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Hypocrites
Je ne suis plus de vous, ni maintenant ni à jamais. Vous pourrez dire que j’ai déserté, trahi, travesti, et pourtant il n’en est rien. Je n’ai fait qu’appliquer vos principes, si ce ne sont vos ordres : déconstruire !
Alors j’ai déconstruit, mur par mur et pierre par pierre. Grâce à vous j’ai changé, évolué, je pense même être devenu une meilleure personne.
Petit prolétaire comme bien d’autres, j’ai compris ce que beaucoup ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre. J’ai refusé d’être le petit soldat de la croissance que notre éducation veut faire de nous. J’ai déconstruit.
Petit homme cis, j’ai arrêté de penser les horreurs habituelles à propos des femmes ou des LGBTQIA+ que la culture populaire transmet malheureusement encore beaucoup trop. J’ai déconstruit.
Petit terrien, j’ai arrêté de penser que l’on pouvait produire et consommer comme nous le faisons. J’ai déconstruit.
Petit français, j’ai arrêté de croire en cette fable de nation fantoche qu’est la France. J’ai déconstruit. Je suis vraiment devenu Breton. C’était le début et la fin du chemin, le point de départ et d’arrivée du cercle de ma vie.
Alors, je me suis tourné vers vous le cœur en joie, le sourire aux lèvres et de l’amour plein les yeux.
J’ai crié « Regardez ! Là, c’est notre pays ! Il est salement amoché mais il est beau malgré tout, comme nos gueules de prolos, il est toujours vivant. Si on se bat il sera libre et plus magnifique encore car nous pourrons le rebâtir avec toutes nos déconstructions ! Et enfin nous serons libres, corps et âme, peuple et pays ! »
Alors j’ai vu les regards se fermer et les lèvres se serrer. Les plus courageux d’entre vous m’ont dit tout haut que je devais me taire, que je n’étais plus dans la bonne déconstruction. Moi qui pensais qu’il fallait tout déconstruire, tout reconstruire. On m’a dit « ça non, ça c’est du nationalisme, c’est le mal alors que nous sommes le bien. »
Maladroitement peut-être, j’ai tenté d’expliquer que ce « isme » n’était pas un gros mot, mais un chemin logique de la liberté, de nos libertés à toutes et à tous.
Alors on m’a moqué, méprisé, insulté, ignoré.
On m’a regardé comme une bête de foire, comme un beau gâchis, comme une hystérique, comme quelqu’un qui ne joue pas le jeu. Mais quel jeu ? Celui des bonnes et des mauvaises déconstructions dans un cadre qui, au final, préfère rester français pour s’imaginer universel.
Pourquoi ne pas juste être de gauche, féministe, écologiste, révolutionnaire et rien de plus ? Allez, tout au plus, parle breton, ça ne mange pas de pain. C’est de la culture, c’est populaire, c’est presque de gauche. Allez, là dessus on te tolérera, mais seulement si tu ne vas pas plus loin.

Hypocrite va ! Toi et tous les autres. Rien que pour te faire chier, j’ai écris ce texte.
Rien que pour te faire chier, toi le breizhoù qui proclame vouloir sauver la seule langue bretonne en sacrifiant le combat politique, toi qui « pleure sur un tombeau que tu as toi-même contribué à édifier » comme disait Xavier Grall. Il est toujours vrai qu’on peut être un excellent bretonnant et un médiocre Breton. L’inverse est également vrai.
Rien que pour te faire chier, toi la féministe, je ne féminise pas ce texte. Toi qui refuse que j’applique ici le plus beau de tes principes : ne me libère pas je m’en charge.
Rien que pour te faire chier, toi le révolutionnaire et ta révolution universelle, toi qui est contre toutes les frontières sauf celles de la France, je me draperai d’un immense Gwenn ha Du partout où j’irai.
Rien que pour te faire chier, toi l’écologiste, je te rappellerai sans cesse que mon nationalisme que tu critiques est le combat pour la diversité du monde contre l’uniformité industrielle et moderne, ce que toi-même tu prétends défendre.
Hypocrites tous autant que vous êtes, à célébrer une Bretagne que vous piétinez en enterrant sa légitime lutte de libération nationale. Vous nous avez dit « soyez de gauche et vous serez à nos yeux un bon mouvement breton ». Pour d’autres raisons, de fait, nous sommes devenus de gauche. Maintenant vous nous dites « Puisque vous êtes de gauche, abandonnez votre combat breton car c’est du nationalisme, c’est de droite »
Hypocrite va. Je ne suis plus des tiens car maintenant je sais qui je suis.
Je suis la belle langue bretonne et gallèse que vous pouvez encore apprendre et parler; la belle maison de pierre et de terre que vous pouvez toujours admirer et habiter; le petit bout de bocage sur lequel vous pouvez installer votre habitat léger.
Je suis la lueur dans les yeux, l’indescriptible qui fait la beauté de ces lieux, de ces liens entre les êtres. Et je suis le talus encore debout, le renard qui te dévisage au bout du chemin.
Je suis la ronde mémorielle qui tourne encore et encore dans nos si belles fêtes de nuit; je suis la flambée d’une longue nuit d’été. Enfin, je suis la vie qui, malgré les peines et les misère, bat encore par ici.
Si vous prouvez jouir de tout cela c’est grâce à moi, la Bretagne qui se bat et qui malgré vos sarcasmes, ne baissera jamais les bras.
Alors maintenant je m’en vais, je dois reprendre ma route et de toute façon je n’ai plus rien à te dire.
Peut être que demain nous nous retrouverons côte à côte, car tu regretteras d’avoir méprisé tout cela. Tu changeras, comme j’ai changé, après avoir été trop longtemps comme toi, hypocrite.
Féministe, écologiste, révolutionnaire je le suis et je le resterai toujours. Pour cela je te remercie, pour le reste je ne regrette en rien d’avoir déconstruit tes déconstructions.
Maintenant je sais qui je suis et face à mon peuple, mon pays, face à notre nation, je ne le serai plus jamais, hypocrite.
« Il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant » Antonio Machado.
Alan Le Cloarec est publié par Yoran Embanner, l’Éditeur des Peuples Oubliés