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Le tribunal administratif de Bastia interdit la langue corse

de Thierry JIGOUREL
Publié le Dernière mise à jour le

Le 9 mars dernier, saisi par le préfet de Corse Pascal Lelarge, le tribunal administratif de Bastia a rendu un jugement interdisant l’usage de la langue corse à l’Assemblée Territoriale. Une «décision honteuse» pour les élus insulaires Une «insulte» à l’identité de l’île et à la diversité linguistique, sans doute, mais hélas inscrite dans la tradition d’une fausse république qui, depuis deux siècles, bafoue les droits élémentaires de la personne humaine et a institué une hiérarchie linguistique désormais gravée dans la Constitution elle-même.

« Êtes-vous Bretons ? Les Français commandent ! » .

Notre confrère basque du nord (dit à tort « français » par la presse coloniale), Enbata, rappelle, dans son édition du 13 mars dernier, le « bon mot » du député Mirabeau asséné en réponse à un brillant discours de l’abbé Maury à l’Assemblée Constituante : « Êtes-vous Bretons ? Les Français commandent ! » .

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« Êtes-vous Bretons ? Les Français commandent! » – Mirabeau

Voilà résumées, en termes lapidaires, mais qui ont le mérite de la clarté, l’idéologie et la politique françaises depuis des siècles. Qu’un État engoncé dans des dogmes d’un autre âge tente, pitoyablement de faire passer cette politique pour des « valeurs de la République » alors qu’elles sont héritées dans les grandes lignes de la monarchie absolue, ajoute encore à la supercherie.
Enbata a raison de rappeler ce discours, à l’heure où, saisi par le préfet Lelarge en février 2022, le tribunal administratif de Bastia, vient de rendre une décision jugeant illégal et anticonstitutionnel l’usage de la langue corse, à égalité avec le français, par les élus de l’Assemblée Territoriale, ainsi que l’utilisation, par la même assemblée de l’expression « le peuple corse. »

La duplicité d’Emmanuel Macron

Au passage, on ne peut que souligner la duplicité du président Macron, qui s’était fendu de magnifiques larmes de crocodile après le retoquage de la loi Molac, par un Conseil Constitutionnel à sa botte.
A l’époque, le président réélu par défaut et grâce au levier de la peur, avait assuré, la main sur le cœur, qu’il tenait dur comme fer à ces langues dont la Constitution juge qu’elles font partie du « patrimoine national ». Tout en laissant Aurore Bergé constituer un groupe de 60 députés partis au charbon, parfois manipulés et trompés, pour saisir le fameux conseil qui, depuis des années, brille par une surinterprétation jacobine d’une des constitutions les plus centralistes d’Europe.

Le préfet, selon le site officiel gouv.fr : « est nommé par décret du Président de la République, pris en Conseil des Ministres, sur proposition du Premier Ministre et du ministre de l’Intérieur. »
Les choses sont claires.
Monsieur Lelarge est donc en Corse le représentant de la République. Il est aussi l’obligé d’Emmanuel Macron, d’Élisabeth Borne et de Gérald Darmanin, ses supérieurs directs. Il applique donc les ordres reçus par ces trois personnages du sommet de l’État.

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« La langue d’un peuple, c’est la peau de son âme » – Émile Masson, écrivain breton

Pour revenir au fond, à l’heure où la plupart des États de l’Union Européenne ont signé, ratifié et souvent appliqué la Charte Européenne des langues Régionales ou minoritaires, où le gallois jouit chez nos cousins insulaires d’un statut de co-officialité avec l’anglais, où le français a les mêmes droits au Val d’Aoste, l’Allemand au Sud Tyrol, le Catalan en Catalogne du sud, le basque en Euskadi du sud, sans parler du français du Québec, qui est actuellement LA langue officielle ( donc à l’exclusion de l’anglais), dans la province autonome, la France fait figure d’exception.

Selon le gouvernement de la « belle province » : «le français est la langue officielle du Québec et de ses institutions publiques. Le français est la langue habituelle du travail, de l’enseignement, des affaires, du commerce et de la vie quotidienne. ».
Il ne semble pas que cette situation choque particulièrement les autorités françaises. Mais il s’agit ici, évidemment, du français, la « plus belle langue du monde », la « langue des Lumières et de LA Liberté ».
On ne mélange pas, linguistiquement les torchons avec les serviettes.
Et le français avec le corse, le breton ou le basque, au nom d’une hiérarchie tacite établissant depuis longtemps au pays de la Liberté proclamée, une langue supérieure et des langues inférieures, qualifiées jadis de patois, de jargons, d’idiomes et aujourd’hui, avec le même mépris, de «langues régionales » .

La langue corse et le préfet Lelarge, garant de la légalité «républicaine ».

