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Un garrot français étouffe brutalement la Bretagne (1461-1532)
Garrot français sur la Bretagne.
La période 1461-1532 marque un tournant dramatique dans l’Histoire de Bretagne. En moins de trois générations, un État prospère et souverain est brisé par la violence. La France, voisine prédatrice, impose à la Bretagne un véritable garrot qui l’étouffe lentement mais sûrement. Ce n’est pas une union, encore moins un choix libre, mais bien une annexion construite sur la guerre, le mensonge et le parjure.
Pendant des siècles, les manuels français ont falsifié cette réalité. Ils parlent d’un rattachement volontaire, d’une fusion naturelle avec le royaume de France. Pourtant, les faits contredisent cette propagande. L’historien Louis Mélennec, dans son livre Invasion – Annexion – Anne de Bretagne, démontre de manière précise la brutalité de l’agression française. Ses travaux rappellent que la Bretagne ne s’est jamais donnée à la France : elle lui a été arrachée.
Pour comprendre l’ampleur de ce désastre, il faut d’abord mesurer le contraste avec la période qui le précède. Car la Bretagne du XVe siècle est alors un État stable, prospère et respecté, gouverné par des ducs et duchesses de très grande stature.
Une Bretagne prospère avant la tempête
Avant d’évoquer la chute, il faut rappeler la grandeur. L’historien Philippe Tourault, dans son ouvrage Ducs et Duchesses de Bretagne, souligne l’extraordinaire qualité des souverains bretons à la fin du Moyen Âge. La Bretagne se distingue par la solidité de ses institutions, la richesse de son économie et la force de son rayonnement culturel.
Sous le règne de Jean V (1389-1442), le duché atteint un sommet de prospérité. Nantes, capitale politique, rayonne dans toute l’Europe. Rennes et Vannes abritent une administration efficace, garante d’un ordre solide. Quimper et Saint-Malo s’affirment comme des places commerciales majeures, ouvertes sur l’Atlantique. La Bretagne est alors un acteur central du grand commerce maritime, relié aux Flandres, à l’Angleterre et à la péninsule ibérique.
Jean V impose également une diplomatie respectée. Habile négociateur, il maintient l’équilibre entre l’Angleterre et la France, tout en affirmant l’indépendance du duché. Grâce à lui, la Bretagne ne subit pas les ravages de la guerre de Cent Ans. Elle préserve ses terres et développe sa prospérité.
Ses successeurs poursuivent cette politique. François Ier, Pierre II, Arthur III puis François II maintiennent un État fort et stable. La Bretagne s’impose comme une puissance régionale dont les finances sont solides et l’administration structurée. C’est cet héritage que reçoit Anne de Bretagne à la fin du XVe siècle.
Mais ce tableau de prospérité ne pouvait qu’attiser les convoitises du royaume de France.
Dès 1461, avec l’avènement de Louis XI, le vent tourne.
Louis XI, un ennemi déterminé
En 1461, Louis XI devient roi de France.
Son objectif est clair : réduire les grands États voisins pour renforcer le pouvoir royal. La Bourgogne et la Bretagne apparaissent immédiatement comme les deux cibles à abattre.
Louis XI ne cache pas son hostilité envers le duché breton. Pour lui, la Bretagne doit cesser d’exister comme État indépendant. Il cherche à la coloniser, non à l’associer. Son règne marque donc le début d’une stratégie agressive permanente.
Dès les premières années, il multiplie les pressions diplomatiques. Il tente de diviser les élites bretonnes, d’acheter des fidélités et d’infiltrer ses réseaux dans le duché. Sa méthode repose sur la corruption et la manipulation. Mais il ne se limite pas aux intrigues. Il prépare aussi l’affrontement militaire.
La Bretagne, jusque-là stable et confiante, comprend que la France est désormais un ennemi mortel. Les tensions s’accumulent tout au long des années 1460 et 1470. Elles annoncent un choc inévitable, qui éclatera en 1488 lors de la bataille de Saint Aubin du Cormier /
1488 : la tragédie de Saint-Aubin-du-Cormier
La tension accumulée depuis l’avènement de Louis XI éclate en 1488. Ce conflit oppose l’armée bretonne et ses alliés aux troupes françaises. La rencontre décisive a lieu à Saint Aubin du Cormier /Sant Albin an Hiliber , près de Fougères / Ar Felger.
Ce 28 juillet 1488, la Bretagne joue sa survie. Les forces du duché affrontent une armée française plus nombreuse et mieux équipée. Malgré le courage des combattants bretons, la bataille tourne rapidement à la catastrophe. La défaite est écrasante.
