Le goût de la Bretagne, de … Sarah Bernhardt
La première fois que,
Je vis Belle – Ile,
Je la vis comme un havre,
Un paradis, un refuge,
J’y découvris à l’extrémité,
La plus venteuse,
Un fort, un endroit,
Spécialement inaccessible,
Spécialement inhabitable,
Spécialement inconfortable,
Et qui par conséquent m’enchanta.
Août 1894. Sarah Bernhardt (1844-1923) va avoir cinquante ans.
La grande tragédienne est lasse de ses tournées internationales et de sa trépidante vie parisienne. Elle passe quelques jours de vacances à Concarneau / Konk Kerne, chez son ami le peintre Georges Clairin (1843 – 1919) qui parvient à la convaincre de visiter Belle Ile en Mer / Ar Gerveur.
Coup de foudre pour un fortin pour le moins spartiate à la Pointe des Poulains. Durant trente ans, celle que l’on surnomme souvent la Divine, y séjournera chaque été, accompagné de sa famille et de nombreux amis. Son engouement pour ces lieux austères et superbes est tel, que Sarah Bernhardt souhaitera même en faire, sans y parvenir, sa dernière demeure.
« J’aime venir chaque année dans cette île pittoresque, goûter tout le charme de sa beauté sauvage et grandiose. J’y puise sous son ciel vivifiant et reposant de nouvelles forces artistiques … »
C’est en 1890 que la Compagnie des vapeurs la Belle Iloise établit une relation régulière Auray / An Alre- Belle-Ile / Ar Gerveur. La Bretagne, depuis le début du XIXe siècle, est une destination prisée. Des artistes célèbres en font la promotion, Claude Monet, Gustave Flaubert, Maxime Du Camp, Octave Mirbeau et bien d’autres encore … Paris – Auray / An Alre: douze heures ! Le chemin de fer parvient à Quiberon / Kiberen en 1882. Auray / An Alre – Sauzon / Saozon: tois heures !
À Sauzon, on attrape une calèche, et fouette cocher, on part en excursion sur la côte sauvage. On se saoule de vent, de ciel, de soleil, de landes à bruyères et à ajoncs. La Pointe des Poulains se profile au loin. On aperçoit aussi le petit phare blanc. En contrebas de la falaise, les vagues se fracassent sur les rochers. Et en ces lieux ventés, un fortin abandonné est en vente. La sévère bâtisse a été édifiée en 1846, époque à laquelle la France à encore pour ennemie la perfide Albion.
Cinquante ans plus tard, les choses ont bien changé. L’ennemi est maintenant au-delà du Rhin.
Ce fortin, un énorme cube de pierres grises, sur deux étages, percé de quelque fenêtres surmontées de meurtrières et de machicoulis. On y accède par un pont-levis. Sarah Bernhardt tombe immédiatement sous le charme. Ses amis tentent bien de la dissuader, c’est peine perdue et ils le savent, la Divine, n’en fera une fois de plus qu’à sa tête. Le fortin est donc en vente. Pour de plus amples informations, il faut contacter le gardien du phare. Le 11 novembre 1894, Sarah Bernhardt entre donc en possession de ce petit bastion.
Elle précise alors, que désormais, elle viendra y séjourner chaque été.
Et qui m’aime me suive !
Belle-Île est une perle précieuse, une émeraude délicate, un diamant rare irisé par les reflets bleus du ciel et de la mer mêlées …
La petite citadelle est loin des standards du confort moderne de cette fin de siècle.
Trois ans plus tard, Sarah Bernhardt est parvenue à en faire une villégiature plaisante. Il faut dire que l’argent coule à flots. Elle fera également bâtir de hauts murs afin de se préserver de la foule des badauds et des trop nombreux paparazzi. Elle fera aussi construire des fauteuils en béton, afin que les promeneurs puissent se reposer sur le chemin des douaniers. Les amis et la famille se pressent alors chaque été à la Pointe des Poulains.
Ils sont bientôt si nombreux à la rejoindre, qu’elle fait bâtir face au fortin, la villa des cinq parties du monde, une longue demeure blanche sur un unique étage, pourvue d’un perron et de six fenêtres, doté de cinq chambres portant chacune le nom d’un continent, une plaisante résidence dans le style Belle – Époque.
