Abeilles, miel et hydromel en Bretagne et autres pays celtiques
Petra a lavar ar gwenan? Evit dastum, kemer poan.
(Traduction en langue française : « Que disent les abeilles ? Pour amasser, prendre de la peine« )
La trace la plus ancienne du long compagnonnage entre l’abeille et les hommes est une peinture rupestre remontant à plus de 5000 ans, découverte il y a tout juste un siècle près de Valence, en Espagne.
En équilibre précaire au sommet d’un cordage, une frêle silhouette encerclée d’un nuage d’abeilles tient un panier. Son autre main est plongée à l’intérieur d’une petite cavité, au beau milieu de la colonie. Les cueilleurs de miel du début du néolithique avaient le cœur bien accroché…
Les capacités cognitives des abeilles sont inversement proportionnelle à la taille minuscule de leur cerveau (neuf cent soixante mille neurones qui tiennent dans moins d’un millimètre cube, contre cent milliards pour l’être humain, mais est-il plus sensé pour autant ?).
Insecte social réputé pour son sens de l’organisation collective, l’abeille Apis mellifera est aussi douée d’une intelligence individuelle et de capacités cognitives qui fascinent les chercheurs et dont nous aurions beaucoup à apprendre, tant nous semblons avoir perdu savoirs et connaissances de nos anciens.
Sommaire
Pour votre santé et celle de notre économie locale, achetez du miel breton en vente directe produit localement chez un apiculteur indépendant.
Enfin, dans un monde de mensonges ou tant de choses sont frelatées, le miel n’échappe pas à la religion de l’argent et du profit facile, le faux miel trahissant à la fois les abeilles et les consommateurs.
Nous consommons quatre fois plus de miel que nous n’en produisons.
Et ce nectar est souvent l’objet de fraudes qui le dénaturent, notamment par ajout de sucre. En Hexagone, 19 802 tonnes de miel avaient été produites en 2021, soit une baisse de près de 38 % par rapport à 2020 (en 20 ans la production de miel a été divisée par trois en France) ; pour une consommation de 45.000 tonnes.
Pour la première année depuis 2016, les nombres de ruches (78 904) et d´apiculteurs (4 614) diminuaient en Bretagne en 2021, respectivement de 2 et 5%. En 2022, pour la deuxième année consécutive, le nombre d´apiculteurs a diminué en Bretagne et atteint désormais le nombre de 3 826, soit une diminution de 16%…
N’oublions pas non plus notre race bretonne d’abeilles noires vivant sur les îles.
Il y a des abeilles noires dans le monde entier, mais l’abeille noire d’Ouessant est probablement l’une des plus préservée, car la plus à l’abri de la folie des hommes, sur son île au milieu de l’océan. Mais, malgré une présence depuis plus d’un million d’années en Bretagne, comprenant deux périodes de glaciation, l’abeille noire est actuellement en voie de disparition, dans un contexte global où toutes les populations d’abeilles européennes et mondiales sont aujourd’hui en danger.
Certes il y a le varoa et le frelon asiatique, mais aussi et surtout les Néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride et thiaméthoxame) ; ces pesticides, accompagnés d’autres facteurs, avaient entraîné l’hiver 2017 la mort de 20000 ruches en Bretagne, sur les 60000 ruches que comptaient notre pays.
Il est de notre responsabilité individuelle de cesser l’utilisation de pesticides dans son jardin, il est urgent d’installer des hôtels à insectes et de semer des fleurs mellifères…
Il est de notre responsabilité individuelle de consommer du miel breton, produit localement par des apiculteurs qui enrichissent leur territoire et nous veulent du bien.
L’origine divine des abeilles, la nature divine de la douce vérité
Les Gallois, Tud Cymru, attribuent aux abeilles une origine divine qu’ils appellent « abeilles du Paradis » (Bonhed geenyn o paradwys pan yw). La mythologie galloise nous rapporte l’histoire de la truie Henwen (Vieille Blanche ou Ancêtre Pure) qui mit bas des êtres merveilleux dans son rôle divin de pourvoyeuses de biens, de richesses et de dons : un grain de blé, un grain d’orge, une abeille, un louveteau, un aigle, un chaton.
