âge

Et j’irai d’âge en âge, nouvelle, renouvelée …

de Colette TRUBLET
Publié le Dernière mise à jour le

Je fus conçue sur Terre au terme de milliards d’années dans un utérus géant constitué des constellations d’un univers explosé, encore inconnu à ce jour. Peut-être inconnaissable à hauteur de vie humaine.

J’ai 35000 ans avec Sapiens-Sapiens.

Je suis intelligente des choses de la vie, je suis capable de parler, de nommer ce que je vois. Car je donne un mot pour désigner chaque personne, chaque animal, chaque chose. Une phrase pour définir une action, pour exprimer un besoin, expliquer une sensation, savourer la tendresse innée avec les nouveaux-nés. Je grave ce que je vois sur les parois des grottes et des cavernes, je dessine ce qui n’est pas moi. Je suis cet artiste, émouvant, en espoir d’immortaliser la trace de sa vie, en pied de nez à la mort.

J’ai 12000 ans avec le peuple des mégalithes.

Je regarde le ciel, le soleil et la lune. Et je regarde les myriades d’étoiles qui disparaissent chaque jour, qui renaissent chaque nuit. Je constate que tous suivent toujours le même trajet. L’astre du jour disparaît la nuit. Il fait la pluie et le beau temps. Je voyage à sa suite. Et je veux comprendre. Je trace sur terre le chemin des étoiles, je dresse des mégalithes qui me servent de repères. J’apprends les règles de l’écoulement du temps, les distances, je fais des calculs, des mesures. Je voyage sous différents climats et j’apprends à m’orienter. Je grave sur des tablettes d’argile le calendrier celtique luni-solaire dit de Coligny, qui émerveillera par sa précision les savants de tous les temps successifs. C’est peut-être le premier calendrier du monde, beaucoup d’autres suivront. J’ai un esprit scientifique.
Je construis des tombeaux pour ceux qui meurent en chemin. La mort et la vie sont sans cesse avec moi sur les chemins du monde.

europe

La Bretagne possède le plus important patrimoine mégalithique du monde

J’ai 6000 ans avec la route de la soie.

Désormais je sais me diriger, voyager, tracer des routes, choisir des destinations, vérifier des suppositions. Les clans se multiplient, se regroupent en peuples, les peuples font mémoire de leurs aventures, les récits se transmettent, les questions sur la vie sur la mort s’échangent au rythme du commerce des objets. Les objets prennent des valeurs différentes selon qu’on est plus ou moins artiste plus ou moins savant, plus ou moins pragmatique. Les clans sont ingénieux, les peuples organisent la lutte pour la survie, pour la vie qui s’allonge et va de plus en plus s’allonger pour certains.

La mort est toujours l’unique nécessité à laquelle il faut s’adosser pour apprendre d’elle l’égalité de tous face à notre destin commun, mais en toute différence les uns avec les autres. Plus tard nous apprendrons que sur un même arbre aucune feuille n’est rigoureusement semblable aux autres, mais que toutes contribuent à la bonne santé de l’arbre.

J’apprends donc à respecter les différences de taille, de poids, de nature, de possibilités, en toute fraternité avec mes semblables. J’apprends à reconnaître la liberté utile à tous et à chacun des autres car chacun seul sait pour lui ce qu’il peut faire, ce qu’il peut aimer, ou pas. À égalité, mais en toute différence, le couple homme-femme porte le fardeau d’amour nécessaire à la vie de chaque clan, puis de chaque peuple.

J’ai 6000 ans avec l’âge du fer, avec Confucius, Boudha, Isis, Moïse et la Bible.

Avec les Celtes je dis, Ankou , tad an anken, netra ket netra ken  (« Mort, père de la souffrance, rien d’autre, rien de plus »), d’unique nécessité. Tous fraternellement adossés à la mort, nous essayons de faire triompher la vie. Devant la misère des uns qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins, face aux catastrophes capables de détruire du jour au lendemain des équilibres durement conquis, en raison des obligations de manger pour vivre, en raison de pouvoir se protéger des éléments quand on s’est aventuré sur des sentiers périlleux, je suis avec Confucius qui parle de la compassion. Je suis avec le Boudha qui prône le détachement pour atteindre la paix, le nirvana intemporel. Également je suis avec Isis qui prône un amour-tendresse indestructible.

