folklore ou culture

Folklore ou culture : les mots qui voudraient nous étouffer

de Thierry GUERIN

En Bretagne, folklore ou culture ?
Quoi de pire que de se voir interdit d’être soi-même ?

L’identité bretonne a connu tant d’influences du XVème siècle à aujourd’hui.

Il m’est déjà arrivé d’entendre ironiser certaines personnes (non Bretonnes) lorsqu’elles entendent que la Loire-Atlantique de Nantes / Naoned, de Clisson / Klison et d’Ancenis / Ankiniz est bretonne, lorsqu’elles entendent que les Bretons doivent apprendre une langue bretonne finalement qui leur semble francisée, parfois réinventée ou lorsqu’elles entendent les revendications bretonnes alors que pour elles, la cause du « duché » de Bretagne est finalisée depuis longtemps.
Duché ? Pays ne conviendrait-il pas davantage ?
Les mots ont du sens et ils nous définissent et certains mots sont à combattre car ils viendraient aisément nous étouffer.

Et c’est en entendant cela que je me dis que nous avons tant perdu.
Par l’ignorance distillée, le détournement des populations de leurs propres valeurs pour favoriser l’oubli, notre Histoire, par exemple, même récente (la séparation de la Loire-Atlantique à la Bretagne ne date que depuis 80 ans) est trop souvent oubliée.

Et que dire de notre culture ?

Du fait des entraves d’un pays français qui contribua à rompre la transmission transgénérationnelle en générant en Bretagne une honte de soi, il nous appartiendrait désormais de la réapprendre dans toute sa grandeur. C’est avec cet agacement de voir que nous sommes condamnés à cela comme le furent les Corses et bien d’autres peuples, que je vis depuis toujours.

Pendant longtemps d’ailleurs, le mot folklore est lui aussi venu étouffer la reconnaissance d’une culture réelle pour la Bretagne. Ce mot créait alors en moi un malaise, je me sentais là comme confronté à quelque chose de restrictif, d’amoindrie, à la sensation rêche d’une laisse attachée à mes pieds.

Qu’est-ce que le « folklore » ?

Le mot folklore est définie par le Larousse comme étant « l’ensemble des pratiques culturelles (croyances, rites, contes, légendes, fêtes, cultes, etc.) des sociétés traditionnelles« . Le Robert pour sa part apporte la lecture suivante de ce même mot: « Science des traditions, des usages et de l’art populaires (d’un pays, d’un groupe humain) » ou « Ensemble de ces traditions. »
Il pousse alors même la malice (le vice?) en présentant justement l’exemple suivant : ex: Le folklore breton ???? Et oui, encore nous…

Pour cela, le mot folklore serait de la culture sa dimension la plus populaire dans sa partie la plus ésotérique, traditionnelle voire irrationnelle finalement à travers de coutumes, des croyances a priori sans fondement dans le réel.
Il serait la culture du peuple mais aucunement d’une nation, terme qui nous renverrait visiblement à quelque chose de bien plus supérieur. Ce mot porterait donc clairement en lui et de par sa nature, une certaine condescendance entre le monde populaire et le monde dit « cultivé ».

Les érudits auraient une culture mais les couches populaires auraient un folklore.

Deux courants de lecture étaient alors parfaitement connus autour de ce mot qui, pour certains, était le savoir que détient le peuple, alors que pour d’autres, il désignait le savoir que les élites possédaient sur le peuple, alors pris comme objet de connaissance.

L’intérêt pour le folklore s’était développé en Europe vers la fin du XVIII ème siècle et surtout au XIX ème siècle avec l’émergence des nations européennes. Ce mot eut alors pour fonction pour les réticents à l’émergence des nations de pouvoir qualifier leur culture tout en la minimisant à un périmètre donné. Il était donc une prison en réalité, une véritable assignation à être mais entre des limites parfaitement prédéfinies autour d’une notion de nation évidemment déterminée en France comme « seule et indivisible« .
(Entre parenthèse, cette notion d’indivisibilité ne pourrait-elle paraitre comme contraire aux principes des Droits de l’Homme par l’autoritarisme qu’elle sous-entend ?
Car un peuple ne pourrait-il pas voir le droit de faire ou de défaire ce qu’il entend s’il en décide ainsi?
Ce même principe n’était-il pas admis par l’Europe elle-même au point de permettre à ses membres, par ses textes, de la quitter?
C’est d’ailleurs que le Royaume Uni sut engager à travers son fameux Brexit. Bref…)

La Bretagne fut donc dévalorisée dans l’Histoire.

