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Après les Lumières françaises, le soleil breton ?

de Jean Pierre LE MAT
Publié le Dernière mise à jour le

Les crises s’enchaînent : Gilets jaunes, grèves, coronavirus.

Et, à chaque fois, les visionnaires se déchaînent. « Rien ne sera plus comme avant ». Chacun a sa petite ou sa grande idée sur l’avenir.
Les incertitudes économiques et politiques font de la colère (la juste colère, bien sûr) une coquetterie à la mode. Les indignés touche-à-tout ont usurpé la place des réformateurs et les révolutionnaires qui avaient façonné l’Europe depuis 500 ans. Ils sont faciles à reconnaître. L’indigné touche-à-tout répète « on ne lâche rien ! » jusqu’à sa prochaine indignation.

Chacun se replie sur ses lubies. Pour expliquer la dissémination du coronavirus, l’écologiste dénonce la déforestation, le bobo l’élevage industriel, l’anticapitaliste le capitalisme. Les Chinois dénoncent les Américains et vice-versa. Les militants bretons dénoncent la centralisation. Normal, trop normal…
Les visionnaires, les indignés et les trop-normaux ne nous aideront pas. Pour savoir (un peu) où on va, regardons d’où l’on vient.

Après la guerre 39-45, les vainqueurs se sont attribués une légende dorée sur le dos des vaincus.

C’était la victoire de la civilisation sur la barbarie. Communisme et libéralisme, idéologies lumineuses, d’un côté ; national-socialisme et fascisme, idéologies obscures, de l’autre. Victoire des partisans des Lumières, triomphe de la modernité.
Les Lumières, c’est l’essor du social associé à la liberté. Le peuple fait entendre sa voix. Jean-Jacques Rousseau rêve d’un contrat social. Montesquieu met la démocratie à l’ordre du jour. Les révolutionnaires français font du Tiers-état la nation, et de la nation le souverain légitime. Les mêmes font de la liberté le premier des droits de l’homme.

L’évolution ne s’est pas faite vers le haut. Au XVIIIe siècle, les penseurs des Lumières avaient combattu les dogmes. Ils avaient suscité des idéaux de justice sociale et de liberté. Les idéaux, trop émotionnels, se sont rationalisés au XIXe siècle sous la forme d’idéologies. Depuis la fin du XXe siècle, les idéologies se cristallisent en dogmes. De dégradations en dégradations, la modernité se termine et les Lumières s’éteignent.

Nous entrons dans une période de confusion et de nouveautés, comme le fut la Renaissance il y a 500 ans.

Souvenez-vous ! Au XVe siècle, une révolution technologique se fait autour d’un nouveau média, l’imprimerie. On découvre de nouveaux continents. La démarche scientifique affiche une forme de supériorité sur les croyances. Une bourgeoisie d’affaires émerge. Toutefois, c’est aussi alors que commence la grande chasse aux sorcières ; elle durera 200 ans. Les chasseurs de sorcières sèment la terreur et agitent le spectre d’un complot satanique. Ils défendent l’institution majeure du Moyen-Âge finissant, l’Église.

Aujourd’hui ?
On vit une révolution technologique, avec de nouveaux médias numériques. Les dogmes de la science classique sont bousculés par de nouvelles découvertes. L’intelligence artificielle affiche une forme de supériorité sur l’intelligence humaine. On ne parle plus que de « start-ups ». Toutefois, c’est aussi l’époque des défenseurs du service public contre le complot diabolique du capitalisme. Ils défendent l’institution majeure de la modernité finissante, l’État.

Similitudes…

Les idéologies avaient structuré la vie politique jusqu’à maintenant. Le déclin des idéologies et la déstructuration de la vie politique a commencé avant les Gilets jaunes et avant le coronavirus.

Les confusions se multiplient sur notre échiquier politique.
La droite a toujours eu du mal à se définir, entre ses éléments dirigistes, ses éléments opportunistes et ses éléments libéraux. Pour définir la droite, c’est en général ses adversaires qui s’en chargent. Ils sont plus vifs pour dégainer un jugement.

Les grèves récentes contre un régime universel de retraite marquent le basculement de la gauche.

Elle défendait autrefois l’universalité des droits; une bonne partie défend désormais les services publics, ce qui n’est pas la même chose. Les clivages de classes s’effacent devant les intérêts statutaires. L’évolution est consacrée par le langage que nous imposent les grands médias. Le patron d’hôpital et la femme de salle sont tous les deux des « soignants ». A la SNCF, celui qui gagne le SMIC et celui qui gagne dix fois plus sont tous les deux des « cheminots ».
Tchao les exploités !