Mais, hélas, les pharaons de sa lignée se veulent enfants du soleil à l’exclusion de leurs contemporains. Ils se marient entre eux mais leurs enfants sont tous incapables de vivre. Tel Toutankhamon et son épouse, apparentés l’un à l’autre, morts très jeunes et très contrefaits ; j’apprends de leur expérience la prohibition de l’inceste utile au triomphe de la vie.

Ensuite, je suis avec Moïse qui croit en un dieu unique créateur de l’univers qui va lui donner ses commandements. Je suis avec les écrivains de la Bible soucieux de raconter l’odyssée du peuple de Dieu

J’ai 2500 quand éclate la guerre des sexes entre dieux et déesses grecs et romains, puis avec les philosophes de l’antiquité.

L’humanité méditerranéenne invente un monde « enciellé » semblable au leur, comme en miroir. Ils s’éloignent des Celtes qui parlent d’un fardeau d’amour à porter unis pour faire triompher la vie. Dans ces pays de cocagne autour de la méditerranée, terres nourricières fertiles, généreuses et climatiquement privilégiées, il est plus facile de prendre du temps pour imaginer et moins vérifier, peut-être, les suppositions, les hypothèses qui naissent dans les esprits. Les astres sont personnifiés. Jupiter est à la fois dieu sur terre et planète dans le ciel. Le panthéon grec puis latin peuple tant le ciel que la terre.

L’astronomie et l’astrologie se confondent. Les dieux et déesses entreprennent une guerre des sexes qui fait rage et dure encore. Platon, Socrate et quelques autres accaparent les intelligences sous un autre aspect, qui est d’investigation de l’esprit et de philosophie naissante, prometteuse, qui nourrira l’Occident durant les siècles à venir, au détriment de la philosophie celtique qu’il faudra bien, utilement, ressusciter.

J’ai 2000 ans avec les évangiles.

L’humanité au masculin a gagné la guerre des sexes. Un seul Dieu créateur et tout-puissant détruit dans les esprits l’œuvre de la « Grande Mère », qui « ex-istait » depuis le premier matin du monde. Elle est reléguée dans l’inconscient collectif. Le phallus conquérant va s’aligner en nombre, comme un seul homme, derrière un seul Dieu, maître de l’univers.

La première apocalypse donne naissance au Fils de Dieu et à ses apôtres. Les femmes leur sont soumises, une par une. Oublieuse des premiers martyrs chrétiens, une stricte hiérarchie des pouvoirs s’instaure avec des légions de guerriers obéissants, convaincus de devoir donner volontairement la mort avant son heure aux ennemis des croyants. Des chefs, des rois, des guerriers, forts de pouvoir tuer leurs semblables au nom de leur Dieu, vont infliger des malédictions en cascades à des populations qu’ils défont et soumettent à leurs lois. Après les avoir aveuglées par la peur, les menaces, et la mort, pour qu’elles acceptent soumission, servitude, esclavage.

Les guerres de religions vont ravager les siècles suivants.

Le bien et le mal dansent ensemble pour la plus grande malédiction des penseurs. La grande mère ne fait plus autorité pour apaiser les querelles entre ses enfants. Elle est accusée de donner la mort en donnant la vie. Elle devient le bouc émissaire de la confusion.
Cependant et peu à peu, j’apprends la passion avec Jésus, le Christ. J’apprends la tendresse, infiniment, avec Marie, Mère de Dieu. Puis j’apprends le dévouement avec Joseph. J’apprends la chasteté avec la Sainte Famille. Dieu le Père éternel et tout-puissant, devient le maître des amours humaines. Le corps était et reste corps de souffrance.

J’ai 1500 ans avec les musulmans.

Ils ont poussé très loin la suprématie du masculin sur le féminin. Les mères font autant des garçons que des filles. Ce qui mathématiquement programme qu’un seul homme et une seule femme soient destinés à porter ensemble le fardeau d’amour. Comment réagissent les multiples épouses d’un seul homme? Sont-elles des rivales jalouses et hargneuses, des frustrées ? Que deviennent les hommes solitaires, laissés pour compte ? Sont-ils violents, enragés, affrontés entre eux à l’image des cerfs en rut pour la possession des femelles ?

Ou bien, à l’inverse, se prosternent-ils bien bas pour échapper à leur violence. « inch Allah », sexe aplati, front à terre plus bas que cette partie basse de nos anatomies ?
Pourtant, dans un élan de sagesse pour signifier l’incapacité de l’humanité à se faire une idée de son créateur, ils ont refusé les représentations de la divinité et des prophètes.

