république de Saint Malo

La République de Saint Malo

de Stéphane BROUSSE

La République de Saint Malo (1590 – 1594) : Ni Français, ni Breton, Malouin suis !

Afin de se soustraire aux grandes misères des guerres fratricides qui depuis 1562 opposent catholiques et protestants, les prospères marchands malouins constituent entre 1590 et 1594, une république indépendante.
Fort peu par idéologie à vrai dire, mais plutôt, comme nous allons le voir, par pur pragmatisme …

Saint Malo, An de grâce 1590 …

Saint Malo / Sant Maloù est alors une île uniquement accessible à marée basse. La cité compte alors environ 10.000 habitants répartis sur quelques seize hectares, protégés par de puissants remparts et une forteresse. Saint Malo / Sant Maloù est, en cette dernière décennie du XVIe siècle, une place marchande très prospère. Son port arme des navires de pêche et de commerce qui sillonnent mers et océans.

Les pêcheurs malouins se rendent sur les bancs de Terre Neuve pour y pêcher la morue exportée dans le tout monde chrétien. Saint Malo est aussi la cité du grand navigateur et explorateur Jacques Cartier, que François Ier a missionné trente ans plus tôt, pour explorer et commercer avec ce qui bientôt, deviendra le Québec.

Ni Français, ni Breton, Malouin suis …

La très catholique Bretagne parvient à se tenir tant bien que mal à distance des sanglantes guerres de religion jusqu’en 1589. Peu de protestants en terre bretonne.
Des tensions cependant apparaissent, lorsque Henri de Navarre, futur Henri IV, devient en 1584 héritier légitime du trône de France.
Le Duc de Mercœur et de Penthièvre, Philippe Emmanuel de Lorraine (1558 – 1602) est nommé Gouverneur de Bretagne par Henri III, le 05 septembre 1582. Il adhère à partir de 1584 à la Ligue Catholique. Cette adhésion fait craindre une radicalisation des positions. Lorsque Henri III est assassiné, le 02 août 1589, les puissants marchands malouins, catholiques, refusent de reconnaitre le nouveau souverain, Henri IV. Le Gouverneur de Sant Maloù et représentant du roi, le sieur Honorat du Bueil Baron de Fontaines, reconnait quant à lui, la légitimité de ce nouveau souverain, et annonce son intention de l’accueillir à bras ouverts, si d’aventure il se présentait, aux portes de la cité malouine.

Le pragmatisme des marchands et des armateurs malouins …

Les marchands et armateurs malouins, pragmatiques, savent que la guerre nuit au commerce. Ils se méfient tout à la fois des ultra – huguenots et des ultra – catholiques. Ils se souviennent aussi bien entendu des massacres des protestants, qui ont lieu dix huit années plus tôt, lors de la nuit de la Saint Barthélémy, le 24 août 1572.

Souhaitant donc plus que tout préserver leurs intérêts économiques, ils échafaudent un plan pour se saisir de la forteresse et se défaire de cet outrecuidant Honorat du Bueil. C’est dans la nuit du 11 au 12 mars 1590, aux environs de minuit, que les insurgés, une cinquantaine de jeunes malouins, commandés par Michel Frotet de la Bardelière et de Jean Pépin de la Bélinaye, s’emparent de la place forte. Le malheureux gouverneur, dans la mêlée, se prend une volée d’arquebuse en pleine poitrine et passe de vie à trépas.
À l’aube, la forteresse, pourtant jugée imprenable, est aux mains des rebelles.

Jusqu’à ce que Dieu eût donné à la France un roi catholique …

Ceux-ci forment un conseil et élisent un procureur – syndic en la personne de Jean Picot de la Gicquelay, chef et président du conseil, mettant ainsi en place une sorte de république autonome, qui ne durera, affirment-ils, que jusqu’au couronnement d’un souverain catholique.
Ce conseil détient tous pouvoirs en matière de défense, de police, de justice mais aussi en matière de commerce, de finance et de relations extérieures. L’Historien Gilles Foucqueron, évoque au sujet de cette étrange république, une oligarchie parlementaire, fonctionnant un peu sur le modèle des cités hanséatiques ou des assemblées communales italiennes.