Saint-Aubin-du-Cormier marque bien plus qu’une défaite militaire. C’est un désastre national. Les élites du duché sont décimées. Les meilleures forces du pays disparaissent en une journée. La Bretagne se retrouve exsangue et vulnérable.
La France profite aussitôt de son avantage. De 1488 à 1491, le duché est soumis à une vague de violences systématiques. Les soldats français mènent des raids meurtriers sur l’ensemble du territoire. Villages brûlés, terres ravagées, fermes incendiées : les campagnes se couvrent de ruines.
Ces attaques ne visent pas seulement les infrastructures militaires. Elles frappent directement la population civile. Femmes violées, enfants massacrés, paysans exécutés : de véritables crimes de guerre sont commis, sans aucune retenue. L’objectif est clair : terroriser les Bretons, les pousser à la soumission par la brutalité.
La stratégie française laisse un pays traumatisé, des familles détruites, une économie ruinée. Cet épisode, jamais enseigné en France, reste le plus sombre de notre histoire.
Encadré – Les féodaux bretons achetés par la France
Les archives françaises révèlent que plusieurs grands seigneurs bretons furent payés par le roi de France pour trahir la cause ducale. Ces « pensionnés » se retrouvent au cœur du basculement de 1484-1491.
- Jean IV de Rieux — maréchal de Bretagne, reçoit dès 1484 des sommes importantes de la trésorerie royale pour orienter le duché vers la soumission.
- Françoise de Dinan — baronne de Châteaubriant / Kastell Briant, figure féminine influente, touche de l’argent royal dès 1485 avec son gendre François (Guy XV) de Laval.
- Louis de Rohan (seigneur de Guéméné / Ar Gemene) — mentionné parmi les tout premiers rétribués.
- Jean II de Rohan — vicomte de Rohan, rejoint le cercle des payés en 1487 ; en 1491, il est encore présent avec Pierre de Rohan (Quintin / Kintin) et Jacques de Rohan.
- Sire de Sourdéac — l’un des bénéficiaires réguliers, encore cité dans les comptes de 1491.
- Prince d’Orange (Jean IV de Chalon-Arlay) — payé directement par la couronne française, symbole de la duplicité des alliances.
Selon les comptes étudiés par l’historien Jean-François Lassalmonie, 25 000 livres tournois sont ainsi distribuées en 1485 pour rallier ces familles. En 1491, lors du dernier compte, on retrouve toujours les Rohan, Laval et Sourdéac dans la liste des payés.
Preuve irréfutable : la France a acheté des fidélités, divisé la noblesse bretonne et préparé la conquête par la corruption autant que par les armes.
Anne de Bretagne : duchesse, otage et figure de résistance
Au milieu de cette tragédie, une adolescente se retrouve au centre du destin national : Anne de Bretagne. Fille du duc François II, elle hérite d’un duché assiégé et fragilisé.
En 1490, alors âgée de seulement treize ans, elle épouse par procuration Maximilien d’Autriche. Ce mariage, préparé avec soin, représente un choix stratégique. Il vise à maintenir la Bretagne dans l’indépendance en l’alliant à l’une des plus grandes puissances d’Europe.
La France réagit immédiatement. Pour Paris, ce mariage est une provocation. Charles VIII mobilise une armée. Rennes est encerclée. La ville tombe sous la pression. La duchesse est enlevée.
Le 6 décembre 1491, Anne est contrainte à un mariage expéditif avec Charles VIII au château de Langeais. Le lieu est transformé en camp retranché. Des soldats français gardent toutes les voies d’accès. L’adolescente est livrée à l’ennemi.
Ce mariage forcé constitue un acte de violence inouï. Anne, duchesse souveraine, est privée de son libre arbitre. Elle subit le viol politique et personnel de son corps et de son pays. L’événement symbolise le viol de la Bretagne tout entière.
Pourtant, Anne ne renonce jamais à son rôle de duchesse. En 1498, la mort accidentelle de Charles VIII bouleverse la donne. Libérée, elle regagne Nantes. Sa première décision est de restaurer les institutions bretonnes. Ce geste montre sa détermination à préserver l’existence du duché.
En 1499, elle épouse Louis XII. Cette fois, un contrat de mariage précis est signé. Ce texte garantit la souveraineté du duché. Il fixe des règles de succession qui assurent la pérennité de la fonction ducale. La Bretagne reste un État, juridiquement distinct du royaume de France.
Ce contrat de 1499 demeure le dernier acte légal entre la Bretagne et la France. Il établit noir sur blanc l’indépendance du duché.
