
Le mot anglais pour balai « broom » est aussi le nom du genêt, et le mot genêt en breton Balan a donné le mot « balai » en français; tant le balai de genêt est un pléonasme, venant de Bretagne.
Les balais de nos grands-mères, fabriqué avec du genêt à balais (Cytisus scoparius), ont longtemps été utilisé jadis à la ferme pour balayer les habitations au sol en terre battue, les cours et basses-cours, les écuries et les étables. Ceci amène à se pencher sur l’importance du genêt dans la vie quotidienne de nos ancêtres.
Le balais de genêt … entre purification et sexualité.
Humble objet de nettoyage ménager, le balai est tout autant un symbole de puissance sacrée utilisé aussi dans les temples et les sanctuaires anciens pour en ôter impuretés et souillures. Dans ce cadre, le balayage devient un service du culte effectué par les mains pures de femmes pures. Si le balai est associé au nettoyage, il est aussi associé à la purification et l’épuration spirituelles. Un nettoyage spirituel en quelque sorte… une purification de soi et des lieux sacrés.
Si on utilise parfois le balai pour dire, ou stigmatiser les origines modestes de quelqu’un ou pour témoigner de son caractère humble et simple, on l’utilise aussi pour symboliser la puissance, le sacré, la magie, l’axe cosmique, la sexualité et la fertilité, la protection ou le risque maléfique…
Ainsi, nous savons que traditionnellement, des branches de genêts en fleurs étaient suspendues dans les maisons et les étables afin de les protéger, à l’instar des branches de gui. Il est également avéré que, lorsque le pilon de la baratte était fait de bois de genêt, les sorciers ou autres lanceuses de sorts, ne pouvaient ensorceler le beurre.
Par contre, frapper une vache avec une branche de genêt l’empêchait d’avoir du lait. Il était cependant possible de guérir le mal par le mal en mettant deux branches de genêt en croix entre les cornes de la vache concernée par ce tarissement inexpliqué. Dans le registre des héritages indo-européens, dans le Schleswig-Holstein, l’arbrisseau de genêt dont les fleurs sont toxiques était le gardien de la bonne morale.
Ainsi, nous dit la légende : « Les femmes mariées qui craignaient de succomber devant les assiduités d’un galant, chassaient la tentation en s’asseyant à même la peau sur leur balai de genêt, tout en mastiquant trois fleurs prélevées sur un jeune genêt. Si elles tombaient malades (ce qui était souvent le cas vu la toxicité de la fleur – coliques, diarrhées, vertiges, palpitations, etc…), on disait alors que le genêt expulsait l’envie de pécher de leur corps. »
Dans le domaine celtique, en Écosse, le genêt avait la réputation de renforcer les pouvoirs des sorciers sans aucune incidence sur leur santé. Toujours en Écosse, jeter un balai en direction de quelqu’un lui porte bonheur, notamment pour les joueurs qui se rendent à un match, pour ceux qui se rendent à la pêche ou à la chasse. Et il est dit qu’au printemps, lorsque le bétail sort des étables, faire passer les bestiaux sur un balai posé à plat sur le seuil de la porte, les protègera toute l’année ; balaiera tous les problèmes.
En Bretagne, balayer après le coucher du soleil chassait le bonheur, la paix familiale et l’argent de la maison.
Pire : cela pouvait entraîner la mort d’un membre de la famille. Il y avait aussi ce geste domestique dit « balaiement des morts » qui pouvait importuner ou blesser les âmes présentes. « Balayer trop tard le soir, c’était courir le risque de balayer le Bon dieu dehors. » ou encore, risquer de « congédier la sainte Vierge qui faisait sa tournée pour voir dans quelles maisons elle pouvait laisser entrer ses âmes chéries. ».
Il est même questions d’utiliser des branches de genêt fleuri pour des funérailles ou encore d’en recouvrir le corps des défunts afin de balayer le chemin devant leurs âmes. Enfin, si après avoir balayé une première fois, le vent ramenait la poussière à l’intérieur de la maison et que la femme la rejetait à nouveau, ceux qui demeuraient dans la maison seraient réveillés par les âmes des morts. Ainsi, il fallait ne pas balayer la maison les trois soirs de la Toussaint, ni celui du jour de l’An, ni celui du vendredi saint…
Lorsque l’on vient d’acheter un nouveau balai, même s’il est destiné à nettoyer l’extérieur, il faut toujours s’en servir à l’intérieur. Et, en cas de déménagement, l’on doit se procurer un nouveau balai car l’ancien balai est celui de la maison, pas le balai de ses habitants.
Plus près de chez nous, en Finistère, lorsque des jeunes filles ou des femmes nettoyaient l’église en s’aidant de balais de genêts, elles s’assuraient le retour de leurs fiancés ou de leurs maris partis en mer… Dans le même registre, lorsque les marins et pêcheurs tardaient à revenir, leurs épouses brûlaient un balai neuf de genêt ou balayaient la chapelle voisine de celle dont elles s’occupaient d’habitude afin de faire tourner le vent.
Balais de genêt : sexualité et fertilité
Le balai fut longtemps associé à la gente féminine.
Il devint même rapidement, dès l’Antiquité, l’emblème domestique et féminin par excellence. Le balai était si bien le représentant de la maîtresse de maison que, jusqu’à la première moitié du XXè siècle, en Europe, un balai placé à l’extérieur de la porte d’entrée d’une maison signifiait que l’occupante était sortie.