Miel et abeilles ont une origine merveilleuse, les abeilles sont nécessaires au miel qui sera transformé en hydromel, boisson sacrée dont la consommation est rituelle.
Ainsi, dans les Mabinogion, « pour le festin des noces d’Olwen, Yspaddaden Penkawr exige de Kulhwch, un miel neuf fois plus doux que le miel du premier essaim, sans frelon ni guêpe dedans pour fabriquer le bragawd (sorte d’hydromel) qui sera servi aux invités ». Par ailleurs, Caer Vedwit, Forteresse du Festin du Miel est l’un des noms de l’Autre Monde brittonique. Mais encore, le miel illustre la bonne parole porteuse de savoir.
Bouche de Miel est le nom d’Ailil fils de Corbadh « parce que les mots de science qui viennent de lui sont aussi doux que le miel ». Le Llevelys gallois est un roi mythologique représentant l’aspect pacifique de la première fonction -guerrière- homme sage, prudent et modéré, il régna et « gouverna le pays avec sagesse, prudence et bonheur », venant à bout des fléaux trifonctionnels qui ravageaient son royaume. Le nom de Llevelys est composé de Lleu et de mélis, miel ; et est l’équivalent d’un Lugus en fonction de conseiller. Selon Philippe Jouët, ces noms s’expliquent par la tradition indo-européenne de la « Parole de Miel » à laquelle s’oppose la mauvaise parole qui détruit.
Comment ne pas soupirer devant le fait qu’aujourd’hui une parole dite mielleuse est synonyme de perfidie, elle est doucereuse et non pas douce de la douceur du miel.
Un poème anonyme du Livre de Leinster donne une description physique du frinne flatha, le mind óir, la couronne dorée qui est l’attribut constant d’Ailill, le mari de Medb du Connacht : « La Vérité dans un prince est aussi lumineuse que l’écume rejetée par une puissante vague de la mer, comme le lustre du plumage d’un cygne au soleil, comme la couleur de la neige sur une montagne». Le mind óir a un lien avec le terme irlandais mind, serment, et est semblable à la préposition galloise myn, par, utilisée dans les serments. Cela symboliserait, d’après le linguiste et celtisant Heinrich Wagner, le fait qu’Ailill est roi “par” Medb. En effet, « pour pouvoir épouser Medb et devenir roi, il devait respecter un triple serment en prouvant qu’il était, et en continuant à être “sans jalousie, sans crainte et sans avarice”. On peut donc tenir le mind óir comme la manifestation physique de la “Gloire Lumineuse”. En effet, la couronne d’or est l’une des manifestations physiques du feu se déposant sur la tête du souverain ; mais, une autre manifestation physique analogue de cette puissance divine est un essaim d’abeilles se déposant sur la crinière d’un cheval à la manière d’une couronne. Or les abeilles sont la source du miel, la matière première de l’hydromel. »
Les abeilles, filles du soleil et de l’esprit
« Le Jugement sur les Abeilles » est un traité irlandais daté du milieu du VIIème siècle qui entre dans la composition du Senchas Màr (recueil de droit irlandais de grande antiquité) et révèle l’importance de l’apiculture, sacrée du fait de la nature sacrée et divine des abeilles, du miel et de l’hydromel.
En effet, pour les druides, l’abeille vient du monde du Soleil et de l’Esprit.
En lien étroit avec la position du Soleil dans le ciel, elle apporte au monde le don sacré du miel, mère de l’hydromel. L’hydromel est l’une des plus anciennes boissons alcoolisées du monde. Sa fabrication à partir de miel, d’eau, de malt et de levure, remonte au moins à six mille ans. On le consommait – et le consomme encore – lors des huit cérémonies druidiques annuelles, en le faisant passer autour du cercle des participants jusqu’à ce que la dernière goutte soit bue. Signe de cette importance majeure de l’hydromel, la grande salle de réunion du palais royal de Tara était nommée Tech Midchuarta, la Maison du Cercle d’Hydromel.
