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L’esclavage et la Bretagne : une mémoire lourde mais nécessaire
Pendant longtemps, la Bretagne s’est pensée extérieure à l’histoire de l’esclavage. Et pourtant, les ports bretons, notamment Nantes / Naoned et Lorient / An Oriant, furent des acteurs de premier plan dans la traite négrière transatlantique. Cette réalité dérange. Elle dérange parce qu’elle met en lumière une responsabilité économique, logistique et politique dans un système brutal : la déportation massive d’Africains vers les colonies françaises extérieures.
Mais il est temps d’en parler. Car une nation qui nie son passé est une nation qui se condamne à le reproduire. Revenons sur l’histoire de cette traite, sur ses rouages, et sur le rôle spécifique qu’a joué la Bretagne.
Quand a commencé la traite négrière vers les colonies françaises ?
La déportation d’Africains vers les colonies françaises d’Amérique débute au XVIIe siècle. Après la prise de possession de territoires antillais comme la Guadeloupe et la Martinique en 1635, puis Saint-Domingue en 1659, la France cherche une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci. Elle la trouve en Afrique de l’Ouest.
Mais tout devient officiel en 1685 avec la promulgation du Code Noir, sous Louis XIV. Ce texte légitime et encadre l’esclavage des Noirs dans les colonies extérieures. Il les définit comme des biens meubles, c’est-à-dire des objets que l’on peut vendre ou transmettre. L’État français est donc pleinement impliqué dans l’institutionnalisation de l’esclavage.
Qui a organisé cette traite depuis Paris ?
Le système a été structuré depuis Paris, au plus haut niveau de l’État royal. Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, joue un rôle déterminant. Il fonde en 1664 la Compagnie des Indes occidentales, qui obtient le monopole du commerce entre la France, l’Afrique et les Antilles. D’autres compagnies suivront, avec parfois des privilèges royaux.
Le pouvoir central parisien, bien que géographiquement éloigné, pilote tout : l’octroi des monopoles, les politiques coloniales, l’encadrement juridique. Paris décide, les ports exécutent.
Un principe économique cynique : le commerce triangulaire
Le moteur de la traite transatlantique, c’est le profit, pur et simple. Le schéma est connu : le commerce triangulaire.
- Des navires quittent les ports européens, chargés de produits manufacturés (armes, tissus, alcools).
- En Afrique, ces marchandises sont échangées contre des « captifs« , achetés à des royaumes locaux ou capturés lors de razzias.
- Les esclaves traversent l’Atlantique dans des conditions atroces. C’est la « traite négrière » proprement dite.
- Aux Antilles, ils sont vendus, puis les navires rentrent en Europe avec du sucre, du café, du coton, du tabac.
Chaque étape est source de bénéfices. L’humain est transformé en marchandise. Et l’économie coloniale française prospère sur cette base.

L’esclavage et la Bretagne : Nantes / Naoned, Lorient / An Oriant, Saint-Malo / Sant Maloù
Parmi les ports impliqués dans ce commerce, Nantes / Naoned occupe la première place dans l’Hexagone Entre 1707 et 1830, plus de 1 700 expéditions négrières partent de la ville. Cela représente près de 450 000 esclaves déportés.
Nantes / Naoned, capitale négrière de l’Europe occidentale
Les grandes familles d’armateurs négriers à Nantes / Naoned sont issues de la bourgeoisie locale, enrichie par le commerce maritime bien avant la traite négrière. Ces familles investissent dans la construction navale, l’assurance maritime, la banque et la spéculation sur les produits coloniaux.
Parmi les noms célèbres : les familles Montaudouin, Grou, Deurbroucq, Dobrée, Monti, Hodoul …
Ces dynasties nantaises possédaient parfois plusieurs navires négriers en même temps, affrétant chacun des dizaines de campagnes de traite.
Des investisseurs parfois extérieurs, mais minoritaires
Des capitaux parisiens ou bordelais ont parfois été investis dans les expéditions, notamment via des compagnies ou des sociétés à plusieurs actionnaires. Mais la grande majorité de la traite organisée à Nantes / Naoned était pilotée localement, avec des circuits économiques intégrés : chantiers navals, armement, fournisseurs, notaires, raffineurs de sucre, etc.
Pourquoi Nantes / Naoned ?
Nantes / Naoned est géographiquement bien placée :
- Proche de l’estuaire de la Loire (donc accessible à des navires de fort tonnage),
- Assez proche des routes atlantiques vers l’Afrique et les Antilles,
- Et surtout, hors du monopole du port de La Rochelle, qui dominait le commerce avec les colonies avant le XVIIIe siècle.
La ville bretonne a su profiter du besoin grandissant de main-d’œuvre dans les plantations antillaises, en adaptant toute son économie à ce commerce inhumain.
Nantes / Naoned a été un acteur central, structurant, avec une bourgeoisie locale pleinement impliquée dans la traite négrière. Et cette implication a laissé des traces durables dans le tissu urbain, économique et social de la ville.

Lorient / An Oriant et la Compagnie des Indes
Moins connue, Lorient / An Oriant joue pourtant un rôle important. Fondée comme port militaire, elle devient rapidement un centre commercial majeur grâce à la Compagnie des Indes, qui y installe son siège.
Si An Oriant participe moins directement à la traite négrière que Naoned, elle n’en est pas absente.
Des navires y sont construits, des marchandises y sont stockées. Des expéditions y sont organisées.
D’autres ports bretons …
D’autres ports comme Saint-Malo / Sant Maloù ou Morlaix / Montroulez participent également, de façon beaucoup plus marginale, mais avec une logique économique identique : tirer profit de la traite pour enrichir les élites locales.