La tradition n’est pas anodine et a pu jouer un rôle dans le lien entre les sorcières et les balais (les femmes sortant de chez elles, sur des balais). Toujours dans le domaine des traditions anciennes, le balai est très lié à l’idée de fertilité. Plusieurs rituels païens en Europe impliquaient l’utilisation d’un balai les soirs de pleine Lune – une sorte de danse du balai – dans un champ afin de favoriser la fertilité de la récolte à venir. Les participants sautaient au-dessus des balais, le plus haut possible, afin d’indiquer aux graines ignares la hauteur à laquelle elles devaient pousser.
Au Pays de Galles, la tisane de genêt servait d’épreuve aux femmes réputées être volages.
Ces dernières devaient en boire devant des autorités laïques et ecclésiastiques. Celles qui étaient malades étaient considérées « récupérables » et s’en sortaient avec une semonce. Les autres pouvaient s’attendre à des lendemains difficiles, parfois même accusées de sorcellerie. Plus largement en Grande-Bretagne, on jetait des branches de genêt au sommet d’une colline pour attirer le ven ; et à contrario, enterrer des cendres de genêt dans un vallon calmait la tempête.
Toujours dans le domaine celtique, certains guérisseurs suspendaient chez eux des branches de genêt afin de bénéficier du pouvoir de guérison de cette plante miraculeuse en ce qui concerne verrues, cors aux pieds, excroissances disgracieuses, cicatrisation, enflures, coliques, …
La symbolique de la sorcière chevauchant le balai et volant au-dessus des champs est une claire manifestation d’une tradition antique visant à influencer la fertilité de la terre des champs pour obtenir de bonnes récoltes. La tradition voulait que les femmes montent sur des balais, courent et sautent dans les champs. La hauteur des sauts permettait de déterminer l’abondance de la récolte. Le balai – symbole phallique et donc masculin – et la femme qui le chevauchait fertilisaient tous les deux la terre.
Ghislaine Chagrot, spécialiste des contes et du merveilleux à la BNF, affirme que d’un point de vue symbolique, « Se saisir du balai et s’en servir semble renvoyer à la vie sexuelle qui s’engageait et à un présage favorable pour la fécondité du couple. On peut associer le manche à balai, forme phallique au sexe de l’homme, et la brosse au sexe de la femme : le balai renvoie au symbolisme de l’acte sexuel… »
Par déduction, une fois nommées sorcières, ces femmes qui pour se déplacer enfourchaient le fameux balai, il était surtout question du danger de leur manière de s’emparer du pouvoir masculin. D’où la terreur des mâles face à ces prises de pouvoir féminines qui a envoyé environ 100.000 femmes libres, guérisseuses, sage-femmes, rebouteuses, etc…sur le bûcher, y compris Jeanne d’Arc qui avait les cheveux courts…
Miscellanées autour du balai et du genêt
Aux XVIIIè et XIXè siècles, la culture du genêt est un moyen d’utiliser à profit des terres en jachère. La racine des genêts fixe l’azote dans les sols, retient la terre et permet d’éviter la transformation des champs en friche sans valeur. Le genêt est alors utilisé en pâturage l’hiver pour nourrir les troupeaux et à l’automne pour la confection de toiles tissées…
Dans la mythologie celtique, Blodeuwedd est une « créature féminine » de la mythologie celtique brittonique qui apparaît dans la quatrième branche du Mabinogi : « Math fils de Mathonwy ».
Fabriquée pour être l’épouse du dieu Llew Llaw Gyffes, le sens du nom est « visage de fleurs ». Le roi Math, qui est aussi magicien et son neveu Gwydion la confectionnent avec des fleurs de genêt, de chêne et de reines-des-prés ; grâce à leur magie, leur « créature » est plus belle que la plus belle des femmes…
Une légende médiévale raconte qu’en 1128, Geoffroy V, dit « le Bel », comte d’Anjou et du Maine, chevauchait dans une lande près de la ville du Mans, lorsqu’il aperçut une licorne à tête de femme et vêtue d’un manteau d’or au milieu d’un champ de genêts. Bouleversé par cette apparition, il choisit de faire de cette plante son emblème et d’en planter sur ses terres, d’où l’origine du surnom « Plantagenêt », qui est à l’origine d’une dynastie princière et royale particulièrement importante au Moyen Âge…
Un adage indien affirme qu’un balai s’attache au lieu qu’il nettoie, raison pour laquelle son propriétaire ne l’emporte jamais lorsqu’il déménage.
Les balais étaient faits des « rebuts » des récoltes, des tiges végétales séchées liées en fagot, lui-même fixé à un manche en bois plus ou moins long. Les balais étaient donc une sorte de preuve ou de souvenirs des récoltes passées et fructueuses. Or ce lien entre fertilité et balai n’est pas propre à notre culture et on retrouve sans surprise ce lien en Asie et ailleurs…
Pour conclure, alors que l’aspirateur a remplacé le balai dans la plupart des logis occidentaux, le balai reste associé au grand ménage, y compris symbolique et politique, tout comme il reste associé aux femmes sorcières et libres de fait. Ne dit-on pas encore d’un gouvernement ou d’une équipe de direction qui ont fait leur temp : « un bon coup de balai est nécessaire ! »
Sources.
- Eloïse Mozzani : Le livre des superstitions, mythes, croyances et légendes
- Jean Chevalier et Alain Gheerbrant : Dictionnaire des symboles
- Bretagne, almanach de la mémoire et des coutume
- Philippe Jouët : Dictionnaire de mythologie et de religion celtique
- Emmanuèle Peyret : Un balai bien monté, Libération du 23 août 2019
- Laila Seshat : le balai dans tous ses états