rencontre avec jean guy talamoni

Rencontre avec Jean-Guy Talamoni, le leader indépendantiste corse.

de NHU Bretagne
Publié le Dernière mise à jour le

Rencontre avec Jean-Guy Talamoni, propos recueillis par Thierry Jigourel pour NHU Bretagne

Ex président de l’Assemblée de Corse, Maître Jean-Guy Talamoni est une des figures du mouvement national corse.
Il est aussi l’un de ceux qui ont le mieux analysé les raisons des succès électoraux récents des forces nationalistes. Depuis son retrait de l’Assemblée de Corse, il ne mâche pas ses mots vis à vis de l’attitude des autonomistes, qu’il estime trop soumis aux diktats de Paris. Après l’avoir rencontré à Carhaix / Karaez, en novembre dernier à l’occasion de sa participation au colloque sur l’Autonomie de la Bretagne organisé par un collectif d’associations et de formations politiques, Ni Hon-Unan l’a interrogé sur les évolutions de la situation sur l’île de Pasquale Paoli.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

Beaucoup de gens de bonne volonté impliqués dans la défense des langues minorisées de l’Hexagone ont été atterrés par la décision du tribunal administratif de Bastia, le 9 mars dernier, d’interdire le corse à l’Assemblée Territoriale … de Corse. Rappelons que le tribunal administratif a été saisi par le préfet de Corse Pascal Lelarge, nommé directement par le gouvernement français, et donc aux ordres de ce même gouvernement. Ce qui prouve en passant que M. Macron et ses subordonnés, malgré leurs discours, n’ont pas varié d’un iota au niveau de la politique linguistique en France. On se rappelle le sort fait en 2021 à la loi Molac par Aurore Berger et une soixantaine de députés aux ordres de M. Macron et de son gouvernement.
Comment en est-on arrivé là ?

Jean-Guy Talamoni

Le préfet Lelarge est un provocateur.
D’autres préfets l’ont été avant lui. Certains préfets français ont même été tellement provocateurs qu’ils ont largement participé à la montée du vote nationaliste. C’est le cas du préfet Bonnet, l’incendiaire des paillottes, à qui nous devons beaucoup ! Mais tous sont là pour combattre les intérêts de la Corse.

Pascal Lelarge avait décidé de déférer devant le tribunal administratif le règlement intérieur de l’Assemblée de Corse qui stipulait que l’Assemblée pouvait travailler aussi bien en corse qu’en français. J’ai assuré pendant cinq ans la présidence de cette institution et chacun de mes discours introductifs était en corse. Mon discours d’investiture de 2015 était également en corse. Il a fait couler de l’encre en France, mais les réactions négatives m’ont juste fait sourire. J’ai continué à parler corse dans notre assemblée, à chaque fois que je le souhaitais.

Les élus n’étaient d’ailleurs pas choqués de cet état de fait, ni ceux de droite, ni ceux de gauche, ni même les macronistes. Maintenant, le préfet de Corse va-t-il envoyer les gendarmes pour arrêter les élus de Corse coupables de parler notre langue dans nos institutions ?
Honnêtement, je ne le crois pas.

Mais cette démarche de Pascal Lelarge prouve, une fois de plus, que la position de l’État français n’a pas changé d’un pouce depuis la Révolution française, et les discours linguicides de l’abbé Grégoire et du conventionnel Barère de Vieuzac.

langue corse
« Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française » – Abbé Grégoire 1794

Le discours est moins violent, mais l’objectif de l’État français reste le même qu’il y a deux cents ans : éradiquer toutes les langues autres que le français parlées sur ce qu’il considère comme son territoire national.
Les jacobins, les héritiers de l’abbé Grégoire et de Barère de Vieuzac estiment que le temps travaille pour eux. Et le fait que, récemment, l’Assemblée de Corse ait introduit un dispositif de traduction simultané du corse en français et donc obéi d’une certaine manière aux injonctions du préfet ne me semble pas une bonne chose. Si l’Assemblée de Corse avait eu une attitude plus combattive, nous serions sans doute sortis de ce bras de fer la tête haute. Et ce que les autorités corses de la CDC présentent comme une « riposte », à mon avis n’en est pas vraiment une.
Pour moi, les Corses n’ont pas plus à traduire en français les discours tenus dans l’Assemblée de Corse que les Français ne sont tenus de traduire en anglais les discours tenus en français dans leur Assemblée Nationale.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