Le soleil, dans la tradition druidique, représente entre autres, la manifestation de la déesse.
Les mots en gaélique (irlandais, écossais et manxois) ou breton désignant le Soleil sont du genre féminin. Brighid est la déesse du Soleil et du feu, autant que des sources et de l’eau. L’hydromel, cette eau de feu, cette eau ignée, est une boisson tout à fait appropriée pour la célébrer. Le processus qui permet de créer l’hydromel est la fermentation alcoolique rappelle le mythème bien connu des indo-européanistes : celui du Feu dans l’Eau, Eau qui devient Dour-Tan, Eau de Feu. Il s’agit de cette puissance ignée présente à l’intérieur des eaux vives.
Cette puissance redoutable réside dans une source qui est à l’origine de tous les fleuves et se trouve sous la surveillance d’un personnage divin, le Descendant des Eaux, Nechtan gardien la Source de Connla. Seuls quelques élus peuvent s’approcher de la source pour accéder à ses bienfaits. Ceux qui s’y risquent sans en être dignes provoquent une éruption de l’eau qui les emporte ou fait éclater leurs yeux !
L’hydromel, boisson sacrée des dieux et des humains.
L’énergie de cette Eau de Feu est le sperme cosmique qui fécondera le miel et, de cette fécondation divine, naîtra l’hydromel, nectar des dieux et des humains.
Dans la mythologie celtique, le forgeron occupe une place importante en tant que maître de la transmutation et de la régénération. En effet, selon Guillaume Oudaer, « la fermentation alcoolique est une transmutation ignée qui permet le passage d’ingrédient crus à un résultat cuit par l’association d’un feu avec une eau, tout comme le travail de la forge transforme le métal en le “cuisant” pour permettre la création d’objets, la phase finale de cette “cuisson” étant le passage dans l’eau. Or l’eau d’une forge est réputée avoir des propriétés curatives similaires à celles des sources sacrées, représentations microcosmiques de la Source universelle. A noter que la bière est parfois également utilisée pour tremper le fer lorsqu’il est retiré de la forge, ce qui identifie la boisson sacrée à l’eau de la forge, elle-même assimilée à celle de la source cosmique. Enfin, tout comme la boisson sacrée est intimement associée à l’art poétique, l’art de la forge l’est pareillement. En outre, le folklore irlandais fait du forgeron un bon buveur qui ne recevait qu’un verre d’hydromel et rien d’autre lorsqu’il était invité aux festivités familiales de la communauté. Il est également considéré comme un guérisseur, un herboriste et un vétérinaire, sans doute en vertu du caractère médicinal de l’eau de sa forge. »
Dans l’Antiquité, les levures naturelles de l’air étaient essentielles à une fermentation réussie, qu’il s’agisse de bière ou d’hydromel. Les anciens traités brassicoles désignent cette opération comme une véritable fécondation céleste : on y souligne la fonction primordiale du ciel et de l’air et la nécessité de rechercher l’air le plus pur, l’eau la plus pure. Ainsi, l’eau de la fontaine d’abondance qui se trouve à Caer Sidi – l’Autre Monde des Brittons – est décrite comme étant plus suave que le vin blanc…
Le Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, nous apprend que : « Les Celtes se réconfortaient avec du vin miellé et de l’hydromel. L’abeille, dont le miel servait à faire de l’hydromel ou liqueur d’immortalité, était l’objet, en Irlande, d’une étroite surveillance légale. Un texte juridique moyen-gallois dit que la noblesse des abeilles vient du paradis et c’est à cause du péché de l’homme qu’elles vinrent de là. Dieu répandit sa grâce sur elles et c’est à cause de cela qu’on ne peut chanter la messe sans la cire. Même si ce texte est tardif et d’inspiration chrétienne, il confirme une tradition très ancienne dont le vocabulaire offre encore des traces (le gallois cwyraidd de cwyr « cire » signifie parfait, accompli et l’irlandais moderne céir-bheach, littéralement « cire d’abeille », désigne aussi la perfection.) Le symbolisme de l’abeille évoque donc chez les Celtes les notions de sagesse et d’immortalité de l’âme. »
