Imaginez un pays où l’État n’a pas le droit de demander deux fois dans une vie la même information au Citoyen. Et imaginez un pays où toutes les démarches se font en ligne avec une carte unique – sauf le mariage, le divorce et les achats immobiliers (par choix et pour l’instant).
Imaginez un pays où vous pouvez voter du fond de votre canapé en quelques minutes, souscrire un emprunt sans sortir de chez vous. Ou imaginez un pays où les enfants comme les personnes âgées sont formées au numérique depuis plus de vingt ans.
Et imaginez un pays où vous pouvez créer une entreprise en 18 minutes…
Un pays qui pense son État comme une plateforme de services inclusifs destinés à simplifier la vie de ses citoyens afin d’améliorer leur quotidien. Imaginez un pays où l’accès à internet est un droit fondamental depuis 2000. Imaginez un pays où la transformation digitale de l’État, sa transparence et la confiance établie avec les citoyens, est un motif de fierté nationale…
Sommaire
Ce pays, c’est l’Estonie.
Les Estoniens ont réinventé la notion même d’État, pensé comme une plateforme de services qui met le Citoyen au centre. La création de la plateforme d’Etat (X-Road) a démarré en 2000 avec la carte d’identité équipée d’une puce électronique (97,9% de la population est équipée de carte d’identité électronique) et la déclaration d’impôt en ligne. Puis avec la mise en place de la signature électronique (2002), l’e-gouvernement et les démarches d’état civil sur internet. Les services numériques de l’État se sont par la suite étendus : transports, banque, santé, élections (2005), éducation…
L’e-administration repose aussi sur le cryptage des données, l’interopérabilité et la transparence. Ainsi chaque Citoyen peut interroger l’administration sur les données qu’elle échange en son sein. La digitalisation de l’administration permettrait d’économiser une semaine de travail par an pour chaque Citoyen estonien. Et elle représenterait une économie annuelle à hauteur de 2% du PIB grâce aux démarches dématérialisées.
Cet État réinventé pratique des partenariats très étroits avec le secteur privé et l’écosystème des startups.
En effet, outre les services publics, des services privés, comme par exemple le paiement des parkings, est disponible sur le même portail de services. Cela se manifeste aussi dans le rapport de l’État à l’innovation. Si une jeune entreprise a besoin que la législation évolue afin de poursuivre son développement, le gouvernement est en mesure de le faire sous trois mois.
L’Estonie a d’ores et déjà adopté une législation pour les véhicules autonomes par exemple…. Et le premier bus autonome est en expérimentation à Tallinn la capitale. Il existe une réelle volonté d’améliorer les services de l’État en ayant recours à des solutions développées par des startups lorsque cela est nécessaire. Dans ce contexte, les orientations de l’État et la simplification radicale des démarches administratives ont un réel impact sur la vitalité du tissu économique des startups.
Si l’Estonie est connue pour Skype, elle compte d’ores et déjà quatre licornes, ces entreprises dépassant le milliard de dollars de valorisation – contre trois seulement en France…. Le tissu des start-ups est très dense : 31 startups pour 100.000 habitants, contre 8 startups pour 100.000 habitants en France.
Mais le numérique en Estonie n’est pas qu’un sujet économique.
C’est bien là la différence d’approche avec la plupart des pays. C’est un enjeu politique et social. L’e-gouvernement a été initié en raison de moyens financiers limités et de la configuration territoriale du pays : 1,3 million d’habitants sur une superficie plus étendue que celle de la Belgique ou des Pays-Bas. Cette densité très faible aurait rendu le maillage territorial des services publics très onéreux. Il a donné lieu à un plan de formation inédit, appelé « le Saut du Tigre », initié en …. 1996.
Depuis vingt ans donc, tous les enfants des écoles sont formés à l’usage d’internet.
Et cet effort de formation s’est déployé dans tous les villages du pays, y compris ruraux, avec des ordinateurs connectés dans les bibliothèques. Également des bus, et des formateurs à disposition de toute la population. Notamment les personnes âgées. En contrepartie, depuis 2000, l’accès à internet est un droit fondamental : 85% de la population a accès à l’internet en très haut débit.
Et l’objectif de 100% est pour 2020. C’est l’exemple même d’une politique volontariste de la part d’un Etat qui prend le défi numérique au sérieux. Sans infrastructures, sans formation, inutile de penser déployer des services publics numériques ou de stimuler la création d’entreprises du digital.
Les Estoniens ont eu la chance de pouvoir prendre des décisions politiques rapides et constantes, appuyées par la confiance réelle de la population.
C’est un véritable projet de société, démocratique, fondé sur la transparence, inclusif qu’ils ont bâti.
Un tel modèle est-il transposable en France ?
Dans une certaine mesure bien sûr ! Rien ne s’oppose à une carte d’identité électronique, nombre de nos voisins en ont. Pas plus que rien ne s’oppose à améliorer l’interconnexion entre services publics. Rien ne s’oppose non plus à ce qu’un grand plan de formation se mette en place, et qu’enfin la couverture du territoire en très haut débit ne soit plus un vœu pieux.
Mais moderniser l’État, cela ne veut pas dire seulement ajouter une couche de numérique. Cela veut dire changer son état d’esprit, être tourné vers le Citoyen. Il est plus simple de lui redemander plusieurs fois la même information que d’aller la chercher entre services… Notre administration française fonctionne encore trop en silos. Ce sont son organisation et ses méthodes de travail qui sont profondément à revoir si l’on veut un jour obtenir la même qualité de service que pour les Estoniens !
En quoi ce modèle peut-il être inspirant pour une Région ?
D’abord, rien n’interdit à une Région de mettre en œuvre un plan de formation au numérique aussi ambitieux que l’Estonie. Sans compter le rôle qu’elle peut jouer dans les infrastructures numériques. Ensuite, en termes de services, la Région ne peut bien sûr pas jouer un rôle qui revient à l’Etat. Mais elle peut fédérer les collectivités qui ont de nombreux services en direction du public.
Que ce soit les villes, les départements, la Région pour les entreprises, et réfléchir à une architecture unique, permettant de greffer les services de chacun, et accessible avec une carte d’identité numérique. Cela permettrait à cette Région d’être précurseur et de simplifier la vie de ses habitants.
Enfin, une telle expérimentation pourrait jouer un rôle économique, si elle associe le tissu local de start-ups pour créer ce système et multiplier les applications.
Alors, en France qui sera le premier à s’inspirer du modèle estonien ?
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[…] La lutte contre l’illectronisme nécessite un véritable plan d’action de la part de l’Etat et des collectivités, en s’inspirant notamment du projet de service public estonien. […]