Oignons de Roscoff / Rosko

Une très brève histoire des oignons de Roscoff / Rosko

de Stéphane BROUSSE

Histoire, très brève, des oignons de Roscoff / Rozko

L’oignon – Allium cepa –  aurait été consommé sous sa forme originelle en Asie centrale.
Les premières traces de sa culture proviennent de Mésopotamie. L’oignon gagne ensuite l’Égypte, puis la Grèce, et enfin le monde romain qui se charge de sa diffusion un peu partout en Europe occidentale. Il était, dit-on, fort apprécié des Gaulois. Charlemagne, dans le capitulaire De Villis en recommande la culture dans les jardins royaux (1).

Plus de mille variétés sont aujourd’hui référencées au catalogue européen des espèces et variétés. Cinquante variétés sont classées au catalogue français. Il y a aujourd’hui, des oignon blancs, des oignons jaunes et des oignons rouges.  Parmi ces derniers, le très fameux oignon de Roscoff / Rosko dont voici la petite et la grande histoire.

L’histoire de l’oignon de Roscoff / Rosko débuterait en 1647

Quand un moine capucin, nommé Frère Cyril  s’en revenant du Portugal avec dans son maigre bagage, des graines d’un oignon dont il tout particulièrement apprécié la suavité. Les délicieux bulbes auraient été tout d’abord cultivés dans les jardins du monastère. Cet oignon rosé qui semble apprécier les sols sablonneux et la douceur du climat, ne tarde pas à s’imposer sur les rivages du Léon dans ce qui sera bien plus tard nommée, la ceinture dorée.

côtes de Bretagne côtes bretonnes
Roscoff / Rosko, grand port de la Ceinture dorée bretonne

C’est quoi la ceinture dorée ?

La ceinture dorée est une frange littorale située au nord de la Bretagne à cheval sur le Léon et le Trégor. Les sols recouverts de lœss recouvrant un plateau granitique y sont particulièrement riches. Par ailleurs, il y est fait très tôt usage d’engrais naturels composés de goémon et de maërl qui a favorisé la culture de primeurs. 

Roscoff / Rosko était alors une cité portuaire essentiellement tournée vers le commerce du sel en provenance du sud de la Bretagne et le commerce du lin servant entre autres à la confection des voiles pour la marine. L’exportation de légumes cultivés en Bretagne et exportés en Angleterre est attestée depuis le XIVe siècle. Au XVIIIe siècle, dans la décennie précédant la Révolution française, un commerce de légumes se met en place entre la Bretagne et la France.

English onion is not good !

Alexandre Dumas (1802 – 1870) dans son Grand dictionnaire de cuisine (1873) raconte l’anecdote suivante : un  roscovite aurait rempli les cales d’un sloop et se serait rendu jusqu’à un marché de Londres où il aurait inscrit sur son étal English onion is not good ! La provocation suscite alors une homérique bataille rangée mais notre homme liquide en quelques heures son stock d’oignons. Sans doute  fait-il référence à Henri Ollivier, pauvre paysan de la Ferme du Raz à Roscoff / Rosko qui, en 1828, affrète une gabarre dont il remplit les cales d’oignons. Le jeune homme traverse la Manche et débarque à Plymouth.

En quelques heures, notre hardi roscovite parvient à vendre sa cargaisons de bulbes bretons. Cette belle histoire n’est peut-être qu’une légende car on ne retrouve trace nulle part de ce voyage outre-manche. Ce qui est attesté en revanche, c’est que trente ans plus tard, se sont plus de 200 paysans – commerçants roscovites qui se rendent en Grande Bretagne pour vendre les fameux oignons.
Ils sont surnommés Johnnies par les ménagères anglaises.

Oignons roses de Roscoff / Rosko
Oignons roses de Roscoff / Rosko – deux Johnnies

Qui sont les Johnnies ?

Il existe diverses explications sur les origines du mot Johnnies.
Selon certains linguistes, le nom Johnnie revêt un caractère péjoratif donné à un groupe de non-britanniques …
Hypothèse contestable car les roscovites acquiert très rapidement une excellente réputation tant auprès des autorités que de la population anglaise (3)

François Menez (1887 – 1945) dans son Promenades en Léon (1927) nous dit ceci au sujet des Johnnies :  « le Johnny ne disposait avant la première guerre mondiale pour le transport de ses légumes, que de l’archaïque charrette à bras qu’il trainait par les routes anglaises, le plus souvent pieds nus, le pantalon retroussé jusqu’aux genoux, de la fine pointe de l’aube jusqu’au soir tombé et jusqu’à ce que la cargaison soit épuisée, la règle étant de ne rentrer en Léon qu’une fois le stock écoulé (2). »  

Si le négoce  en ses débuts se met en place uniquement dans le sud de la Grande-Bretagne, les Johnnies, de plus en plus nombreux, ne tardent pas à élargir le marché. François Menez nous dit encore ceci : « Il s’en allait donc, de village en village et de ville en ville, de Torquay à Aberdeen, des baies de Cornouailles aux Hautes Terres d’Ecosse, coiffé d’un vaste chapeau de jonc, tenant sur l’épaule, à la façon annamite, une longue perche d’où les bottes d’oignons aux tiges tressées pendaient en longs chapelets (2).  » 

Oignons de Roscoff / Rosko
Oignons de Roscoff / Rosko – arrivée des charrettes d’oignons sur le port

Au tout début du XXe siècle, plus de deux mille Johnnies franchissent ainsi la Manche.

