Comment l’ouragan Irma met en évidence l’incurie d’un système.
Les destructions humaines et matérielles que l’ouragan Irma a causées sont trop sérieuses pour les utiliser à des fins de polémique stérile.
Cependant cette catastrophe a mis en parfaite évidence la faillite d’un système d’administration hyper-centralisé.
Les quatre îles caraïbes que sont les deux grandes Guadeloupe et Martinique, et les deux petites Saint Martin et Saint Barthélémy sont majoritairement administrées de Paris.
Sommaire
Plus de cinq mille kilomètres séparent ces deux territoires.
Oui, bien sûr, il est difficile pour n’importe qui de gérer un tel degré de destruction massive. On évoque vers 90% de destruction des îles de saint Martin et de Saint Barthélémy.
Mais c’est bien pire encore quand le territoire est dépendant de décideurs trop lointains. Pour presque tout, il faut demander à l’état central un avis, une autorisation. Quand ce n’est pas supplier. Ou directement ou via le représentant de l’état central sur place. En l’occurrence un Préfet.
Comme un œil central qui doit tout voir, tout contrôler, tout appliquer, tout administrer.
Administrer n’est pas gérer.
Administrer c’est appliquer à une situation donnée des règles prédéterminées.
Par contre gérer c’est organiser un processus de prise de décision pour que cette décision soit prise en temps opportun, par les personnes les mieux placées.
Le centralisme d’état prédétermine des règles. Le plus souvent dans des bureaux, par des sachants trop souvent hors-sol. Donc quand survient cette situation, nos administrateurs ont pour mission d’appliquer à la lettre ces règles. Ainsi on voit encore appliquer des règles vieilles de près de deux siècles. Ou des règles uniformes pour des situations très différentes et donc inadaptées.
C’était le système soviétique.
Or c’est encore le système français.
L’autonomie des territoires c’est permettre aux personnes les mieux placées, au plus près de « leur » évènement, de décider de ce qu’ils pensent être bien ou mal, pour elles, pour leur vie quotidienne, pour leur avenir. Sur leur territoire.
Cette administration étouffante est un véritable goulot d’étranglement.
Cette centralisation exacerbée nuit à la prise rapide de décision. Parce que dans un contexte d’événement de crise comme cet ouragan, ces lourdeurs et ces niveaux décisionnels trop nombreux deviennent des freins, des handicaps. Quand tout va bien, ces délais et ces retards ne sont pas trop graves. Dès lors qu’il y a risque physique évident et majeur, ce centralisme devient meurtrier.
Car on vit dans un monde de l’urgence où la décision doit suivre cette cadence. Que ce soit dans le domaine public comme dans le privé, les gagnants sont souvent les plus rapides.
En effet cet ouragan était annoncé depuis plusieurs jours. Je ne doute pas (on peut l’espérer) que les autorités en charge de la mise en place du plan d’action préventive (j’imagine qu’il en existe un) aient pris la pleine mesure de la catastrophe annoncée.
Mais l’administration française hyper centralisée ne se met pas En Marche à la même vitesse qu’une tempête tropicale. Parce qu’il faut remplir des dossiers. Puis contacter l’état central à Paris en subissant les cinq ou six heures de décalage horaire. Ensuite il faut attendre les réponses …
Puis la lourde machine se met en branle … mais l’ouragan Irma est déjà passé !
La France est aujourd’hui, avec la Turquie peut-être, l’état le plus centralisé d’Europe.
Tout y est verrouillé, normé, cadré, cadenassé. Paris et ses représentants dans les départements ne gèrent pas, ils administrent. Tout au plus, tout au mieux.
Ces îles caraïbes dépendantes, comme tous les territoires sous administration française dans le monde, doivent impérativement re-trouver de l’autonomie vraie. De la respiration. Et de nombreux pouvoirs de décision.
Il est quand même aberrant, au XXIe siècle, que les populations de ces îles américaines (c’est déjà l’Amérique, les Caraïbes !) doivent demander à des bureaucrates parisiens l’autorisation. A moins de se tromper de siècle et de considérer que les habitants des territoires administrés par Paris sont incapables de se gérer eux-mêmes.
A chaque fois qu’il y a un tel événement comme Irma, on entend les mêmes « que cela nous serve de leçon ». Et à peu de choses près, on se retrouve dans la quasi même situation quelques années après.
La Bretagne subit aussi cette hyper-centralisation.
Cela est valable dans les territoires très éloignés des bureaux feutrés des administrateurs parisiens. Mais malheureusement cela l’est également de territoires moins lointains.
Et la Bretagne fait partie de ceux-là.
Les autorités françaises, pour ne pas dire parisiennes, doivent comprendre que dans le monde dans lequel nous vivons (mais vivent-elles dans le même monde que nous ?), les territoires les mieux gérés sont ceux qui le font eux-mêmes. Les plus proches voisins de l’Hexagone pratiquent tous cette méthode : l’Allemagne et ses länder, la Grande Bretagne, la Suisse, les Pays Bas et la Belgique, l’Espagne, la Norvège, le Danemark …
Si un länder allemand est capable de se gérer lui-même, si une nation des îles britanniques l’est également, pourquoi pas les Antilles ou la Bretagne ?