La renommée de cet endroit ne cesse de grandir, et, quelques années plus tard, Sarah fait bâtir la Villa Lysiane, puis la Maison Simone à l’entrée de Sauzon. En 1907, elle acquiert la ferme de Penhoët, puis son immense manoir qui sera détruit en 1944. On a peine aujourd’hui à mesurer la célébrité de Sarah Bernhardt, mais on peut affirmer sans se tromper, qu’elle préfigure en quelque sorte, les stars hollywoodiennes qui naitront une génération plus tard.
Mais que fait-on à la Pointe des Poulains ?
On se refait à Belle-Ile / Ar Gerveur une santé physique et psychique.
Sarah dit à ses amis ici je me repose en me fatiguant. Au programme, marches, baignades, partie de tennis, pêches aux crevettes, longues siestes, et bien sûr interminables soirées festives en compagnie de la meilleure société, des artistes bien sûr, Reynaldo Hahn et Marcel Proust par exemple. Georges V lui rendra également visite !
Lorsque Sarah est seule – ce qui arrive très rarement – elle se rend à Sauzon / Saozon pour assister à l’office du dimanche matin. Sarah est en effet très croyante, presque mystique ; sa vocation première, religieuse au couvent !
Belle-Ile-en-Mer n’est pas le seul lien de Sarah Bernhardt à la Bretagne.
La voix d’or – autre surnom – se souvient bien sûr, que sa mère, demi-mondaine ayant choisi la vie parisienne l’a confié à une nourrice de Quimperlé / Kemperle où elle ne parle que le breton. De 1853 à 1858, elle étudie au Couvent des Grands – Champs à Versailles puis en est expulsée pour mauvaise conduite. Le Duc de Morny (1811 – 1865) demi – frère de Napoléon III et amant de la tante et la mère de Sarah suggère une carrière de comédienne à cette adolescente turbulente. Sarah coachée par Alexandre Dumas intègre en 1860 le prestigieux Conservatoire de Paris.
Le monstre sacré, expression créée pour la grande tragédienne par Jean Cocteau, n’est pas insensible à la dure existence des iliens.
Hiver 1911.
Une succession de violentes tempêtes empêchent pendant plusieurs semaines les pêcheurs de prendre la mer et plongent des familles dans le plus grand désarroi économique. Sarah organise à Paris une matinée de gala, dont les bénéfices seront entièrement reversés aux insulaires nécessiteux. Ces subsides permettront en outre de construire une boulangerie coopérative. Les iliens, qui s’étaient montrés pour le moins méfiants à l’encontre de cette femme excentrique et de son insolite ménagerie, c’est ainsi qu’elle désignait sa famille et ses amis, voueront désormais à Madame Sarah, la Dame en blanc une indéfectible dévotion.
Sarah Bernhardt, la mort dans l’âme, vendra en 1922 le fortin et la villa, et décèdera l’année suivante.
Elle, qui avait tant souhaité faire de la Pointe des Poulains sa dernière demeure, sera inhumée à Paris, au Père-Lachaise. Les propriétaires suivants laisseront quelque peu à l’abandon cette demeure singulière qui sera rachetée en 2000 par le Conservatoire du Littoral.
Le site deviendra en 2006 un espace muséographique consacrée à la grande tragédienne.
Sarah Bernhardt en Bretagne – Bibliographie
- Sarah Bernhardt, scandaleuse et indomptable, Hélène Tierchant, éditions Tallandier, 12 janvier 2023, 384 pages
- Sarah Bernhardt et Belle – Ile – en – Mer, 1894 – 1923, Nicolas Tafoiry, éditions Ouest – France, collection patrimoine, 17 janvier 2006, 32 pages
Iconographie
Photographie aérienne : @ Yvan Zedda
Tableau de Georges Clairin : Sarah Bernhardt dans son jardin à Belle – Ile – en – Mer 1919. Musée des Beaux – Arts de Tours
Photographies : @ anonyme
Portrait : Sarah Bernhardt (1844-1923) par Napoleon Sarony, Britannica Online Encyclopedia (Library of Congress, Washington, D.C.)