L’écologie politique luttait jusqu’à présent contre les pollutions. Elle lutte désormais contre le réchauffement climatique. Le problème, c’est que ce n’est pas la même chose. Le mouvement est parti des États-Unis avec la réhabilitation du nucléaire par des anti-CO2. D’autres clivages entre anti-pollution et anti-CO2 vont apparaître, dans l’industrie et dans l’agriculture.

Les militants bretons du XXe siècle luttaient pour un pouvoir politique (régional, autonome ou indépendant) et pour une reconnaissance internationale.

Ah, s’asseoir dans le fauteuil d’un décideur politique ou d’un représentant de la Bretagne à l’ONU… Le rêve !
Arrêtons de rêver. La perspective d’une Bretagne officielle n’est plus le but ultime, comme au temps de la splendeur des États-nations. Il nous faut aller plus loin que la reconnaissance des autres. Nous allons donc devoir rester debout.

La révolution numérique, qui marque le début d’une nouvelle époque, relativise les institutions et les pouvoirs politiques. Elle se moque des frontières. Elle ne parle pas en termes d’autonomie ou d’indépendance, mais d’identités et de communautés. Communautés de développeurs pour créer des logiciels libres, communautés de touristes pour trouver les meilleures destinations, communautés d’intérêts matériels ou immatériels. La petite bigoudène « A l’aise Breizh », identitaire et communautaire, détrône le BZH institutionnel. Les réseaux sociaux inventent des nouvelles manières d’être breton, sans demander d’autorisations officielles.

Comment préparer l’avenir, plutôt que de le prédire ou de le dénoncer ?

L’économie réelle va mal, mais les marchés financiers tiennent bon. Cela pourrait consacrer l’entrée du capital financier dans toutes les activités, économiques, mais aussi culturelles ou pédagogiques. La Bretagne n’étant pas le Qatar, ce n’est pas bon pour nous, sauf à faire des alliances originales.

Les crises à répétition rendent l’État français plus pauvre, et aussi plus dépendant de ses créanciers. Des vacances du pouvoir sont possibles. Et des opportunités pour le conquérir, le renverser, ou s’en passer, vont apparaître. Des séparatistes, des militaires, des communautaristes, mais aussi des souverainistes de droite ou de gauche peuvent être tentés par diverses aventures. Encore faut-il un groupe organisé, des moyens, et une détermination, ce qui n’est pas donné à tout le monde par les temps qui courent.

Les aventures politiques marquent le crépuscule de la période moderne.

Elles ont commencé avant l’arrivée du virus, en Italie, en Grande Bretagne, au Brésil, aux Etats-Unis, aux Philippines. La France est restée inexplicablement raisonnable jusqu’à présent.
Bref, au-delà des Gilets jaunes et du coronavirus, des bifurcations profondes sont en cours depuis plusieurs années. Les Lumières s’éteignent. Les aspirations communautaires prennent le pas sur les aspirations sociales. La révolution numérique est une révolution à la fois technologique, économique et politique, comme le fut la Renaissance il y a 500 ans. Les nostalgiques de l’ancien monde ne chassent plus les sorcières, mais réapparaissent sous une autre forme.
Les temps changent.

Depuis 1532, la Bretagne a raté les Lumières et toute la période moderne.
Préparons 2032.

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2 commentaires

Penn kalet 10 mai 2020 - 9h26

Avant 1532 il y a au moins un responsable Breton qui était déjà un précurseur de lumières ,malgré son coté aussi cruel ,c’est Pierre Landais , il aurait fait mieux d’être là en 1789 ,le destin de la Bretagne aurait pu être différent .Par ailleurs et un peu en dehors du sujet ,le fait de trop s’en tenir à l’interceltisme a induit la mouvance bretonne depuis qu’elle existe en erreur ,car elle a coupée la Bretagne d’un partenaire historique et qui a vocation , malgré le brexit à le redevenir au vu de la complémentarité des économies ,le fait que de part les impératifs environnementaux ,et le cout des transports ,les échanges se feront davantage à proximité ,je parle évidemment de l’Angleterre qui d’ailleurs présente davantage de racines celtes qu’on ne l’imagine . La Bretagne a tout intérêt à s’y déployer et créer un puissant lobby à Londres ,vu que c’est du concret je pense que le mouvement Breton partie diligente n’aurait pas trop de mal pour y mobiliser les acteurs économiques et bien entendu si retombées il y a la population va suivre , regardera un peu moins vers Paris et sera un peu moins obnubilé par la classe politique francilienne . Et d’imaginer un futur cadre fédéral à l’avenir qui concernerait la Bretagne, l’ensemble des iles britanniques et les autres régions maritimes au moins de la mer du nord à la péninsule ibérique .

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Patrick Yves GIRARD 16 mai 2020 - 22h01

Très bonne analyse, mieux vaut être dans l’action que dans la critique. Toutefois cette dernière peut avoir un effet positif.

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