Merci à Kentin Daniel de nous recevoir aujourd’hui en Bro-Gwened / Vannetais pour nous présenter l’indispensable travail de l’association bretonne Parchenn. Ce mot breton, parchenn, se traduit par « parchemin » en langue française.
Sommaire
Kentin, comment définir Parchenn ?
Notre association – fondée en mars 2023 à An Oriant – s’est développée pour proposer des animations pédagogiques. Principalement pour les enfants de 8 à 15 ans, concernant l’Histoire et à la géographie de la Bretagne.
Nos ateliers d’initiation se veulent généraux et concis, répartis sur quelques heures tout au plus. L’objectif est de faire en sorte que, par ces interventions, un grand nombre de jeunes Bretons et Bretonnes aient accès aux bases de la compréhension de l’environnement physique et humain dans lequel ils vivent et dont, pour la plupart, ils sont issus depuis de multiples générations.
En plus des activités que nous proposons pour les publics scolaires et périscolaires, nous souhaitons également atteindre les adultes en proposant de petites conférences d’initiation sur ces mêmes thèmes.
Expliquez nous cet entrelacement entre Histoire et Géographie, en particulier pour notre pays, la Bretagne.
Tout peuple, toute nation a son Histoire, c’est-à-dire la somme des faits, des événements marquants, des phénomènes sociaux et naturels qui ont déterminé à un moment ou à un autre sa trajectoire pour aboutir à sa situation présente. En plus de son Histoire, tout peuple a son territoire, c’est-à-dire l’espace physique sur lequel s’exerce sa vie. Cet espace peut le contraindre par ses pressions, notamment climatiques, mais l’espace de vie peut être également contraignant par ses limites (hautes montagnes, grands fleuves, océans, etc …).
Cela est d’autant plus valable pour un pays péninsulaire comme le nôtre, bordé par la mer sur trois flancs.
Ces deux disciplines, que sont l’Histoire et la Géographie, sont donc inextricablement liées l’une à l’autre, et le géographe français Élisée Reclus d’admirablement résumer la chose : « L’Histoire n’est que la Géographie dans le temps, comme la Géographie n’est que l’Histoire dans l’espace. »
Comme dans tout pays, la géographie est omniprésente : toponymie, forêts, littoraux, villes et villages, reliefs et cours d’eau formant autant de frontières naturelles entre différentes régions bretonnes (puisqu’il y en a !). Tout est propice à faire de la géographie pour qui sait regarder.
En quoi ces deux matières sont-elles si importantes selon vous ?
Un peuple est constitué par un nombre d’individus plus ou moins grand, et peu en importe le nombre d’ailleurs.
Une Cité peut être peuplée d’une quantité gigantesque de citoyens, du moment que le liant ou le ciment qui les unit tous est suffisamment fort et robuste pour faire tenir l’édifice. Ce mortier entre les pierres, qui donne sa cohésion à la nation, c’est sa culture, constituée de sa langue, son Histoire, ses coutumes et traditions, ses costumes, sa gastronomie, sa musique, sa danse, sa poésie, son architecture, etc …
Toutefois, les deux plus importants ingrédients sont indubitablement la langue et l’Histoire.
Enlevez l’un, l’autre disparaîtra et de ce fait, toute la culture du peuple avec !
Un peuple peut survivre s’il perd sa gastronomie particulière ou ses danses ancestrales. Du moment qu’il lui reste l’incompressible : son Histoire et sa langue.
Ainsi, on ne peut dissocier l’initiation à la culture bretonne des futures génération sans leur donner les bases de leur Histoire, puisque, comme nous l’avons dit plus haut, cette Histoire est avant tout celle de leurs ancêtres.
De quelles manières intervenez vous dans les écoles pour l’animation de vos ateliers ?
Durant nos animations en milieu scolaire et périscolaire, l’animateur distribue un fascicule papier à chaque enfant, fascicule sur lequel on trouve une page par thème d’Histoire ou de Géographie de la Bretagne. Chaque page contient une carte, un petit résumé, une frise chronologique en Histoire, divers schémas ou autres en géographie.
L’intervenant projette une présentation à l’écran et commente les différents thèmes en apportant des images supplémentaires à la compréhensions des enfants. Chaque école étant différente, nous faisons en sorte d’adapter l’exposé aux particularités historiques et géographiques de chaque pays breton. On ne dira pas exactement les mêmes choses si l’on est en Pays de Sant-Brieg ou en Pays Nantais. Ce sont en quelque sorte des petites conférences animées, adaptées à l’âge et niveau de chaque groupe. Ceux ayant assisté à l’animation remportent le fascicule chez eux et peuvent ainsi le consulter quand ils le souhaitent et réviser rapidement les principales caractéristiques historiques et géographiques du pays. Les professeurs peuvent également continuer à exploiter le fascicule en classe s’ils le souhaitent.