On a parlé beaucoup, à propos de la réforme des retraites de l’opposition entre d’une part légitimité et légalité, d’autre part entre légalité et démocratie. Pour M. Macron et ses affidés, ces trois notions se confondent, ce qui évidemment ne peut pas être le cas, sinon, il n’y aurait qu’un seul mot pour désigner et regrouper ces trois concepts. Face à un pouvoir totalitaire qui devient autoritaire, face à un président qui utilise tous les leviers d’une Constitution lui permettant de se conduire en dictateur, mais en dictateur légal, certains brandissent l’argument de la légitimité.
Jean Moulin était en 1942 dans l’illégalité face à un gouvernement légal.
Était-il pour autant dans l’illégitimité en le combattant ?
Les Irlandais de 1919 ont gagné leur combat pour la liberté en désobéissant aux injonctions du gouvernement de Lloyd George et en créant des institutions nationalistes et républicaines parallèles à celles de l’occupant anglais. Ils étaient à la fois dans l’illégalité face aux lois de l’occupant et dans la légitimité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes cher au président états-unien Wilson.
Glenmor, un de nos grands bardes nationaux, clamait que face à l’oppression, l’homme libre n’a qu’un seul devoir : l’insoumission.
Quelles sont aujourd’hui les possibilités des Corses face à l’occupant français, face à un pouvoir colonial de plus en plus arrogant et agressif à mesure qu’il sent que l’État qu’il incarne a démissionné dans nombre de domaines ?

Rencontre avec Jean-Guy Talamoni, le leader indépendantiste corse.

Jean Guy Talamoni

Aujourd’hui, en Corse, c’est le préfet et l’administration française qui gouvernent.
Les autonomistes, qui se disent nationalistes, ont la majorité à l’Assemblée de Corse, mais depuis 2021, je ne constate aucune décision qui aille dans le sens du nationalisme et qui réponde vraiment aux intérêts de la nation corse.
A l’époque où j’étais président de l’Assemblée de Corse, j’avais proposé, puisque nous avions remporté toutes les élections et que tous les principaux syndicats étaient nationalistes, étudiants, paysans, maritimes, etc., de coordonner toutes les forces nationales pour empêcher l’administration française de gouverner la Corse.
Le pouvoir français aurait été contraint de reconnaître le fait démocratique et de donner satisfaction à une grande partie de nos revendications.
Or les autonomistes ont refusé ce bras de fer.
Ils ont laissé humilier nos institutions.
Paris les traite désormais avec mépris et arrogance.
Aujourd’hui, rien n’avance.
A la suite de l’assassinat d’Yvan Colonna, notre jeunesse s’est soulevée et, pour la première fois le gouvernement français s’est penché sur les affaires de la Corse. C’est à ce moment que Paris a dit : « on va parler d’autonomie » L’exécutif de Corse n’y est pour rien. Il n’y a eu un début de discussion qu’en raison des manifestations et des incidents graves qui les ont suivis.

Aujourd’hui, Paris continue à se moquer ouvertement de l’exécutif et de notre Assemblée.
C’est une position de mépris total. Les autonomistes se laissent mépriser. Ils laissent mépriser nos institutions. Notre élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti nous tient régulièrement informés de ce qui s’y passe. Pour l’instant il n’y a aucune avancée. Les choses ne changeront que lorsque l’Assemblée de Corse osera affronter Paris, cesser toute connivence avec les dirigeants français.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

Vous avez dit au colloque sur l’autonomie de Carhaix / Karaez, orchestré de main de maître par Christian Troadec, maire de la ville et vice-président du Conseil Régional de Bretagne administrative, que le combat culturel précède le combat politique qui, lui-même précède le combat institutionnel.
Où en est actuellement le combat culturel et linguistique des Corses ?

Rencontre avec Jean-Guy Talamoni, le leader indépendantiste corse.

Jean Guy Talamoni

La question linguistique est partie prenante de toute problématique politique.
Nous avons déjà gagné le combat culturel, totalement et depuis une quinzaine d’années déjà. Plus personne en Corse ne conteste l’importance de la langue et de la culture corses. Plus personne ne conteste qu’il faut protéger les biens des Corses de l’accaparement par des étrangers fortunés. Les objectifs du conflit ont été atteints.
Ce qui ne l’a pas été, ce sont les objectifs de la paix.
La mise en place d’un cadre juridique permettant au peuple de se développer n’a pas été réalisée. Une grande partie de la responsabilité en incombe à la majorité actuelle de l’Assemblée de Corse. On ne peut pas décemment demander à Paris de se comporter en partenaire au moment où il existe une telle arrogance et un tel déni de démocratie ! On espère qu’à un moment donné, les autonomistes reviendront dans le champ du mouvement national. Pour l’instant, ils défendent leurs intérêts et non ceux de la Corse.
Il nous faut des mesures politiques concrètes pour traduire la volonté des Corses dans les faits.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

Où en est actuellement l’enquête sur l’assassinat, en prison, d’Yvan Colonna, dont le sort intéresse beaucoup de Bretons, car s’il se battait pour la liberté de l’île, il était aussi breton, du côté maternel. Quelles sont selon vous, les responsabilités de l’Etat français dans cet assassinat ?