Un vieil adage en langue anglaise conseille ceci : « Demande à l’abeille les secrets des druides. »
Et si ces secrets résidaient dans le sens de la communauté qui en devient un corps collectif, dans le sens de l’organisation, dans le sens du partage consenti des tâches sans hiérarchie, dans le sens du travail, dans le sens du don car elles pollinisent (symboliquement le don de la pollinisation des esprits) et produisent du miel qui leur sera pris (symboliquement pour nous, ne pas nous attacher aux fruits de nos efforts), dans le fait qu’une reine est préférable aux abeilles qu’un roi en leur royaume (ce qui a beaucoup surpris notre Occident patriarcal et machiste lorsque cette réalité fut découverte au XVIIIème siècle.
Il en fallu du temps pour admettre que la ruche n’avait pas à son poste de commandement un roi mais une reine.),…
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Ur wezenn e penn ma zi, mil brank enni, un neizh war bep brank, un evn e pep neizh, pa ganont e kanont tout en ur vouezh.
(« Un arbre au bout de ma maison, qui a mille branches, un nid sur chaque branche, un oiseau dans chaque nid, quand ils chantent, ils chantent tous à l’unisson« )
Dimitri Boekhoorn est harpiste.
Néerlandais, docteur ès Études Celtiques, ancien enseignant universitaire de Civilisation Celtique et de langue bretonne, il est aussi titulaire d’une thèse internationale sur le bestiaire celtique au Moyen-Âge et auteur d’articles dans le domaine des études celtiques et de la musicologie; et il nous dit :
« La caisse de résonance de la cláirseach, la harpe médiévale des Gaéls est symboliquement une ruche. Non seulement la caisse de résonance et la ruche partagent la même morphologie, la caisse est également associée à l’abeille car le son qu’elle produit n’est pas très dissemblable du bourdonnement du petit insecte. Au pays de Galles, les « harpeurs » jouaient sur des harpes avec des harpions, qui faisaient résonner les cordes. Le son « bourdonnant » obtenu fut comparé, dans un poème du barde Taliesin à une abeille bourdonnant dans la chaleur de l’été. Chez les auteurs classiques aussi, l’idée de l’abeille musicale existait, par exemple chez Elien »
Cette tradition est attestée et parfois encore bien vivante en Irlande, au Pays de Galles, en Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et en Suisse.
L’annonce aux abeilles est le fait d’annoncer un événement important d’un ménage (mariage, naissance, décès) aux abeilles dont un gardien prend soin. Aussi, la coutume demandait de prévenir les abeilles même lorsque des voyages de longues durées étaient prévus !
Les croyances populaires révélaient qu’en cas d’oubli de l’annonce aux abeilles, empêchant ainsi les abeilles de traverser leur deuil, de terribles événements surviendraient : départ ou mort des abeilles, absence de production de miel, …
Bien que la pratique d’annoncer aux abeilles soit le plus souvent associée aux funérailles, il existe également certaines régions dans lesquelles les abeilles doivent être informées des événements heureux de la famille, en particulier des mariages. Ainsi, en Westphalie, en Allemagne, une coutume voulait que les couples nouvellement mariés se rendant dans leur nouvelle maison doivent d’abord se présenter aux abeilles, sinon leur vie conjugale risque d’être malheureuse.
