Benjamin Morel, dans un essai récent, avance le concept d’ethno-régionalisme pour désigner le mal absolu en lieu et place du souverainisme dominateur.
Pour se défaire de sa responsabilité pesante, la pensée souverainiste s’échine à faire de sa victime le coupable de tous les maux.
Auteur du crime historique de colonisation des territoires pour imposer sa propre langue, l’État souverain devient libérateur lorsque les dominés prennent la figure du monstre à éradiquer.
L’ethno régionalisme assassinerait les langues régionales à trop vouloir les unifier ou les expurger de leurs influences françaises. A suivre Benjamin Morel, ce serait l’État français le vrai protecteur des « langues régionales » et Diwan l’oppresseur historique. Les Bretons qui se démènent pour sauver leur langue avec des bouts de ficelles apprécieront. Les jacobins adorent les langues régionales dialectisées et tellement corrompues qu’il n’est plus possible de se comprendre d’un canton l’autre. « Pour tuer le breton, il faut le corrompre » disait un sous-préfet.
Les souverainistes n’ont jamais accepté le lent travail d’unification de la langue bretonne, œuvre pourtant naturelle pour toute langue soucieuse de perdurer selon son esprit singulier. Le français n’est-il pas le fruit d’une volonté politique, teintée d’érudition ?
L’État souverain est ce monstre froid qui poursuit son œuvre historique de destruction de nos langues avec des politiques linguistiques dérisoires. Personne n’a oublié les violences pédagogiques employées par l’éducation nationale pour chasser le breton et faire intérioriser l’identité négative.
Prétendre que l’impérialisme linguistique c’est le basque ou le breton, revient à opérer la grande bascule vers la pensée magique ou complotiste. Mais Benjamin Morel n’a pas peur. Il a pour lui la pensée d’État et l’appui du cercle médiatique parisien où opèrent les trois quarts des journalistes français.
Le combat pour nos langues s’est abîmé dans la collaboration avec les nazis et l’ethno-régionalisme mène à l’antisémitisme ! Que faut-il en penser lorsque l’accusation nous vient des partisans du souverainisme qui a collaboré activement avec les nazis pour envoyer dans les chambres à gaz des dizaines de milliers de juifs ?
Combien de magistrats français ont doctement argumenté pour déterminer la qualité de juif et savoir qui envoyer à la mort ?
Il ne sert à rien de lui répondre que les nationalistes collabo bretons étaient moins d’une centaine caserne Margueritte, à Rennes / Roazhon, lorsque les Bretons peuplaient la résistance non sans demander au Général de Gaulle le respect des droits culturels pour notre peuple.
Il ne sert pas davantage de rappeler à Benjamin Morel que, si le drapeau breton Gwenn ha Du est l’un des rares à n’avoir pas de sang dans ses replis, on n’en dirait pas autant, hélas, du drapeau français.
Ce qui assassine l’humanité, c’est la soif de pouvoir qui est à l’origine de la création du concept de souveraineté absolue. Cette invention a permis de légitimer les pires abominations comme ces millions de morts au vingtième siècle et la colonisation de la quasi-totalité des terres émergées par quelques puissances.
Aujourd’hui, l’Afrique demande justice. La France fait le gros dos. Mais le principe de responsabilité avance toujours et les vieux peuples périphériques, victimes des mêmes mécanismes de sujétion, d’exploitation et d’atteinte à leur dignité attendent une légitime réparation.
Par nos revendications linguistiques, nous menacerions l’unité de la nation ?
Il ne vient pas à l’esprit de Benjamin Morel que l’unité dans la justice est autrement plus solide que l’unité sous le joug d’un ordre injuste.
L’État français n’échappera pas à sa responsabilité historique vis à vis de nos langues et de nos cultures, ainsi qu’à la terrifiante accusation de racisme dans sa variante civilisationnelle.
Comment la France peut-elle encore parfois soutenir que sa langue est supérieure à celle des autres, sans ruiner l’humanité ?
Benjamin Morel cultive le parisiano-centrisme.
C’est à dire ce rapport au monde marqué par la supériorité de sa propre langue et la domination écrasante de la capitale en toute matière. Ce curieux rapport au monde est si fort chez lui, qu’il ne s’aperçoit même pas du rapport de domination terrifiant entre le centre tout puissant et les périphéries reléguées.
Lorsqu’il condamne le moindre statut particulier, il omet superbement d’évoquer la différenciation que s’est octroyée Paris après avoir réduit toute la France à sa norme.
L’humanité est un bloc et il n’est pas de petite ou de sous-humanité que l’on puisse réduire sans toucher à l’humanité entière. C’est tout ce que je voudrais dire à Benjamin Morel, quand bien même si l’intéressé, comme beaucoup de jacobins, serait incapable de la moindre remise en cause.
On lui répondrait encore que son combat est d’arrière-garde.
Comme il le reconnaît lui-même la Bretagne a gagné le combat culturel dans le cœur des Bretons.
La victoire politique viendra comme un fruit mûr.