Jean Guy Talamoni

On ne sait pas grand-chose sur l’origine des faits, dans l’état actuel de l’enquête. La responsabilité de l’État, en la matière, est toutefois entière et absolue, car Yvan Colonna aurait dû être rapproché en Corse.
Dans ce cas précis, l’État français a violé jusqu’à ses propres lois pour se venger d’une personne qui a toujours protesté de son innocence. Yvan Colonna a été maintenu volontairement loin de chez lui et des siens au titre de la vengeance d’État. Rien que de ce fait, l’État français porte clairement la responsabilité de sa mort.
Maintenant, est-ce que l’État a armé le bras du radicalisé islamiste qui l’a tué ?
Beaucoup de Corses le pensent. Il y a peut-être aussi des responsabilités plus directes, mais pour l’heure nous n’en avons pas la preuve.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

Où en sont, un an après, les négociations avec les autorités coloniales, ouvertes à grand renfort de communication après l’assassinat d’Yvan Colonna ?
C’est un sujet qui intéresse aussi beaucoup les Bretons, étant donné qu’inspiré sans doute par les Corses, le Conseil Régional de Bretagne a émis, voici un an, un vœu à l’unanimité – moins les voix des conseillers R.N – en faveur d’un statut d’autonomie pour une Bretagne réunifiée.

Jean Guy Talamoni

Ces discussions sont hélas au point mort.
On aimerait bien qu’elles avancent, mais aujourd’hui on ne voit pas comment.
Pour obtenir un statut d’autonomie, il faudrait une loi constitutionnelle française. Et dans l’état actuel des choses, on ne voit pas comment on pourrait obtenir trois-cinquième des voix du Congrès (députés + sénateurs), en ce sens.
Bref, les choses n’avancent pas et les perspectives sont sombres à cet égard.
En ce qui nous concerne à Corsica Libera, l’objectif reste l’indépendance, avec éventuellement l’autonomie comme première étape vers la liberté.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

Pensez-vous que l’Union Européenne, qui dénonce souvent des entorses aux Droits de l’Homme commises par la France, mais jamais son comportement par rapport aux minorités nationales (pas un mot à propos du retoquage de la loi Molac ou du refus de la puissance coloniale d’organiser un référendum sur la question bretonne de la réunification, pas un mot sur les milliers de soignants antillais brutalement mis à pied pour avoir émis des doutes sur un produit présenté comme un vaccin et qu’ils refusent de se faire injecter, pas un mot non plus d’ailleurs contre l’arrestation des ministres catalans), puisse être d’un quelconque secours pour les Corses comme pour les Bretons ou les Alsaciens qui réclament la re-création de la région Alsace et à qui M. Macron vient encore de répondre avec l’arrogance du colonisateur face au colonisé ?

On se croirait en 1789 à l’Assemblée Constituante, lorsque Monsieur de Mirabeau assénait brutalement : « Vous êtes bretons ? Les Français commandent ! »

langue corse
« Êtes-vous Bretons ? Les Français commandent! » – Mirabeau

Jean Guy Talamoni

L’Union Européenne n’a pas été à la hauteur des enjeux pour la Catalogne, ni pour la Bretagne.
L’U.E a même été complice de la répression espagnole et des brutalités du gouvernement de Madrid lors du référendum de 2017. Aujourd’hui il est difficile de fonder beaucoup d’espoirs sur elle. Nous sommes toujours favorables à une Union Européenne, mais qui ne soit pas le jouet des États constitués comme la France ou l’Espagne.

En d’autres termes, même si cette U.E me semble trop technocratique, pas assez sociale, et trop inféodée aux États les plus puissants, l’Europe en tant que civilisation existe et des institutions européennes démocratiques, pour une Europe des peuples, restent un objectif incontournable, à mon sens.

NHU Bretagne – Ni Hon-Unan

Vous n’êtes plus président de l’Assemblée Territoriale de corse depuis 2021.
On sait que vous êtes un spécialiste de la langue corse.
Comment occupez-vous votre temps, comment vous impliquez-vous dans ce combat, cette longue marche de votre pays vers la Liberté et vers la lumière ?

Jean Guy Talamoni

Je n’exerce plus de responsabilités électives, mais je continue à participer à la vie publique et politique, en tant que militant de Corsica Libera.
Par ailleurs je suis enseignant-chercheur à l’Université de Corse, avocat, et je suis également président d’un fonds de dotation pour l’insertion sociale et la lutte contre le chômage de longue durée, Corsica Sulidaria.
Je suis aussi directeur de la revue numérique scientifique Lumi, consacrée au siècle des Lumières et à sa postérité.
Nous avons organisé récemment un colloque sur les colonisations, avec de nombreux collègues étrangers. Sur l’avenir de la Corse, je suis optimiste quand je vois la force de conviction et le courage de notre jeunesse.
De plus en plus, les Corses, et en particulier les jeunes Corses, se rendent compte que « l’aventure » – comme disaient certains – ce n’est pas l’indépendance, c’est de rester français !

Propos recueillis par Thierry JIGOUREL
Photo header : uribombu.corsica

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