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Un ouvrage est né, il y a peu, en (Haute) Bretagne : Mona, le chant des îles du nord du monde.
Mona, une épopée musicale et poétique éditée sous forme de livre CD, fruit de la collaboration, entre le musicien Gurvan Mével et le graphiste Jacky Glais, avec la précieuse contribution de conteurs et musiciens de Bretagne, principalement.
Comment parvenir à évoquer la substance du monde des Celtes, avec tout ce qu’elle peut contenir d’épique, de mystérieux, de poétique, ou de mystique, de violent même, sans se perdre dans les centaines de pages de récits hétéroclites, de poèmes anciens ou récents, ni créer un interminable poème symphonique, mais en demeurant accessible, sans toutefois tomber dans quelque chose de trop simpliste ? C’est un peu la question que se sont posé le musicien Gurvan Mével et son compère graphiste Jacky Glais, avant de se lancer dans ce vaste projet de création d’une fresque épique à la fois enracinée et capable de faire vibrer l’âme de tout un chacun, quelles que soient sa culture ou ses affinités.
Charles Leconte Delisle.
Il faut avant tout rendre hommage au premier champion de cette aventure. Le poète Charles Leconte Delisle (1818-1894). Qui , à priori, ne serait pas naturellement associé au domaine celtique en particulier (comparé à des Anatole le Braz et autres La Villemarqué). Et pourtant… ce ne sont pas tant les origines familiales bretonnes, de ce natif de l’île de la Réunion, ni ses séjours et « aventures » à Rennes ou Dinan, qui l’ont mis en première place pour ce projet. Mais la puissance évocatrice, d’un de ses plus grands poèmes : le massacre de Mona (Poèmes barbares, ouvrage édité en 1862).
MONA (Ynis Môn, Anglesey, au Pays de Galles), île vantée dans les récits et poèmes brittoniques médiévaux. Nemeton (sanctuaire) à part entière, trop connue des Romains, qui l’accostèrent en 61 après JC, pour en détruire les derniers bastions de résistance druidique. Mona la vénérée, autel central du monde, nous dit Leconte Delisle. Dont on sait qu’ il a réinvesti avec beaucoup de force, l’esprit des civilisations antiques. Non pas seulement grecques et latines, mais celles du Nord aussi.
Entre Bretagne et Irlande …
Ainsi, la matière était toute prête, presque miraculeusement, pour le projet d’une épopée sauvage et onirique. Une forme parfaite (verbe beau, puissant et concis) et un fond authentique basé sur des références mythologiques et historiques tout à fait sérieuses. Dont l’évocation des prêtresses de l’île de Sein, plutôt méconnues.
Le corps était là, qu’il était désormais aisé d’associer (prologue et épilogue) à des fragments plus anciens issus de la tradition immémoriale de Bretagne insulaire (Cath Coddeu/le combat des arbrisseaux) et d’Irlande (Imramm Brain Maic Febail/la navigation de Bran Mac Febal…) dans lesquels les thèmes celtiques des métamorphoses, des hommes primordiaux, de l’immortalité de l’âme, du passage vers l’autre monde… se retrouvaient avec une telle évidence, chez Leconte Delisle que la suite poétique trouvait tout naturellement son cheminement définitif.
Beaucoup de références donc, pour cette odyssée.
Rassurez-vous. Passées ces quelques mises en perspectives historiques, précisons que l’album « Mona, le chant des Îles du Nord du Monde », n’est pas réservé aux érudits. Ni aux celtisants, ni aux cercles de la poésie. Il est destiné à faire voyager, rêver, toute personne que la profondeur, le mystère et la beauté des textes, associés à l’univers musical envoûtant, feront vibrer. Hors toute référence trop universitaire.
Faut-il être un helléniste confirmé pour apprécier le film Troie ?
Entrez dans l’univers de Mona.
La musique a été conçue comme orchestrale, tribale, onirique, plutôt que nettement celtique (même si quelques références discrètes percent ça et là). Car l’auteur n’a pas cherché à partager des sonorités instrumentales connues et reconnues dans ce domaine. Mais d’avantage à transcrire de façon personnelle (entre autres, les influences de Dead Can Dance ne sont sans doute pas très loin) un univers, une atmosphère, induits par les images, les mots.
Épopée allant crescendo, depuis un prologue mystérieux. Où plusieurs langues s’interpellent, se répondent, (irlandais, gallois, breton, gallo, français), jusqu’à l’apothéose. Puis l’apaisement final. Mona se veut finalement un ouvrage épique quasi cinématographique. Qui cherche à exprimer le mystère insondable, la puissance des sentiments, la force du lien à l’univers, aux dieux, aux éléments, à la violence et à la mort, de ces êtres issus de siècles terribles et magnifiques.
Cinématographique ?
Encore une fois, la palme d’or revient au poète. Sur cet aspect, beaucoup seraient surpris de constater le caractère de scénarisation, l’inattendue modernité, présents dans ces écrits du 19 ème siècle (et aussi de certains textes gallois médiévaux, notamment sur les scènes de batailles), longtemps avant Peter Jackson, John Boorman, ou Jim Henson.
Nous avons eu la chance de permettre à Leconte Delisle, en quelque sorte de refaire la traversée, de la Bretagne à l’île de la Réunion, en Octobre 2018. Puisque l’album y a été présenté. Notamment à la bibliothèque (dans le cadre des commémorations du bicentenaire du poète), par George Piris, musicologue de son état. Accompagné du professeur Edgard Pich, spécialiste de Leconte Delisle. Une belle reconnaissance, pour un travail passionné de quelques sept années au minimum … souhaitons lui bon accueil en Bretagne.
Il soufflait, hérissant comme une chevelure
La noire nue éparse autour de l’île obscure,
Conviant les esprits ceints d’algue et de limons,
Et ceux dont le vol gronde à la cime des monts,
Et ceux des cavités de qui la force sourde
Fait, comme un cœur qui bat, bondir la terre lourde ,
Et ceux qui dans les bois portent la Serpe d’or
Ceux de Kambrie et ceux d’Erinn et ceux d’Armor.
Leconte Delisle
Bienvenue dans les clans antiques.
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