Un article des années 1950 paru dans le Dundee Courier d’Écosse décrit la pratique consistant à inviter les abeilles au mariage. Si un mariage avait lieu dans le ménage, la ruche pouvait être décorée et une part de gâteau du mariage laissée près de la ruche.
Une autre tradition en Bretagne stipulait qu’à moins que les ruches d’abeilles ne soient décorées d’un tissu écarlate lors d’un mariage et que les abeilles soient autorisées à participer aux réjouissances, elles s’en iraient.
Concernant la mort, dans le Trégor / Bro Dreger (évêché de Tréguier), les abeilles portent le deuil pendant six mois, en s’arrêtant de bourdonner. On est persuadé qu’il y a une relation entre la santé du maître et la prospérité des ruches et des abeilles. Les abeilles doivent être informées des évènements heureux ou malheureux qui concernant les familles de leurs maîtres : en cas de naissance ou autres réjouissances, en cas de récoltes abondantes il était d’usage d’entourer la ruche d’un tissu ou d’un ruban rouge.
Abeilles et héraldisme en Bretagne.
Les abeilles et papillons sont plutôt rares en héraldique.
L’abeille est l’insecte le plus répandu en héraldique, quelle que soit la zone géographique.
En Angleterre, elle représente l’activité industrieuse. C’est pour cela qu’elle est devenue l’emblème des grands noms liés à l’industrie (familles Peel, Arkwright of Willersley, entre autres). Le terme héraldique abeille existait déjà en 1688 chez Menestrier, et il reste le même depuis. Ce terme sert de générique à un certain nombre d’insectes (mouches, guêpes, bourdons, frelons ou taons), distingués dans leur intitulé uniquement si le terme choisi est en relation avec des armes parlantes.
Les abeilles serviront à remplacer les fleurs de lis dans l’emblématique napoléonienne. Elles seront attribuées aux princes grand dignitaires, aux villes les plus importantes et, comme une faveur, à quelques heureux élus…
En Bretagne, nous retrouvons l’abeille dans deux blasons, l’un datant de 1696 pour une famille noble de Carhaix / Karaez; et l’autre, créé en 1990 pour la commune de La Meilleraye-de-Bretagne, en breton Melereg-Breizh.
Le blason de La Meilleraye-de-Bretagne / Melereg Breizh, en Loire-Atlantique (Bretagne) Créé par Jean-Pierre Marzelière et adopté par délibération du conseil municipal le 17 août 1990. De gueules aux trois abeilles d’or, au chef d’hermine. Devise : Concordia mellis dulcedo, Harmonie avec la douceur du miel.
Le blason de la famille de Labbaye, seigneur de Maisonneuve, de la Rive, de Penanguer, du ressort de Carhaix / Karaez. En arc’hant e deir gwenanenn en sabel – D’argent à trois abeilles de sable. Armorial de Bretagne, 1696.
Ailleurs dans le monde.
Le symbolisme royal ou impérial est solaire, l’ancienne Égypte l’atteste également, d’une part en l’associant à la foudre, d’autre part, en disant que l’abeille serait née des larmes, de Ré, le dieu solaire, tombées sur la Terre.
Dans le langage métaphorique des derviches Bektachi, l’abeille représente le derviche, et le miel est la divine réalité, le Hak qu’il recherche. De même dans certains textes de l’Inde, l’abeille représente l’esprit s’enivrant du pollen de la connaissance.
Symbole de l’âme, elle est parfois identifiée à Déméter dans la religion grecque, où elle peut figurer l’âme descendue aux enfers; ou bien, au contraire, elle matérialise l’âme sortant du corps.
On la retrouve au Cachemire et au Bengale, et dans de nombreuses traditions indiennes d’Amérique du Sud, ainsi qu’en Asie centrale et en Sibérie. Platon, enfin, affirme que les âmes des hommes sobres se réincarnent sous forme d’abeille.