Dieu est INCONNAISSABLE et ils partagent cette constatation avec les peuples Celtes et Juifs.

Pourtant ils ont donné une dimension sociale à l’organisation de leur société. D’abord en choisissant, comme les Juifs par ailleurs, de réguler les biens et les richesses pour éviter la pauvreté dont certains sont affligés sans qu’on puisse, à coup sûr, leur en imputer la responsabilité.
Pourtant dans cette partie Moyen-Orientale de l’Europe, le génie mathématique des Arabes avait donné sa place au zéro. Qu’avant eux les Indiens avaient nommé. Ouvrant ainsi puissamment des espaces infinis à nos calculs enfin libérés des frontières entre rien et tout.
Donc les musulmans se sont éloignés des scientifiques pour imaginer des paradis compensatoires, ahurissants pour les non-croyants contre lesquels ils sont en guerre. Avec eux le terrorisme fait rage désormais dans le monde.

J’ai 1500 aussi avec le capitalisme.

Les hommes de Dieu sont devenus très riches. Ils ont été mandatés, nous disent-ils, pour faire ruisseler les richesses sur des peuples qui ne les croyaient pas. Mais qui devaient céder sur leurs désirs d’égalité, de respect des différences. Les peuples ne voulaient pas mourir avant l’heure. Ils préféraient souffrir mille morts quotidiennes. Les guerriers, les chefs, adoubés par Dieu, au cours de cérémonies grandioses pour pouvoir être aveuglantes, ont construit des royaumes, des empires. Et à présent des oligarchies, des groupes financiers, des richesses exponentielles qui vont envahir puis détruire la planète et l’humanité, vous et moi, nous, fraternellement destinés à mourir.

J’ai 240 ans avec la révolution française.

La révolution a été infusée par la philosophie des lumières qui, enfin, s’aperçoit que les peuples ont mis a l’abri dans de secrètes caches, le nom des valeurs qui les animent pour que la vie triomphe. Je proclame la LIBERTÉ. Chacune, chacun est seul à savoir ce qu’il peut et ce qu’il veut être et faire, seul, puis avec les siens, et ainsi comprendre les différences entre tous, taille, poids, sexe, âge, santé, possibilité. Je proclame l’ÉGALITÉ en raison de mon appartenance native à la condition humaine, mortelle, pour tous la même.

Puis je proclame la FRATERNITÉ en raison de notre destin commun adossé à la mort. Je sais que si je choisis d’éclairer mes pensées à la lumière de ces valeurs, j’aurai de moins en moins besoin ou envie de supporter les malédictions de la soumission à des chefs, à des princes, à des stars de la finance qui tous nous font oublier de commercer entre nous intelligemment et honnêtement. Nous avons à faire vivre, désormais, à portée de nos choix, notre intelligence collective. Elle a fait ses preuves contre toutes les malédictions, contre toutes nos errances. La liberté, l’égalité, la fraternité, le respect des différences sont des phares que nous avons construits par notre intelligence collective pour éclairer nos choix sociétaux, culturels, politiques, économiques.

novembre, cartes

Brezel / Guerre de 1941 à 1918

J’ai 100 ans avec les deux dernières guerres mondiales.

Les pantalonnades guerrières vont détruire des foules innombrables durant des guerres successives. Les massacres de la grande guerre sèment l’épouvante. La suivante est pire encore avec la shoah. Les éliminations d’êtres humains de tous âges, de toutes conditions, argumentées par des politiques ignobles, par des chefs criminels qui sont des assassins. Leurs arrogances infernales trouvent des justifications pour guerroyer. Car quand un peuple est attaqué, d’abord par la misère et la famine, il est facile de l’entraîner à vouloir se venger.

Les corps martyrisés, les affres de la peur et de la faim hurlent dans la confusion. Et l’apocalypse est enfin reconnue comme telle. Elle appelle une métamorphose. Nous devons, coûte que coûte apprendre que la PAROLE est notre seule arme, notre seul outil, au service de la paix, et du triomphe de la vie. C’est elle qui éclaire nos chemins en parlant juste et clair de ce qui nous taraude.
De guerre lasse, enfin, les dernières tueries, inégalées, effrayantes, ouvrent une ère de paix en Europe, promesse qu’un autre monde est possible.
Bon an mal an,

J’ai 45 ans avec l’Agence Spatiale Européenne, l’ASE.

