De novembre 1965 à avril 1968 a existé dans les cinq départements bretons un magazine pensé comme le Paris Match breton et appelé Bretagne Magazine. Une grande première dans le paysage médiatique breton. Paysage plus que jamais dominé par les quotidiens Ouest France, Le Télégramme et Presse Océan. Il survivra deux ans et six mois, sabordé pour cause de « régionalisme ». Par l’homme politique qui l’avait créé, juste avant que n’éclatent les événements de Mai ’68 en Europe…
Sommaire
De 1965 à 1968 l’aventure de BRETAGNE MAGAZINE
Bretagne Magazine (64 pages) publie son premier numéro en novembre 1965.
Il est tiré à 37.000 exemplaires, distribué par les NMPP, dont 20.000 vendus au prix de 2 francs l’unité (trois euros constants). Pour son créateur, le gaulliste de Dinard Yvon BOURGES, 43 ans, secrétaire d’Etat à la recherche scientifique, l’ambition est en fait d’installer un « Paris Match breton ».
Aussi pour ravir le leadership politique breton au centriste René PLEVEN. Son directeur de cabinet, Jean BOTHOREL, 25 ans, en devient son rédacteur en chef. Mais les ventes se stabilisent autour de treize mille exemplaires, insuffisantes pour équilibrer les comptes.
Yvon BOURGES est nommé secrétaire d’Etat à l’information après la réélection du général de GAULLE à la présidence de la République française, le 19 décembre 1965. Il cède alors le magazine en mars 1966 à l’imprimeur vendéen Chaix-Desfossés-Néogravure, basée à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis, France). Mais tout en conservant un droit de regard sur les orientations de la publication. Le magazine ne peut s’écarter d’un conformisme tranquille et folklorisant, bien que bénéficiant de quelques articles de fond sur la vie économique et sociale. Ses « plumes » sont alors notamment François-Henri de VIRIEU, Herry CAOUISSIN et un certain Xavier GRALL.
Du folklore à la révolte de la société bretonne …
Au fil des numéros, le ton se fait plus engagé. Sur fond de marée noire du Torrey Canyon, du « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle. Également de l’action du Comité d’Etude et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB) et du combat d’ Alexis GOURVENNEC pour défendre et organiser l’économie bretonne (plan routier breton, automatisation intégrale des télécoms, etc.). Sans oublier le « BZH » réprimé à l’arrière des voitures ! Tout en étant basé à Paris, Xavier GRALL et Jean BOTHOREL s’attachent par leurs écrits à différencier de plus en plus la Bretagne de la France.
L’Emsav dédaigne de moins en moins Bretagne Magazine.
Et au printemps 1967, les ventes se redressent. Alan STIVELL n’est pas encore connu. Bretagne Magazine en parle déjà au futur. Suite aux manifestations paysannes qui ébranlent toute la Bretagne le 2 octobre 1967 (200 blessés à Kemper), la une de Bretagne Magazine de Novembre 1967 est barrée du titre « Les paysans après l’émeute ».
Pour prouver son indépendance, Bretagne Magazine publie en décembre 1967 un entretien avec Michel PHLIPONNEAU, intitulé « Le problème breton et la gauche ». PHLIPONNEAU était l’expert le plus influent du CELIB et le « père » de la « loi-programme pour la Bretagne », enterrée en 1963 par le gouvernement Pompidou. Il démissionnera à la suite de cet échec et se tournera vers la gauche.
… Qui dérange les politiques bretons.
En outre, Pierre MAYEUX, administrateur et autorité morale de Bretagne Magazine explique. « Il ne s’agit nullement de « faire de la politique », mais seulement de ne pas avoir peur de parler « de la politique » qui est faite ou dite. La presse la plus libre, voire gouvernementale, ne craint pas d’exposer les thèses les plus diverses. Et cela nous paraît être la meilleure voie pour toucher un public plus nombreux […].Quant à Michel PHLIPONNEAU, Raymond MARCELLIN s’est déclaré « enchanté » de répondre dans notre prochain numéro. »
Donc Bretagne Magazine continue. Puis en Janvier 1968, la couverture est améliorée. Enfin, le graphisme du titre même est rendu plus lisible est moins agressif. L’interview avec Raymond MARCELLIN cohabite avec un face-à-face entre François BRIGNEAU de Minute et Morvan LEBESQUE du Canard Enchaîné. Un morceau d’anthologie qui vaut à Bretagne Magazine un coup de chapeau dans Le Monde.
Les ventes grimpent à dix huit exemplaires. Jean BOTHOREL commande alors pour le numéro de Février 1968. Une enquête sur la permanence des forces autonomistes en Bretagne, suite à la reprise d’attentats à l’explosif. Car ces actions « d’excités« , comme l’écrit la presse parisienne, se déroulent dans une situation économique et sociale calamiteuse en Bretagne.
Vers une nouvelle dimension de l’identité bretonne.
Dans cette atmosphère lourde d’incertitude, Jean BOTHOREL rédige son éditorial du Bretagne Magazine de mars 1968. L’intitulant « Nouvelle jacquerie ? » et le terminant par ses mots : « La Bretagne bouge« . Adage favori des dernières années pour exprimer notre expansion, retrouve une troublante actualité. Aujourd’hui, c’est une Bretagne en sursis qui se prépare à « bouger » dans la révolte ». Un bandeau « La province contre Paris » barre même la une du magazine.
Soutenu cette fois par René PLEVEN et d’autres notables, qui demande le départ de Jean BOTHOREL. Puis, cédant finalement aux pressions, Chaix-Desfossés-Néogravure, qui n’a aucune raison légitime de soutenir la cause bretonne, préfère mettre fin à l’aventure de Bretagne Magazine.
Au moment de sa disparition, Bretagne Magazine fut défini comme un journal régionaliste. En effet, c’est ainsi qu’il fut perçu « Comme mourait Bretagne Magazine« , écrira plus tard Jean BOTHOREL, « et que démarraient les événements de Mai 68, j’étais dans cet état d’esprit, de plus en plus séduit par la dimension « nationale » de l’identité bretonne. »