Figuration de l’âme et du verbe – en hébreu le nom de l’abeille, Dbure , vient de la racine Dbr parole – il est normal que l’abeille remplisse aussi un rôle initiatique et liturgique. Cette racine donnera son nom à Déborah, l’abeille ! Tout comme à Éleusis et à Éphèse, les prêtresses portent le nom d’abeilles, et Virgile a célébré leurs vertus.
L’ensemble des traits empruntés à toutes les traditions culturelles dénote que, partout, l’abeille apparaît essentiellement comme douée d’une nature ignée, c’est un être de feu.
Elle représente les prêtresses du Temple, les Pythonisses, les âmes pures des initiés, l’Esprit, la Parole. Elle purifie par le feu et elle nourrit par le miel. Puis elle brûle par son dard et illumine par son éclat. Sur le plan social, elle symbolise le maître de l’ordre et de la prospérité, toi ou empereur, non moins que l’ardeur belliqueuse et le courage. Elle s’apparente aux héros civilisateurs, qui établissent l’harmonie par la sagesse et par le glaive.
Pour la plupart des Anciens (Égyptiens, Grecs, Romains, Indiens, Scandinaves, ou Celtes), la nature divine de l’abeille ne faisait aucun doute.
Plusieurs raisons expliquent son caractère sacré : l’organisation de la ruche et le caractère laborieux de l’insecte – semblant prouver une intelligence supérieure, sans oublier la production du miel, qui constituait, avant l’utilisation du sucre de canne et de betterave, la source unique et abondante en substances sucrées.
Considéré comme un don céleste, le miel servait en outre à fabriquer les breuvages d’immortalité.
Ainsi, le chouchenn ou hydromel était le soma chez les Celtes.
Pierre-Henri Tavoillot et François Tavoillot dans leur L’abeille théologique, pose la question de la disparition de l’abeille dans les Evangiles alors qu’elle était citée en abondance, comme le miel, dans l’Ancien Testament où elle est la médiatrice privilégiée entre l’humain et le divin, entre la Terre et le Ciel, entre le sensible et l’intelligible, entre l’obscurité et la lumière. « Osons, disent-ils, une hypothèse pour expliquer cette criante absence. Sans doute faut-il y voir un refus ostensible d’un symbole païen, trop païen, et, qui plus est, déjà usé jusqu’à la corde. Et surtout, dans la nouvelle Alliance, la place de médiation est occupée et bien occupée par le Christ lui-même, qui en détient pour ainsi dire le monopole… »
« Nous sommes les abeilles de l’Univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’invisible. »
Rainer Maria Rilke
Sources :
- Philippe JOUËT : Dictionnaire de mythologie et de religion celtiques, 2012
- Jean CHEVALIER et Alain GHEERBRANT : Dictionnaire des symboles, 1982
- ACADEMIA-CELTICA : Gwenan – Abeille https://academia-celtica.niceboard.com/t582-abeilles-gwenan
- Guillaume OUDAER : Boisson sacrée, axis mundi et source cosmique chez les Scandinaves, les Celtes et dans d’autres traditions indo-européennes – L’hydromel de poésie, 2009
- Éloïse MOZZANI : Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes, 1995
- Paul SEBILLOT : Le Folklore de la France – La Faune et la Flore
- Aurore AVARGUES-WEBER : Les abeilles savent-elles compter ? – 2017
- Marie-Claire FREDERIC : Le miel, une autre histoire de l’humanité, 2022
2 commentaires
C’est un texte vraiment exceptionnel. Merci, Mona, de partager ton érudition.
La science d’une Druidesse, les connaissances d’une passionnée. C’est un heureux passage.
/|\ KG
Encore un passionnant article, Mona! Je connaissais l’importance écologique de l’abeille et le caractère sacré de l’hydromel, mais ne soupçonnais pas l’existence d’un tel culte à l’égard de cet insecte. Il est important que nous nous efforcions de le protéger, compte tenu de son actuelle extrême vulnérabilité, si nous ne voulons pas voir disparaître ce médiateur entre les hommes et les dieux.