Nos savants, horrifiés par la puissance de destruction que la fission nucléaire peut produire, ont poursuivi leurs recherches. Nous allons pouvoir commencer à découvrir les possibilités de mettre cette puissance au service du triomphe de la vie. A condition de penser au-delà des frontières de nos convictions et de nos croyances. Celles-là mêmes qui ont empêché nos valeurs d’éclairer nos choix. Les recherches sur l’infiniment petit, sur l’atome, ouvrent les portes du ciel et de l’infiniment grand. L’ASE semble confidentielle en face de la NASA que les descendants des Européens, des Américains, ont pu construire, dans un mouvement de collaboration sans frontière.

Et nos astronautes de tous pays ont contemplé la planète Terre de très haut, là-haut, de visu, ou par engins interposés. La sonde spatiale européenne de l’opération Rosetta continue à parcourir hors de notre portée les espaces infinis, au-delà de notre galaxie. Une stupéfaction émerveillée vient de ce que notre cerveau soit capable de concevoir notre univers jusque dans ses infinitudes, inaccessibles pour l’instant. Notre science mathématique, l’astro-physique, ouvrent des horizons infiniment désirables.
Rassurée, un peu,

J’ai 30 ans avec le Centre Européen Recherche Nucléaire, le CERN.

Les recherches continuent au CERN. La fission de l’atome n’a pas seulement produit les armes de destruction massive. Inversement elle a permis de vérifier l’existence d’une particule immortelle que les calculs de trois savants, Messieurs Higgs, Brout et Englert avaient pressentie, calculée, chacun dans son domaine. Ils lui ont donné un nom, un drôle de nom : le BOSON. Des expériences réalisées dans les laboratoires du CERN ont prouvé l’existence de cette ultime particule. Dont l’activité sans cesse renouvelée est à l’origine de tout ce qui existe dans l’univers, nous y compris.

J’ai finalement l’âge des milliards incalculables d’ères successives, d’années, de siècles.
Par quel hasard, par quelle inimaginable coïncidence, le CERN a-t-il été construit sur les terres qui ont vu s’épanouir la civilisation dite du Hallstadt au cœur de l’Europe, au cœur de la civilisation celtique ? Cette continuité technique, scientifique sur un même lieu peut-elle nous interroger sur la continuité de l’œuvre humaine ?

D’apocalypses en métamorphoses successives, la vie continue, je renais, je suis l’humanité nouvelle.

Voilà que le Boson m’informe que je suis constituée de particules immortelles. Voilà que je me souviens que les Celtes avaient dit, maladroitement encore, « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Ils avaient dit aussi que Dieu est INCONNAISSABLE, ÉTERNEL. L’Odyssée du monde ne continuera donc pas sans moi, morte ou vive. La mort, en soi, n’existe pas ? Il n’y a que des formes de vie, toutes plus différentes et variées les unes que les autres. Nos savants ne savent pas encore comment cette particule ultime, le Boson, se charge de la matière qui fabrique tout ce qui existe.

Quoi penser, sinon que la matière s’est débrouillée pour émettre des sons, immatériels, pour mettre des mots dans notre bouche ? Les mots nous ont donné la Parole. La VIE et la PAROLE sont de même nature immortelle ? Notre intelligence collective nous a amenés à ce moment précis, daté, où nous savons que la parole peut nommer des valeurs qui vont dans le sens du triomphe de la vie.
Le chemin a été long, très long pour arriver à découvrir, et à pouvoir nommer le Boson, immortel. Il était temps ! Nous allions continuer à nous entretuer, histoire de narguer la mort, sans souci de fraternité ?
Je suis, avec le boson de nature immortelle.

Je suis l’HUMANITÉ.

Et moi ?
J’ai fait comme tout le monde. J’ai recommencé et continué l’aventure. Je ne sais pas ce que deviendra ce que j’ai fait, dit, pensé, porté sur les ailes d’un destin particulier que la mort n’arrêtera pas. Comme si chacun de nous était assigné à une place pour finir par en apercevoir l’utilité et la cohérence après bien des péripéties et des souffrances.

Dans quel but, pourquoi ?
VERTIGES …
J’ai, gravé dans ma mémoire, comme tout un chacun, ce premier matin du monde où l’humanité a observé, pensé, parlé, dessiné, calculé, chanté, dansé. Une étape en ce moment s’achève, suspendue au-dessus d’un gouffre. Avec d’un côté la mort, de l’autre la vie, avec ou sans l’humanité. Je crois que nous n’avons pas le choix.
Il était une fois et il sera.
Le Boson
Particule immortelle
À l’origine
Ici, maintenant et à jamais

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