Anne, malgré les contraintes et les humiliations, incarne ainsi la résistance bretonne. Sa ténacité maintient encore l’existence de la Bretagne en tant qu’État souverain au tournant du XVIᵉ siècle.
François Ier : duplicité et parjure
Après la mort d’Anne en 1514, la situation change radicalement. La Bretagne, privée de sa Duchesse, se retrouve à nouveau en danger. Les rois de France reprennent leur stratégie d’étouffement.
Parmi eux, François Ier, moins brutal que Charles VIII, n’en est pas moins dangereux. Son arme principale n’est pas seulement la guerre, mais la corruption, le cynisme et la manipulation. Il se présente comme protecteur, mais agit en prédateur.
En 1532, il organise le coup décisif. Avec une suite de 12 000 soldats et courtisans, il assiège littéralement la ville de Vannes. La présence militaire transforme la cité en camp retranché. Les pressions sont immenses.
Sous cette contrainte, une pseudo-négociation s’ouvre. Mais elle n’a rien d’équitable. Il n’en sort aucun traité bilatéral. Au lieu d’un accord signé entre deux États, François Ier fait rédiger une simple lettre unilatérale, connue sous le nom de lettre du Plessis-Macé.
Ce texte reprend quelques termes du contrat de 1499, mais les vide de leur sens. Il est présenté comme un accord, alors qu’il s’agit d’un acte imposé par la force. La duplicité est totale.
Avec ce geste, François Ier commet un véritable parjure politique. Il trahit l’esprit du contrat de 1499. Il impose une annexion qui n’a rien de légal. La lettre de Plessis-Macé n’est qu’un document frauduleux, dicté sous pression militaire.
L’année 1532 marque donc la mise en place du garrot français. La Bretagne, autrefois prospère et indépendante, est réduite à l’état de « province ». L’illusion d’une union volontaire cache une réalité d’invasion et d’asservissement.
Le garrot français : une annexion illégale
Juridiquement, le dernier acte valide entre Bretagne et France reste le contrat de mariage de 1499. Ce document établissait l’autonomie du duché et la pérennité de sa fonction ducale. Tout ce qui suit n’est qu’usurpation.
Politiquement, la Bretagne est étouffée par un véritable garrot français. Ses institutions sont démantelées, ses finances pillées, son indépendance effacée. Les privilèges accordés au duché sont rapidement vidés de leur contenu. Progressivement, la Bretagne est réduite au rang de simple province administrée par Paris.
Cette annexion, fondée sur la guerre et la tromperie, ne repose sur aucune base légitime. Elle incarne un parjure historique dont les traces pèsent encore aujourd’hui.
1461-1532 reste comme l’un des épisodes les plus désastreux de l’Histoire de Bretagne.
En moins d’un siècle, un État européen prospère, respecté et indépendant a été brisé par la violence française : défaite militaire, crimes de guerre, mariages forcés, manipulations juridiques.
La propagande française a ensuite falsifié cette histoire, parlant « d’union » ou de « rattachement volontaire ».
Enseigner que la Bretagne s’est donnée à la France est une contre-vérité. Ce qui s’est produit entre 1461 et 1532 n’est pas une union, mais bien une invasion et une annexion.
Rétablir cette vérité est essentiel.
Car un peuple qui ignore son histoire se condamne à la subir.
Les Bretons doivent connaître ce drame pour mieux comprendre leur présent et envisager leur avenir.
3 commentaires
Malgré la tragédie de cette annexion, il ne faut pas faire croire que tout était rose en Bretagne avant cette annexion, le récit du chanoine Moreau au sujet de la révolte des paysans de Cornouaille en 1490 démontre une réalité de laissez pour compte, cependant le poids économique des guerres incessantes avait une part de responsabilité dans cette misère. Ce qui ne faisait que affaiblir les dirigeants bretons dans leur résistance et le peuple étant à bout ne devait pas être très motivé pour continuer le combat. Cette réalité mémorielle a encore des conséquences jusqu’à nos jours, explique partiellemnt le manque d’adhésion à la cause bretonne, dans le sens où celle-ci a été déconnectée des préoccupations de la population.
https://shs.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2017-2-page-201?lang=fr
Un autre lien en complément
https://journals.openedition.org/abpo/3488
Il est surprenant que vous ne mentionniez pas le traité du Verger de 1488 qui a suivi la défaite de Saint-Aubin du Cormier.
Ce traité stipulait, entre autres, que le mariage des filles du duc de Bretagne était soumis à l’accord du roi de France.
Ce qui explique le mariage de Anne de Bretagne avec Charles VIII puis Louis XII,
ainsi que celui de Claude, fille de Anne de Bretagne et Louis XII avec François d’Angoulème, futur François 1er.