Le commerce avec le Royaume de France ou avec des partisans du nouveau souverain est formellement prohibé. Des relations commerciales privilégiées sont renforcées avec les cités de Saint – Brieuc, Roscoff, Lannion, Morlaix. La nouvelle république veille aussi à conserver de bonnes relations avec nations étrangères, Angleterre, Provinces – Unies et aussi bien sûr avec la puissante Ligue Hanséatique. Elle se rapproche également de la très catholique et très prospère Espagne.

Saint – Malo vaut bien une messe …

Le 25 juillet 1593, Henri abjure la foi protestante et se convertit très solennellement au catholicisme à Saint-Denis afin de mettre fin aux terribles guerres de religion. Il est couronné à Chartres le 27 février 1594. Le Ier avril 1594, une délégation malouine est envoyée auprès de sa majesté afin de discuter des modalités de dissolution du conseil et des prérogatives pour rentrer dans le giron français. Henri IV cède aux exigences des malouins et signe un édit de réduction le 04 octobre 1594. La totalité des privilèges commerciaux sont maintenus. Ce contrat est enregistré au Parlement de Bretagne le 05 décembre 1594. Henri IV a pardonné aux Malouins qu’il embrasse d’une paternelle affection …
Les commerçants sont en outre exonérés de taxe, pour une durée six années.

Tandis que la Bretagne se paupérise, Saint Malo / Sant Maloù entre dans une ère de grande prospérité.
La cité malouine commerce désormais avec les plus grandes nations, et devient ainsi, une sorte de gigantesque marché / entrepôt, où il est possible de se procurer dit-on, tous les biens et les denrées venues des quatre coins du monde connu. Au cours des deux siècles suivants, ces Messieurs de Saint Malo, développeront ainsi cet esprit d’indépendance mâtiné d’arrogance.


Malouin d’abord, Breton ensuite, Français s’il en reste …

Iconographie


Vue de Saint Malo / Sant Maloù au XVIe siècle
Retour à Amsterdam – 1599 – Andries van Eertwelt (1590 – 1652)
Carte du monde gravée et colorée par le cartographe hollandais Abraham Ortelius (1527 – 1598)
Illustration principale : photo NHU Bretagne

Bibliographie


FOUCQUERON Gilles, Malouin suis. Une république sous la Ligue, Combourg, ATIMCO, 1989.
KERNALEGENN Tudi, « La république de Saint-Malo », ArMen n° 200, mai-juin 2014, p. 32-39.
LE GOFF Hervé, La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598), Rennes, PUR, 2010.
CROIX Alain, L’âge d’or de la Bretagne. 1532-1675, Éditions Ouest-France, Rennes, 1993
LESPAGNOL André (dir.), Histoire de Saint-Malo et du pays malouin, Éditions Privat, Toulouse, 1984
SIMIOT Bernard, Ces Messieurs de Saint – Malo, Éditions Albin Michel, Roman, 1983, 522 pages

Musique


Charles Tessier (1560 – 1610) Carnets de Voyage. Quand le flambeau du monde : (2805) Charles Tessier – Quand le flambeau du monde – YouTube

YouTube


Je vous recommande l’excellente chaine YouTube Istoeriou Breizh : La République de Saint-Malo (youtube.com)

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2 commentaires

Anne Merrien 28 juillet 2024 - 13h08

L’arrogance malouine passée n’est pas sans rappeler l’arrogance nantaise (ou rennaise) actuelle… La roue a tourné : Saint-Malo n’est plus qu’une sous-préfecture.

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Colette TRUBLET 29 juillet 2024 - 8h53

Nous descendons tous d’un roi et d’un pendu … Chacun de nous est héritier de sa longue lignée. Je suis un Trublet, descendante d’un de ces messieurs de Saint-Malo dont la révolution et la Terreur ont effacé les traces. Mon héritage est flou et pourtant je reste fidèle au Pays de Rance dont Saint-Malo est la tête de pont. Et je me demande ce qui de nous et de la Bretagne subsistera, s’il y a une vie après la vie, ce que découvre actuellement la physique quantique (Philippe Guillemant, Philippe Bobola et d’autres). Nos ancêtres nous demanderont-ils ce que nous avons fait du vieux pays, nos descendants nous accuseront-ils de l’avoir abîmé ? L’esprit breton, l’âme bretonne se dérobent sous les événements mais ne nous lâchent pas. Comme si l’héritage cherchait encore et toujours à produire ses effets. L’enracinement tient bon. Que voulons-nous en faire?

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