Sommaire
Les langues régionales sous la menace du Conseil constitutionnel
La décision que doivent prendre avant le 22 mai les « sages » à propos de la loi Molac dépendra certes du droit, mais aussi des penchants jacobins d’une institution qui s’est toujours opposée aux langues minoritaires. En témoigne cet entretien particulièrement révélateur avec l’un de ses anciens secrétaires généraux.
Le nom de Jean-Eric Shoettl ne vous dit sans doute rien.
Si je vous parle de lui cette semaine, c’est que ce très haut fonctionnaire (Polytechnique, ENA, Conseil d’État) fut entre 1997 et 2007 le secrétaire général du Conseil constitutionnel. A ce titre, c’est lui qui préparait les décisions prises par l’institution. Notamment au moment de la (non)-ratification de la charte européenne des langues régionales, en 1999. Il a aussi l’avantage d’être aujourd’hui à la retraite et donc plus libre dans son expression. C
‘est pourquoi je me suis entretenu longuement avec lui, afin de tenter de comprendre dans quel esprit les « sages » allaient aborder la loi Molac sur les langues régionales, dont ils ont été saisis dans des conditions particulièrement étranges (1) et sur laquelle ils doivent se prononcer avant le 22 mai. Je n’ai pas été déçu car cette conversation, particulièrement révélatrice, débouche sur un constat limpide : la décision ne sera pas prise seulement en fonction du droit. Entreront également en ligne de compte les préjugés d’une institution où les langues minoritaires ont toujours été perçues comme des ferments de communautarisme.
Voici en effet ce que Jean-Éric Shoettl m’a expliqué, en commençant par les aspects strictement juridiques :
-
Le forfait scolaire prévu par la loi Molac est contraire à la Constitution.
C’est le seul article sur lequel les « sages » ont été saisis. En l’occurrence, il s’agit d’obliger une commune où les langues régionales ne sont pas enseignées à verser une somme appelée « forfait scolaire » à la commune qui dispense un tel dispositif. « L’apprentissage des langues régionales est facultatif« , rappelle Jean-Éric Shoettl. « Ce serait la première fois qu’une commune serait obligée de financer une dépense pour une activité qui n’est pas obligatoire. Cela s’oppose au principe de libre administration des collectivités territoriales. »
-
L’enseignement immersif est lui aussi contraire à la Constitution.
Bien qu’il ait été saisi uniquement à propos du forfait scolaire, le Conseil constitutionnel a le loisir (mais pas l’obligation) de se pencher sur l’ensemble du texte. Par ce biais, il pourrait donc examiner un autre article de la loi Molac, plus décisif encore : la possibilité, dans l’enseignement public, de consacrer la majeure partie du temps scolaire à des cours en langue régionale, considérée comme la seule mesure réellement efficace pour former des locuteurs.
- Là encore, selon Jean-Éric Shoettl, la censure menace. « Dès lors que « la langue de la République est le français », seul le français peut être la langue de l’enseignement public« , estime-t-il. La loi Molac a certes pris soin de préciser que ce type d’enseignement restait facultatif pour les familles et gardait pour objectif la maîtrise de la langue française, mais ce dispositif ne lui paraît pas suffisant.
Tous les juristes le savent : le droit constitutionnel n’a rien à voir avec une science exacte.
Sur ces mêmes questions, d’autres experts peuvent avoir des interprétations différentes (2), mais l’essentiel, au fond, n’est pas là. Car au-delà de l’aspect juridique, Jean-Éric Schoettl m’a fait part de ses convictions sur le sujet, qu’il résume ainsi : « J’ai beaucoup de tendresse pour les langues régionales, mais je ne leur sacrifierai pas la liberté, l’égalité et l’indivisibilité de la République« . Sachant que le mot le plus important de cette phrase, vous allez le constater, est le « mais ».
« Les langues régionales s’éteignent naturellement. » Jean-Éric Shoettl en est persuadé : « L’État n’est pour rien dans leur disparition.
Lisez la suite de cet interview sur le site de Michel FELTIN-PALAS
(1) Lire à ce sujet le très éclairant article de l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas sur le blog du « club des juristes »
(2) La juriste Anne Levade estime pour sa part que le Conseil pourrait se saisir de l’occasion pour donner une portée normative à l’article 75-1 de la Constitution ajouté en 2008 et ainsi rédigé : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » Certes, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité en 2011, les « sages » ont déclaré que cet article « n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ». « Précisément, argumente-t-elle. Ici, il ne s’agit pas d’une question prioritaire de Constitutionnalité, mais d’un texte de loi. Si le Conseil veut accorder un effet juridique à l’article 75-1, c’est le moment ! »