Inutile de rappeler ici pour s’en convaincre les discours d’Ernold le Noir sur des Bretons qualifiés de sauvages et de barbares, la description qui fut faite des chouans présentés comme arriérés ou des Bretons, ploucs, baragouineurs ou cortèges de Bécassine voire de prostituées lorsqu’ils émigrèrent jusqu’à Paris au XXème siècle. La sémantique eut donc tout son poids.
Rabaisser absolument l’autre afin de le laisser à une place supérieure.

Voilà le procédé pour le coup, logique pour la pensée jacobine qui n’entendait qu’il puisse y avoir dans le même pays, deux peuples. Les Bretons ne pouvaient donc pas être reconnus dans une culture. Et aujourd’hui, il me semble que la culture bretonne n’est pas appréhendée à sa juste valeur. Car elle ne se limite pas à ses festivals, à ses binious ou bombardes.

La France a une langue et la Bretagne aussi.

Même si certains aimeraient encore la réduire, à néant ou en vulgaire patois.
La France a une cuisine. La Bretagne aussi même si elle est régulièrement réduite à ses délicieuses crêperies.
Et la France a une Histoire. La Bretagne aussi même si elle n’est évidemment pas enseignée.
La France se dit dotée (de façon un peu caricaturale) d’une pensée, à savoir celle du siècle des lumières. Mais la Bretagne aussi. Et il serait grand temps que nous le fassions savoir, que nous prenions compte absolument.

Voyons ainsi enfin les valeurs de notre culture, celles que nous portons…

Le Breton n’est-il pas reconnu pour son ouverture d’esprit, sa tolérance, pour son sens de la liberté?
Nous sommes partout dans le monde, nous l’avons parcouru mais jamais dans une volonté d’impérialisme.
Une profondeur de son esprit serait perceptible à travers sa langue à travers la prédominance qu’elle instaure pour le verbe être au détriment du verbe avoir. Tout un symbole, mais aussi à travers sa littérature. Ainsi au Moyen Age, trois « matières » (littératures) étaient nommées: celle de Rome, celle de France et… celle de Bretagne.

La matière de Bretagne était donc importante et reconnue comme telle.
Elle proposait alors des récits fondamentaux tels que pouvaient l’être le texte du Roi Arthur et de la table ronde, le roman de Tristan et Iseult. Ces textes apportaient alors des notions nouvelles de chevalerie et d’amour dit courtois. A cela, s’ajoutait la richesse des contes bretons, de nos légendes de la ville d’Ys à celles de la mort et de l’Ankou, chères à Anatole LE BRAZ.

La matière de Bretagne mit toujours en avant des notions humanistes, un rapport respectueux à la nature.

Pour s’en convaincre nous pouvons revenir à des faits historiques clairement signifiants qu’une pensée spécifique bretonne dans son expression à travers l’organisation sociétale ou les mœurs passés.
Ainsi en Bretagne, il eut d’abord l’organisation celtique de clans, les marc’htierns, organisation qui était organisée autour d’un chef qui se devait d’être au service du clan et non l’inverse, sans quoi il pouvait être destitué. Nous n’avions alors pas ce sens hiérarchisé de la société comme cela pouvait être présente chez les Francs. Marcel PLAGNOL qui écrivit sur la coutume de Bretagne put aussi expliquer de quelle façon la loi bretonne accordait des droits aux femmes, aux démunis. Enfin et certainement pour toutes les raisons ici déjà évoquées, il convient de noter que le servage, organisation bien plus française que bretonne, s’instaura tardivement en Bretagne pour y disparaitre ensuite plus tôt.

En Bretagne, on a pas attendu le XXIe siècle pour mettre une femme au pouvoir


La place de la femme dans la société celtique était clairement meilleure que dans d’autres cultures.
Elle pouvait divorcer, elle pouvait être chef, duchesse, souveraine. Ce qui n’était pas possible au royaume de France.