Pascal Lelarge, le serviteur de l’État, l’homme-lige d’Emmanuel Macron, est en effet dans son rôle.
En mettant en avant la loi 94-665 du 4 août (tout un symbole !) 1994, qui stipule que « la langue française est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics », il s’inscrit dans le strict respect de la légalité « républicaine ». Et dans la lignée d’une tradition instaurée et jamais démentie depuis cette loi du 2 Thermidor An II (20 juillet 1794 en langage normal), soit précisément deux siècles avant la loi du 4 août 1994, qui stipule que « tout fonctionnaire qui dressera, écrira ou souscrira, dans l’exercice de ses fonctions des procès-verbaux, jugements, contrats ou autres actes généralement quelconques conçus en idiomes ou langues autres que la française, sera condamné à six mois de prison et destitué. »

Quelques mois plus tôt, le 30 septembre 1793, l’inénarrable Abbé Grégoire éructait devant le comité de l’Instruction Publique : « Ainsi disparaîtront insensiblement les jargons locaux, les patois de six millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale, car, je ne puis trop le répéter, il est important qu’on ne pense d’extirper cette diversité d’idiomes grossiers qui prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés. ».

Voici en quelques mots, remarquablement exprimées les deux pensées fondamentales d’une fausse république que Paris nous présente comme le parangon de la démocratie : la supériorité d’une langue sur toutes les autres, puisque seul le français est déclaré apte à transmettre et véhiculer les idées de « raison » ou de progrès. Et la conception, la certitude même, que ce qui fait la richesse du monde, c’est l’uniformité, puisque la « diversité » se trouve ici flétrie. Ce qui fait en effet de la France une exception (- dont elle est fière !) au milieu de tous les pays modernes et démocratiques précédemment cités, qui estiment que c’est au contraire la diversité qui fait la richesse du monde.

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« Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française » – Abbé Grégoire 1794

Le préfet Lelarge ne contrevient pas à la règle.
Zélé, Pascal Lelarge ? Pas plus que le préfet Papon arrêtant les Juifs pendant la guerre ou que son auguste prédécesseur Bernard Bonnet, le courageux incendiaire des paillottes corses.
Il obéit à l’État. Il sert l’État, la raison d’État, la religion de l’État.
A contre-courant de l’évolution de l’Europe ?
Peu importe, puisqu’il est établi que la France a raison, toujours raison, au besoin contre le monde entier.
Le héros Lelarge, comme le héros Bonnet, sont les missi dominici d’un État, d’un chef d’État et d’un gouvernement qui ont érigé l’État et l’État centralisé en divinité absolue qu’on n’a pas le droit de contester, de critiquer et encore moins de vouloir quitter.

Une modification de la Constitution pour la langue corse ?

Gilles Siméoni, le président du Conseil Exécutif de Corse, comme Paul Molac, député du Morbihan et créateur du groupe parlementaire LIOT auquel sont affiliés les trois députés nationalistes corses, ont sans doute raison lorsqu’ils assurent que seule une révision constitutionnelle pourrait inverser la vapeur.
Il est vrai que l’article 2 de la Constitution, qui stipule que « le français est la langue de la république » et que « l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public. » est utilisé systématiquement contre toute avancée au profit des langues minorisées de l’Hexagone. C’est celui derrière lequel le Conseil Constitutionnel s’était retranché pour détricoter la loi Molac portant sur l’enseignement immersif.

Mais quelles sont les chances d’une telle révision ?

Pour qu’une modification de cet article – présenté en son temps comme visant à lutter contre l’invasion de l’anglais ! – soit actée, une majorité des trois cinquièmes du Congrès (Sénat et Assemblée Nationale réunis) est nécessaire. Là encore, on mesure les difficultés et les obstacles accumulés par le législateur pour empêcher la France de suivre l’évolution démocratique de ses voisins.

La réelle question est : avons-nous besoin du blanc-seing et de l’autorisation de la puissance coloniale pour parler nos langues, y compris dans des institutions comme le Conseil Régional ou l’Assemblée Territoriale de Corse ?
Devrons-nous toujours courber l’échine et obéir à une légalité qui s’oppose de plein fouet au droit des gens, au bien commun et à la légitimité ?

Jean Moulin, pendant la guerre, s’est-il conformé à la légalité du gouvernement Laval pour entrer en résistance ?
Que fera le gauleiter français en Corse si M. Simeoni et ses amis passent outre la décision du Tribunal Administratif ?
Il enverra la troupe pour les arrêter, en pleine séance parlementaire, s’inspirant des méthodes du pouvoir espagnol face aux indépendantistes catalans ?

Les Bretons auront sans doute avancé sur le chemin de la réflexion et de la maturité lorsqu’ils auront compris que la France est irréformable, engoncée dans une pensée religieuse absurde mais indéboulonnable et qu’il est plus utile et plus efficace de préparer la sortie et l’indépendance que d’espérer faire entendre raison à Macron et consorts. Une bonne partie des Corses le savent déjà.
Il n’y a rien à attendre de l’État français, que des coups, des menaces, du mépris et des insultes.
Et tout de la préparation à prendre notre destin en main, lorsque cet État vermoulu et corrompu s’écroulera et retournera aux poubelles de l’Histoire.
Sinn Fein.
Ni Hon Unan !

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De Paris, le pouvoir central finance l’impérialisme linguistique de la langue française tout en interdisant les langues minorisées de ses colonies intérieures.

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