Ce centralisme jacobin est un repli sur soi.
Le nombre de catastrophes comme Irma, de moins en moins naturelles, dans le monde, a quadruplé depuis les années 70. Donc, on sait, tous, très bien, que la prochaine est pour bientôt. Et qu’elle sera encore plus monstrueuse, plus dévastatrice. Aussi, refuser de le voir, le nier est d’une grande bêtise. Refuser aux territoires, et donc à « ses » propres Citoyen(ne)s de s’y préparer au plus près, est irresponsable et criminel.
Cette centralisation viscérale et incurable est un dangereux repli sur soi.
Il est grand temps de vivre avec son temps, de faire confiance aux Citoyen(ne)s et de cesser de s’accrocher à un passé révolu.
3 commentaires
Excellente analyse et tres bon exemple de la faillite d’un systeme de pensée toxique.
La deconcentration et la decentralisation ne sont pas les mêmes choses.
L’unité et l’uniformité non plus.
Deux concepts, deux contresens ou plutot deux deviances de sens avec lesquelles l’etat francais joue de manière à la fois stupide et perverse. Stupide parce que prendre les gens pour des imbeciles incapables de comprendre ce qui se passe et leur dire le contraire quand ils se plaignent de l’etre c’est une strategie perdante qui ne tient que par la l’arrogance et la violence, y compris physique.
Perverse par ce que les gens qui font et appliquent cette methode « jouent » sur le fait que le legitisme de la population ( et les Bretons sont tres « legitimistes ») fera passer tous ceux qui la remettent pour des fauteurs de troubles, des irresponsables, des contestataires systematiques, des refuseurs de progres…
Le pouvoir central est au mieux « deconcentré » depuis 82, ce que l’on fait trop souvent prendre pour de la « decentralisation ». Qq unes des decisions prises à Paris sont prises ailleurs, mais selon les memes methodes, avec le meme esprit, la meme condescendance melant arrogance et mepris, considerant que les concernés ne sont pas « aptes » à correctement voir leur propre interet ou si c’est le cas, qu’ils en seraient supects et donc en contradiction avec l’interet « superieur de l’etat »…
Le cas des catastrophes naturelles comme celles d’Irma ne fait que souligner non seulement l’absence de structure reellement decentraliseée, mais aussi la discrimination rampante que l’etat francais n’a jamais adressé dans ces « territoires », et pour cause puisque les majorités noires ou metisses sont totalement « administrées » par un pouvoir central qui pretendant ne pas vouloir connaitre la couleur de peau des gens, laisse en fait prosperer une société post coloniale, voire post esclavagiste sur ces terres « reculées » ( reculées par rapport à quoi!?, on croirait entendre parler du « desenclavement de la Bretagne », qui merci, ne serait pas si « enclavée » si on n’avait pas sterilisé sa nature maritime qui l’ouvre sur le monde comme peu de territoires et pensé qu’elle ne pouvait devait regarder que vers paris)…
La visite d’un President n’y changera rien. Les structures de l’etat francais où l’on contraint le peu de pouvoir des « regions » (elues) à passer celui de « prefets », veritables gouverneurs, missi dominici, nommés par le pouvoir central sans aucune legitimité democratique et aux pouvoirs exhorbitants, ne sont que defensives et ne servent que sa pérenité et son auto-justification: ce qui est different est dangereux, ce qui n’est pas sous controle direct est une menace, ce qui revendique une identité, une atteinte à l’unité…et c’est cette pensée toxique, ou plutot ses effets qui lors d’un ouragan, d’un tremblement de terre, d’une eruption volcanique tuent vraiement les gens.
En fait l’etat francais vous dit, « vous n’y entendez rien, vous n’etes que des incompetents, nous qui savons mieux que vous, nous n’avons besoin d ‘aucun conseil. Le mieux que vous avez a faire est d’obtemperer ». Meme dans un systeme militaire on ne se comporte pas de cette manière, parce que c’est totalement contre productif. A fortiori dans une soit disante « democratie ».
Un principe simple et reconnu consiste à faire prendre les decisions (informées, c-a d avec les données necessaires pour ce faire) par les gens concernés à l’echelon le plus bas possible (subsidiarité). C’est entre autre le systeme éprouvé depuis son origine par le Controle de Mission de la NASA au Johnson Space Center de Houston (et ca marche pas mal, merci), c’est non seulement comme cela que peuvent fonctionner les « operationnels », mais aussi comme cela que fonctionnent les democraties efficaces et responsables.
Ici l’operationalité necessaire face à un desatre annoncé ne peut se concevoir et se gerer QUE localement. C’est donc bien la faillite d’un systeme et non pas uniquement les elements qui sont à pointer du doigt. Bien vu.
Merci GC COPPEL. Ce n’est plus un commentaire, c’est un véritable article.
[…] centralisme à la française, il en est où ? A la ramasse, et on le paie cash. Oui, c’est beau tous ces énarques et hauts fonctionnaires qui nous font la leçon toute la journée, toute l’année.Du style: nous avons de la chance de […]