Pensez-vous qu’il existe un déficit global de l’apprentissage de l’Histoire et de la Géographie dans les écoles ?
Il suffit de parler un peu avec un quelconque ressortissant hexagonal, d’origine territoriale variée ou non, pour constater que la plupart des individus que nous pouvons côtoyer en France ou en Bretagne ne connaissent absolument pas l’Histoire de leur pays.
Pareillement, ils ne connaissent que très peu sa géographie et résonnent quasiment exclusivement en terme de départements post-révolutionnaires. Ceux-ci ne permettant pas une projection historique sur le long terme, car ne remontant pas à plus de 200 ans (quand on sait que la Bretagne armoricaine a plus de 1600 ans).
De plus, l’École française a aujourd’hui tendance à trop disjoindre les deux champs, historique et géographique, et à rendre ces deux domaines trop abstraits dans leur enseignement. Alors qu’il est aisé de rendre la chose vivante en utilisant ce qui est sous nos pieds, la terre sur laquelle nous vivons.
L’Histoire et la géographie de la Bretagne sont totalement occultées dans les écoles. Est-ce, selon vous, une volonté manifeste du pouvoir central ?
C’est tout à fait évident, et ce, pour plusieurs causes.
La principale étant, comme l’a avoué un jour l’ancien premier ministre français Michel Rocard : « La France s’est construite comme un cas unique en Europe… où c’est militairement l’État qui a fabriqué la Nation en détruisant des cultures [dites] locales (Corse, Bretagne, Alsace, Languedoc…) » (1)
Ce faisant, il est indéniable de constater que depuis un siècle, le niveau de connaissances historiques et géographiques des Bretons a profondément évolué et certainement pas dans le bon sens.
Expliquons nous !
Lorsque la Bretagne était encore une « nation réputée étrangère » au sein du Royaume de France, certes l’éducation était déjà en voie de francisation lente, mais les Bretons avaient chevillé au cœur le fait d’être une nation particulière et avaient en partie conscience des caractéristiques historiques et géographiques propres de leur pays.
Nous imposer un « roman national français »
En effet, la culture populaire, surtout celle de langue bretonne, transmettait de génération en génération les récits des grands rois, princes, princesses, saints et saintes qui ont fait la Bretagne au Moyen Âge.
La Révolution passant, l’éducation centralisée s’instituant de plus en plus profondément dans la vie des paroisses bretonnes, c’est une autre Histoire qui fut inculquée aux Bretons, celle du roman national français, tel que théorisé par Michelet et plus tard Bainville.
On n’étudia guère plus qu’un tout petit peu de géographie de Bretagne –
et certainement pas son Histoire plus que millénaire – dans l’optique de l’intégrer à l’Hexagone. Durant une bonne partie du XXe siècle, les élèves bretons apprenaient les listes des rois francs (Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens, etc.), sans connaître les rois et ducs qui avaient régné sur leurs ancêtres. Mais aujourd’hui, ils ne connaissent plus ni les uns, ni les autres !
Vous êtes parfaitement bilingue brezhoneg / langue française. Avez vous été contacté par le réseau Diwan pour intervenir dans leurs établissements ?
Nous ne visons pas spécifiquement le réseau Diwan, ni les filières bilingues Divyezh (Éducation Nationale) et Divaskell (Enseignement Catholique).
Nous restons bien sûr ouverts à toute proposition d’intervention au sein de ces réseaux, dont nous saluons le travail. Cependant, nous partons du principe que dans ces filières sus-mentionnées, et ce, malgré le manque de temps et de moyens alloués, un certain nombre de professeurs parlent déjà de géographie bretonne et d’Histoire de la Bretagne à leurs élèves dans leurs cours.
Le fait de connaître la langue bretonne, initie forcément à la chose d’une manière ou d’une autre.
Il reste donc tous les autres élèves de Bretagne historique, c’est-à-dire les quelques 97,6% d’élèves des 1er et 2d degrés de Bretagne historique n’étant pas scolarisés en filière brittophone (2).
Chiffre qu’on ne trouve étrangement pas dans le rapport 2023 de la rentrée de l’enseignement bilingue et immersif en langue bretonne.