Les autres formes d’esclavage : un phénomène mondial
La traite transatlantique n’est pas la seule forme d’esclavage. Le monde arabo-musulman, dès le VIIe siècle, a organisé une traite transsaharienne et orientale.
Des millions d’Africains sont capturés et emmenés vers :
- Le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye),
- Le Moyen-Orient (Égypte, Arabie, Perse),
- L’Empire ottoman, jusqu’à Istanbul.
L’esclavage y est souvent domestique, mais aussi militaire (janissaires, eunuques). Les femmes y subissent souvent des violences sexuelles systématiques.
Cette traite a duré jusqu’au XXe siècle, parfois jusqu’aux années 1960. Elle a été moins documentée, mais tout aussi massive.
Quand l’esclavage a-t-il été aboli ?
Dans l’Hexagone
Paris abolit l’esclavage une première fois en 1794, sous la Révolution. Mais Napoléon le rétablit en 1802. L’abolition définitive a lieu en 1848, grâce au combat de Victor Schœlcher.
Fait révoltant : l’État français indemnise les anciens propriétaires d’esclaves, mais aucune compensation n’est versée aux victimes.
En Europe
Pays | Abolition officielle |
---|---|
Danemark | 1803 |
Royaume-Uni | 1833 |
France | 1848 |
Pays-Bas | 1863 |
Portugal | 1869 |
Espagne | 1886 |
La France est donc dans la moyenne européenne, mais elle n’a rien à revendiquer comme pionnière.
La Bretagne face à sa mémoire esclavagiste
Aujourd’hui encore, cette histoire reste taboue en Bretagne. Nantes / Naoned commence à reconnaître son rôle, avec un Mémorial de l’abolition de l’esclavage, inauguré en 2012. Mais dans le reste du pays, le sujet reste souvent éludé.
Il est urgent de :
- Nommer les choses : oui, des ports bretons ont été esclavagistes.
- Restituer la mémoire aux victimes : donner une place à cette histoire dans l’enseignement, dans l’espace public.
- Repenser l’héritage : les fortunes issues de la traite ont façonné des villes entières.
Pourquoi parler d’esclavage aujourd’hui ?
Parce que les conséquences sont encore visibles :
- Inégalités raciales structurelles ;
- Mémoire blessée pour les descendants des esclaves ;
- Discours négationnistes ou relativistes qui perdurent.
Mais aussi parce que reconnaître son passé, ce n’est pas s’accuser, c’est se libérer. En Bretagne comme ailleurs, il est temps de regarder l’histoire en face, avec lucidité et responsabilité.
Et cela vaut également pour le pouvoir central qui continuer à « oublier » également l’Histoire de Bretagne.
L’esclavage et la Bretagne… mais mémoire à faire
La Bretagne n’a pas été spectatrice de la traite négrière. Elle en a été un acteur économique majeur, même si la décision politique venait du pouvoir central de Paris. Cette vérité dérange, mais elle est indispensable à entendre.
NHU Bretagne, fidèle à sa vocation d’émancipation intellectuelle, invite à ne pas fuir ce passé. Mais à le connaître, à l’assumer, et à en tirer les leçons.
Car c’est dans la vérité que naît la liberté.
3 commentaires
Il y a une confusion importante dans ce texte dont l’auteur n’est pas précisé et qui n’a pas à parler au nom des Bretons, de considérer que sa propension à la repentance serait la norme. La Bretagne porte-t-elle une responsabilité historique dans la déportation d’Africains en Amérique ? Est-ce un duc breton qui en a décidé ? NON. C’est un gouvernement français qui en décidé alors que la Bretagne était définitivement annexée par la France en 1532. Anachronisme. Le monument en mémoire de l’esclavage à Nantes doit être déplacé des bords de Loire en bord de Seine, là où Colbert a écrit le code noir. Le château de Nantes a vocation à se souvenir d’une Bretagne souveraine et très évoluée pour son époque. La Bretagne est a contrario, probablement, la première entité européenne à avoir aboli le servage dans le contexte des invasions viking. L’obligation des Bretons d’aujourd’hui n’est pas de se repentir, mais de ne pas pratiquer la traite et l’esclavage ou des formes moderne de contrainte envers des personnes qui pourraient être reprochées dans quelques décennies.
Je trouve que cet article est objectif. Dans un contexte de trumpisation rampante des des esprits, trumpisation banalisant la haine, la xénophobie, le racisme au niveau mondial, l’auteur a eu une bonne initiative. Il a été clair dès le début en indiquant bien que c’est le pouvoir royal français qui est à l’origine de cette tragédie et non un pouvoir breton, même si cela peut contrarier les nostalgiques de l’ancien régime, tout comme il a bien noté les autres formes d’esclavages mis en oeuvre auparavant notamment par les arabes.Nul peuple est parfait dans ce monde et pourquoi les Bretons échapperaient t-ils à cette règle ? Il n’est pas impossible que si la Bretagne serait restée indépendante, vu sa position géographique, elle aurait également participé à cette traite des noirs tout comme les autres pays maritimes comme le Portugal.
Car une nation qui nie son passé est une nation qui se condamne à le reproduire, voilà une phrase qui contredit les préceptes de l’extrême droite comme quoi il ne faudrait pas se repentir, même si les descendants ne sont pas responsables des crimes de leurs ancêtres.
Trugarez vras evit ar pennad-mañ. En holl e voe dilec’hiet 56 000 Afrikad adalek An Oriant (45 000 gant Kompagnunezh an Indez hag 11 000 gant kompagnunezhioù all adalek ar porzh-se).