Croke Park à Dublin

Croke Park à Dublin, le Bloody Sunday …

de Sylvain GÂCHE
Publié le Dernière mise à jour le

Croke Park à Dublin.

Sortie le 30 septembre dernier aux Éditions Delcourt dans la collection « Coup de tête », la bande dessinée « Croke Park », que j’ai réalisée avec Richard Guérineau au dessin, relate le Bloody Sunday du 21 novembre 1920, qui s’est déroulé en deux temps. Le matin, Michael Collins élimine la menace constituée par les espions britanniques disséminés dans Dublin, en les faisant assassiner.

Puis l’après-midi, les forces d’occupation britanniques, à la recherche des responsables de ces crimes, pénètrent dans le stade de Croke Park, (en gaélique Páirc an Chrócaigh) où se déroule un match de football gaélique, et l’opération de police dégénère en massacre…

Ces faits se déroulent en pleine guerre d’indépendance irlandaise.

Cette guerre a commencée le 21 janvier 1919 lorsque le Sinn Féin (1), qui a remporté 73 des 105 sièges irlandais aux élections générales précédentes, refuse de siéger à la Chambre des communes du Royaume-Uni pour installer un parlement à Dublin. Comme lors des Pâques sanglantes (2), ces élus proclament l’indépendance de la République d’Irlande. Le même jour, des Volunteers (3) tuent deux policiers de la Royal Irish Constalbury (4), lors d’une embuscade à Soloheadbeg, dans le comté de Tipperary.

La RIC est la cible principale de l’IRA (5) durant le conflit.

Car ces policiers sont les yeux et les oreilles du gouvernement britannique en Irlande. Face à cette pression des rebelles nationalistes décidée par Michael Collins, la RIC connaît de nombreuses défections et perd en efficacité. Le gouvernement britannique crée alors deux unités paramilitaires. D’abord les Black and Tans, d’anciens soldats qui arrivent en mars 1920. Puis en juillet les Auxiliaries, un corps d’élite composé d’officiers. Leur brutalité, vite devenue légendaire, est orchestrée par les autorités qui veulent à tout prix anéantir les velléités d’indépendance irlandaises.

Sur un plan politique, Lloyd George, premier ministre du Royaume-Uni, réagit en nommant le général Nevil MacReady, nouveau commandant des forces armées. Ainsi que Hugh Tudor chef de la police et Sir Ormonde de L’Épée Winter pour constituer un service de renseignement efficient.

Dès septembre, ce dernier construit son réseau d’espions, le Special Gang.

Dont les membres prennent des chambres dans différents lieux de la ville et fréquentent assidûment le Kidd’s Buffet et le Cairo Café afin de collecter des informations sur les membres du Sinn Féin et de l’IRA.
Comme l’étau se resserre autour de son organisation, Michael Collins, qui dirige les services de renseignements de l’IRA, décide alors d’éliminer ces espions britanniques.

Un de ses informateurs, le lieutenant G, envisage de fixer l’opération le Dimanche 21 novembre. Afin de bénéficier de l’afflux de spectateurs que créera le match de football gaélique Tipperary-Dublin prévu ce jour-là. Sachant que ces espions vivent surtout la nuit, il est décidé de les frapper le matin à neuf heures.

Lorsqu’ils seront encore endormis et qu’il sera plus aisé de les surprendre.

Une cinquantaine de membres du Special Gang sont identifiés et localisés, mais le nombre de cibles est réduit à trente-cinq, faute de preuves suffisantes. Finalement seulement douze d’entre eux sont exécutés le matin du Bloody Sunday. Et un autre périra de ses blessures le 10 Décembre. Deux cadets auxiliaires sont également des victimes collatérales de cette matinée. L’objectif initial est donc loin d’être atteint. Revenant sur ce semi-échec, Collins est bien conscient que certains membres de la brigade de Dublin ont pu décevoir. Mais à leur décharge, de nombreux espions ne se trouvaient pas aux adresses indiquées.

Croke Park à Dublin

Croke Park and the Bloody Sunday in Dublin, by Sylvain Gâche

Ces assassinats provoquent néanmoins une grande panique chez les Anglais.

Les survivants et leurs femmes se ruent immédiatement, dans une noria de taxis, vers Dublin Castle. Ce symbole de la puissance militaire et du pouvoir politique britannique en Irlande devient subitement un refuge face à une armée d’insurgés qui semble prendre l’avantage, en mettant à terre le système de renseignement ennemi.

Le match de bienfaisance entre Dublin et Tipperary, programmé ce jour-là à 14:45, se joue au profit des familles de Volunteers, meurtries par la guerre d’indépendance. Il oppose deux des prétendants à la victoire du All-Ireland, le championnat de football gaélique. Au château, les autorités britanniques pensent que l’IRA a utilisé ce match pour faire venir des tueurs provinciaux à Dublin. Ainsi que pour couvrir ses crimes. En outre, elles sont persuadées que certains des assassins se cachent dans le public et elles ordonnent de s’y rendre pour les arrêter.