Ce sont ces enfants non bretonnants que nous visons prioritairement, car il apparaît clair que la grande majorité des professeurs d’histoire et géographie en Bretagne, bien que souvent d’origine bretonne, ne sont aucunement préoccupés d’Histoire de Bretagne et du devoir moral qu’ils ont sur ce sujet.
Et peut-on réellement leur en vouloir ?
Il n’existe aucune intervention sur le sujet dans leur cursus de formation, autant avant, que pendant leur prise de poste.
Et ils n’ont aucune obligation d’aborder ces domaines dans les programmes qu’ils sont chargés d’exécuter. Bref, nous devons regarder les choses en face, autant en ce qui concerne l’enseignement de la langue que de l’histoire-géographie de notre pays : c’est une catastrophe !
Pour autant, tout n’est pas perdu et il faut relancer l’assaut.
Depuis 1977, la Charte Culturelle Bretonne, acquise de haute lutte grâce aux multiples actions (y compris clandestines) de l’Emsav, permet noir sur blanc l’enseignement de l’Histoire et de la Géographie de la Bretagne en nos écoles :
« Titre I, 1. Enseignement de la culture bretonne : Un enseignement en français portant sur les patrimoines culturels bretons sera dispensé dans tous les ordres d’enseignement et dans l’ensemble de la Bretagne, dans le cadre des nouveaux programmes qui feront place à l’étude des patrimoines locaux (activités d’éveil pour l’enseignement préélémentaire et élémentaire, histoire, géographie, […] ».
Le recteur d’Académie confirme « le droit … à enseigner l’Histoire de la Bretagne ».
En novembre 2014, le recteur d’Académie de Roazhon aurait même produit « un texte informatif réaffirmant le droit de ces enseignants d’Histoire à enseigner l’Histoire de la Bretagne […] » (3).
Le feu est donc vert depuis près de cinquante ans.
Or, qu’a dont été mis en place pour l’enseignement de l’Histoire de la Bretagne et de sa géographie dans les écoles de notre pays ?
Quelques braves initiatives de la part de certains professeurs, notamment Loeiz Elegoued et Frederig Morvan, et nous en oublions sans doute d’autres. Seulement, rien de systématique et de massif n’a été mis en place, pas même par la Région Bretagne administrative.
Les quelques rares initiatives existant sporadiquement, de par la péninsule, ne peuvent être considérées comme de véritables initiations à l’Histoire de la Bretagne sur toute sa durée, car trop souvent diluées dans des interventions mélangeant la musique, la danse, etc.
Le feu est maintenant en train de passer à l’orange.
L’État français et le ministère de l’Éducation Nationale font tout pour bloquer le développement des initiatives allant dans le bon sens sur ces questions.
Alors, allons nous rester sans réagir jusqu’à ce qu’il passe au rouge ?
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Merci à NHU Bretagne de permettre à cette initiative d’être connue par un grand nombre des nôtres.
Merci à vous, Kentin, de nous avoir reçu pour présenter Parchenn à nos lecteurs.
Annexes
(1) Interview de M. Michel Rocard, membre du bureau national du Parti Socialiste, dans « La Une » de février 1999, sur ses relations avec François Mitterrand », vie-publique.fr
(2) Pour arriver à ce résultat : ≈ 20K en filières bretonnantes Diwan + Diyezh + Divaskell (Ofis Publik ar Brezhoneg, « Les chiffres de la rentrée scolaire de l’enseignement bilingue en 2023 », janvier 2024) – 578K élèves en 1er et 2d degrés sur les départements de l’Académie « B4 » (Académie de Roazhon / Rennes, « Chiffres clés 2022-2023, màj 30 mars 2023 ») ; ≈ 270K élèves en 1er et 2d degrés en Pays Nantais (Académie de Naoned / Nantes, « Flash Statistiques, Rentrée 2020 : 378 700 élèves scolarisés dans le premier degré » & « Flash Statistiques, Les élèves du second degré à la rentrée 2020 : plus de collégiens et autant de Lycéens », décembre 2020.
Nous avons donc 578K + 270K = 878K ; (20 000 ÷ 878 000) x 100 ≈ 2,4 ; 100 – 2,4 = 97,6.
(3) Frédéric Morvan, « Bretagne, l’Histoire confisquée« , Paris, Le Cherche Midi Éditions, 2017, p. 17.
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1 commentaire
C’est une excellente initiative, surtout qu’elle ne vise pas à prêché aux convaincus, mais vise l’ensemble des élèves en Bretagne.