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Gilets jaunes et démocratie française : l’impasse du présidentialisme.

de Tudi KERNALEGENN
Publié le Dernière mise à jour le

Ce serait une erreur de s’arrêter au ras-le-bol fiscal de la révolte des gilets jaunes : ça n’a été que l’étincelle.
Et pas la cause de cette mobilisation déterminée par l’injustice sociale et l’impasse démocratique. Si l’on veut une société française plus pacifiée, il est temps de démocratiser la République. Pour un pouvoir plus représentatif, plus proche, plus participatif.

Au-delà des gilets jaunes, l’actualité française est marquée par ses nombreux mouvements sociaux. Quelles que soient les causes et les revendications, des responsables politiques vont déplorer que les « Français n’aiment pas les réformes », qu’ils seraient des « Gaulois réfractaires ».
Mais est-ce que c’est la culture ou bien le système institutionnel français qui provoquent ces conflits sociaux à répétition ?

L’impasse du présidentialisme.

La France se caractérise par une très forte concentration des pouvoirs entre les mains du Président. De son élection, une fois tous les cinq ans, découle tout le reste. Or cette élection, pour une personne (ou contre d’autres personnes), ne se prête que secondairement au débat de fond. Et encore moins à la nuance et à la complexité.

Depuis l’inversion du calendrier, l’élection législative est une élection secondaire qui ne vient que confirmer le résultat de l’élection présidentielle. Contrairement aux autres démocraties, la France ne dispose donc pas d’un grand moment de débat collectif sur la ligne politique souhaitée par la majorité. Et encore moins d’un cadre pérenne pour un tel débat.

Si E. Macron dispose incontestablement de la légitimité constitutionnelle, sa légitimité démocratique n’est pas si évidente aux yeux d’un nombre croissant de Français qui ne se reconnaissent pas dans sa politique (77 % selon un sondage récent !). Les Français ne se sentent pas représentés au plus haut sommet de l’État. Or, avec un Parlement peu représentatif, des collectivités territoriales faibles, et des corps intermédiaires marginalisés, les mécontents estiment n’avoir qu’une façon d’influencer la politique : la rue.

Démocratiser la démocratie.

Plutôt que de condamner les manifestants et les appeler à respecter les institutions, il est temps d’admettre que ce sont peut-être ces institutions le problème. Que la France est une démocratie imparfaite mais perfectible. En observant nos voisins, trois pistes d’amélioration démocratique principales peuvent être dégagées : déconcentrer le pouvoir, réduire la distance entre le pouvoir et le peuple, donner des outils démocratiques et pacifiques à la contestation.

La pratique d’Emmanuel Macron, autoritaire et verticale, amène jusqu’à l’outrance une institution présidentielle déjà exceptionnelle. Il est urgent de réhabiliter le principe de séparation des pouvoirs et concrétiser enfin la décentralisation. Pour renforcer l’Assemblée nationale, il faudrait l’autonomiser. D’abord en déconnectant notamment élection présidentielle et législatives. Puis en développant sa maîtrise de son agenda, ou encore en supprimant le 49-3.

Il conviendrait également d’augmenter les compétences et l’autonomie normative et budgétaire des régions. Pour qu’elles deviennent des actrices majeures de la vie démocratique.

Emmanuel Macron souhaitait être un président « jupitérien ».

Cette formule relève de l’hybris et témoigne d’une déconnexion entre la présidence et le peuple, qu’il semble sain de vouloir corriger. Cela peut se faire tout d’abord en renforçant la représentativité du pouvoir. Comme la quasi-totalité des pays d’Europe occidentale, il s’agirait de faire élire l’Assemblée nationale à la proportionnelle.

On pourrait aussi imaginer de remplacer le CESE par une assemblée tirée au sort, vrai miroir la population française. Cela peut se faire ensuite par la subsidiarité : prendre les décisions au niveau de l’institution compétente la plus proche de ceux qui sont concernés, et donc renforcer les collectivités territoriales.

Enfin, le pouvoir et ses alliés ont beau jeu de clamer qu’en démocratie le pouvoir n’appartient pas à la rue.
Encore faudrait-il proposer des alternatives. La démocratie ne doit pas s’arrêter au moment de l’élection. Sur le modèle Suisse, la démocratie française s’enrichirait de reconnaître le référendum d’initiative populaire. L’idée serait qu’à partir d’une pétition d’environ 2 % du corps électoral, les citoyens puissent obtenir un référendum pour proposer ou abroger une loi, voire même révoquer un élu ou réformer la Constitution, dans la limite des principes fondamentaux.

Un mouvement social n’est pas une fin en soi. Les Français ne sont pas moins démocrates que les autres : c’est leur système politique qui l’est. Ce serait une erreur de s’arrêter au ras-le-bol fiscal de la révolte des gilets jaunes : ça n’a été que l’étincelle et pas la cause de cette mobilisation déterminée par l’injustice sociale et l’impasse démocratique. Si l’on veut une société française plus pacifiée, il est temps de démocratiser la République, pour un pouvoir plus représentatif, plus proche, plus participatif et plus diversifié.

Article paru le 14 Décembre 2018 dans blogs.mediapart.fr/tudi-kernalegenn/blog

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1 commentaire

Papy29 4 février 2019 - 23h28

Vos suggestions sont indéniablement pertinentes.
Mais, à mon humble avis, il y a deux préalables incontournables pour prétendre à une saine et authentique démocratie :
– L’éradication des interventions lobbyistes.
– Créer une véritable gestion des votes blancs et des abstentions, avec un quorum.
Un Président comme E. Macron ne dispose pas « incontestablement » de la légitimité constitutionnelle.
Et, plus généralement, aucune élection ne peut être légitime.
Si ces deux préalables sont jugés « utopistes » et, donc, écartés, nous ne parlons plus de démocratie, il s’agit d’un « truc à la française », alors il est inutile d’épiloguer.

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