Après la photo des deux équipes, l’arbitre Mick Salmon siffle le début du match …

Avec une demie heure de retard sur l’horaire initialement prévu, devant 5 à 15 000 spectateurs (selon les sources). Pendant ce temps, les militaires du lieutenant-colonel Bray encerclent l’extérieur de l’enceinte. Puis, une centaine de Black and Tans et un nombre plus réduit d’Auxiliaries arrivent à leur tour à Croke Park, sous le commandement du Major Mills. Au bout de dix minutes de jeu environ, un avion survole à deux reprises le terrain  :le signal ?

Puis des tirs surviennent à l’entrée dite du Canal, au sud-ouest du stade. C’est la panique parmi les spectateurs ! En moins de trois minutes, qui ont duré une éternité, les forces britanniques tuent quatorze civils (trois succomberont les jours suivants). Dont un joueur et trois enfants. Elles font également soixante-deux blessés, en tirant 228 balles d’armes légères et 50 cartouches de la mitrailleuse de l’armée.

Justifiant l’action de ses hommes …

Sir Hamar Greenwood, secrétaire en chef de l’Irlande, affirme qu’elles n’ont fait que répliquer aux tirs des civils irlandais, chargés de la surveillance du stade. Et selon lui, la plupart des spectateurs sont décédés écrasés par la chute d’une rampe et par la foule. Pour appuyer ses dires, il précise que trente revolvers, jetés par des hommes en fuite, ont été trouvés.

Et il impute donc la totale responsabilité de cette tragédie à l’IRA. Cette version est confirmée en Décembre par le compte-rendu de deux commissions d’enquête militaires qui ne seront rendues publiques qu’en 1999 (dossier WO35/88B). Elle sera toutefois démentie par le rapport du major Mills, présent dans ce dossier. En fait, il n’y eut pas plus « légitime défense » que « vengeance préméditée » des Anglais.

Car comme cela a pu être écrit …

Le comportement des Black and Tans et des Auxiliaires à Croke Park s’inscrit dans le cadre plus vaste de la violence d’État. Qui légitimait sans cesse une répression aveugle, pour étouffer la rébellion nationaliste. Ce massacre serait donc une terrible « bavure » des forces de l’ordre, passablement enivrées, ulcérées des crimes commis par l’IRA quelques heures plus tôt. Et épuisées psychologiquement par le harcèlement constant des indépendantistes irlandais.

Cette journée tragique, d’ailleurs entachée d’autres crimes, est donc exposée dans la bande dessinée « Croke Park ».

Bande dessinée qui met également en parallèle de ces faits la rencontre explosive de rugby entre l’Irlande et l’Angleterre du 24 Février 2007 dans ce même stade. Là où les forces de l’ordre britanniques ont perpétré cet odieux massacre.

Croke Park à Dublin

The massacre of The Bloody Sunday, Croke Park in Dublin/Baile Átha Cliath

Les Auteurs.

Croke Park par Sylvain GÂCHE et Richard GUÉRINEAU pour le dessin, dans la collection Coup de Tête, paru aux Éditions Delcourt en septembre 2020.

(1) Organisé à partir de 1905 par Arthur Griffith, le Sinn Féin (« Nous-Mêmes », en gaélique) est un parti républicain et nationaliste irlandais. Qui se radicalise après l’insurrection de Pâques en 1916. Finalement pour obtenir l’indépendance du pays.
(2) Le lundi de Pâques 1916, un millier de Républicains prennent le contrôle de positions stratégiques à Dublin. Et hissent leur drapeau tricolore au sommet de la Poste centrale, devenue le quartier général des rebelles. Les combats durent une semaine. Mais les insurgés signent une reddition sans condition, le 29 Avril.

La répression britannique est impitoyable.

(3) Milice nationaliste irlandaise, en activité de 1913 à 1919, qui participe à l’insurrection de Pâques en 1916, au côté de la section féminine créée en même temps (Cummann na mBan). En 1919, les Irish Volunteers se fondent dans l’Irish Republican Army.
(4) Créée par l’Angleterre en 1822, la RIC est la police royale irlandaise, qui s’est efforcé de maintenir l’ordre en Irlande, jusqu’en 1921. Selon le règlement, aucun catholique ne pouvait y être admis.
(5) Appelée aujourd’hui Old IRA, cette organisation paramilitaire lutte par les armes contre les Britanniques pendant la guerre d’indépendance irlandaise. Elle est issue de l’union en 1916 entre l’Irish Citizen Army et les Irish Volunteers.

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