Quelques femmes les accompagnent parfois, des enfants aussi, tout juste âgés de douze ans, main-d’œuvre pour les compagnies qui se sont implantées dans les ports du sud de la Grande-Bretagne. Les femmes s’emploient à tresser les bottes d’oignons, à accomplir des tâches administratives et à assurer le confort tout relatif, de leurs Johnnies de maris. Elles sont parfois surnommées Jennies. À cette époque, se sont plus de 9000 tonnes d’oignons qui sont vendues entre juillet et février.

Le nombre de Johnnies se maintient peu ou prou jusque dans les années 20 et tend à se réduire à partir des années 30, en raison de l’instauration de tarifs douaniers. Les Johnnies se regroupent en petites compagnies de quinze à trente membres, exceptionnellement soixante membres. Ils achètent parfois des dundees ou des goélettes pour transporter la marchandise.
À la  veille de la seconde guerre mondiale, les Johnnies ne sont plus que 700 à 900 (3).
Les Johnnies font du porte à porte à pied parfois, mais plus souvent à bicyclette, et, pour les plus prospères, en véhicule motorisé à partir des années 30-40.

Les Johnnies honnêtes et travailleurs

Même si certains commerçant anglais jugent ce commerce déloyal, les Johnnies bénéficient de la bienveillance des autorités britanniques.  Les Johnnies ne sont pas contraints comme des vagabonds, bien qu’ils soient colporteurs, à l’enregistrement. Ils sont considérés Outre Manche comme des gens honnêtes et travailleurs. Ils ne paient pas de licence pour exercer leur activité. Lors de la mise en place en 1905 du Aliens Act, limitant l’arrivée d’étrangers sur le sol britannique, le député français Albert de Mun (1841-1914) adresse aux autorités britanniques une lettre de soutien à ces  paysans-commerçants bretons.  

Auprès de la population anglaise, le Johnnie breton est aussi perçu comme un homme viril et authentique, un aventurier, admiré par certains auteurs qui dénonce la société industrielle et cet homme nouveau, amoindri sur le plan physique et psychique ainsi que sur le plan moral.
Une noble race aux larges épaules nous dit le nationaliste gallois Ambrose Bebb (1894-1955) dans les colonnes du Evening Telegraph, vers la fin des années 1930.

Le commerce d’oignons, qui avait atteint son apogée dans les années 20-3O, ralentit à partir  des années 40.
Après la seconde guerre mondiale, les Johnnies ne sont que 500. Dans les années 70 ils ne seront plus que 150. Des mesures protectionnistes plus strictes ainsi que la mise en place de nouvelle forme de distribution seront fatales au négoce des onions johnnies

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L’oignon de Roscoff est une des fiertés du Léon. 

De forme sphérique, avec un calibre de 40 à 80 mm, le bulbe finistérien est aisément reconnaissable à son enveloppe tirant du cuivré au rosé.
Sa chair rosie se consomme crue ou cuite, et les gourmets affirment  que son goût est doux et fruité.  
Johnny est une profession et un mode de vie  en voie de disparition.
En 2022, l’association de comptait plus que sept membres.  Une maison des Johnnies et de l’oignon de Roscoff / Rosko a été créée à … Roscoff.
Chaque année, une fête célèbre l’oignon de Roscoff / Rosko.
Depuis le 22 août 2010 une confrérie de l’oignon de Roscoff / Rosko défend et promeut le bulbe roscovite.
Reconnaissance ultime. L’oignon de Roscoff a obtenu une AOC le 19 octobre 2009 et une AOP  le 18 septembre 2013.  

Iconographie

Tresse d’oignons (inconnu)
Le port de Roscoff / Rosko (inconnu)
Le chargement des oignons (inconnu)
Albert et Claude Daridon à bicyclette (copyright maison des oignons)

Bibliographie

  • Élisabeth Lemoine, Guide des légumes du monde, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999, p. 12.
  • François Menez Promenades en Léon – Cercle Culturel Quimpérois, Calligrammes, dans la collection « Lettres Bretonnes », Quimper / Kemper, 1985  
  • Leboissetier, Léa. “‘Johnny Onions!’: Seasonal Pedlars from Brittany and Their Good Reputation in Great Britain (1870s–1970s).” Journal of Migration History 7, no. 2 (August 23, 2021)
  • Yvon Mauffret Les oignons de la fortune, éditions Rageot, février 2004 (roman).

Sitographie

www.oignon-de-roscoff.fr
www.journals.openedition.org/lbl/425

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