Dans la continuité de son regard humaniste, l’aspiration démocratique existait bien évidemment dans la pensée bretonne puisqu’il fut question de république dans son histoire avec le marquis de PONTCALLEC ou par celle instituée à Saint Malo / Sant Maloù au XVII ème siècle. La révolte des Bonnets Rouges avec leur code paysan toujours au XVII ème siècle, ne parlait d’ailleurs que de reconnaissances et de libertés. Par ailleurs la révolution française ne démarra-t-elle pas par la journée des bricoles à Rennes ?

La matière de Bretagne est riche, considérablement riche et il serait bon que chaque Breton en soit fier.

Le Barzaz Breizh de De KERVARKER (La Villemarqué en langue françaies), bible des contes bretons ne fut-il pas un best-seller en son époque, dans toute l’Europe au point qu’avoir été traduit en plusieurs langues (anglais, italiens, polonais, allemands)?

Nous avons des traditions spécifiques (les pardons), des instruments de musique singuliers, des danses collectives à ma connaissance uniques au monde dans leur capacité à faire danser ensemble un nombre parfois incalculable de personnes de tout âge, de tous horizons, homme ou femme, qu’importe.
Nos danses ne parlent-elles pas parfaitement de nous, de notre esprit ouvert, sans préjugé, sans hiérarchisation dégradante?

La riche poésie bretonne

Nos poètes d’Anjela DUVAL à GLENMOR et Xavier GRALL, à René-Guy CADOU, et Yvon LE MEN ou Louis BERTHOLOM, nos bardes ne perpétuent-ils pas la tradition de nous rappeler notre lien à l’essence de la vie, à savoir ce sens de la vérité, du vrai que nous retrouvons face à la nature puissante de la mer, des forêts et de nos chaos?
Cette poésie est l’empreinte de nos racines galloises.
Là-bas où ils savent la fêter à travers leur Eisteddfodau, tradition se perpétuant depuis le XII ème siècle.
Nous avons des auteurs à foison : Emile SOULVESTRE, Auguste BRIZEUX, Henri QUEFFELEC, Tristan CORBIERE, Charles LE GOFFIC, Louis GUILLOUX, François René CHATEAUBRIAND, Ernest RENAN et ses interrogations multiples et notamment sur « qu’est-ce qu’une nation ? », etc…
Lisons-les.

Grands personnages de Bretagne
Grands personnages de Bretagne

La culture de la Bretagne est précisément là, dans la grandeur silencieuse de son âme et nous devons la sauvegarder absolument aussi clairement que nos menhirs. J’aurais d’ailleurs la faiblesse de croire que la Bretagne ne susciterait plus aucun débat plusieurs siècles après son annexion, si elle en était vraiment dépourvue.

Et maintenant, puisque chacun d’entre nous est nécessairement un ambassadeur de la culture de la Bretagne, puisque chacun d’entre nous a entre ses mains un peu de son avenir, je m’interroge sur la manière par laquelle nous pourrions de Nous-Mêmes rehausser la Bretagne au-delà des carcans de quelques mots afin de rétablir la visibilité de notre culture.
Et dans cette même logique de dévalorisation, des questions se poseraient encore…

Restaurant et sports bretons …

Pourquoi nos crêperies bretonnes ne s’autorisent-elles pas à se revendiquer « restaurants bretons » ?
Et pourquoi les TV régionales de Bretagne ne proposent-elles pas de programmes bilingues (français et bretons) destinés à promouvoir la connaissance de l’histoire de la Bretagne et justement sa culture (langues, traditions celtiques, contes, etc.…)? Pourquoi ne s’emploient-elles pas à être la courroie de transmission de notre culture?
Pourquoi les radios bretonnes ne pourraient-elles pas de la même façon permettre un enseignement de nos langues bretonne et gallo, et des temps de débats divers de société concernant la Bretagne?
Si cela était fait, cela ne viendrait-il pas aider nos langues dans leurs survies?

lutte bretonne
lutte bretonne gouren Bretagne

Pourquoi ces mêmes médias bretons, radiophoniques ou télévisuels ne soutiennent-ils pas, non plus le gouren et autres sports bretons à l’instar de la pelote basque, en diffusant leurs compétitions?
Et au fait, que devient notre équipe de football bretonne?
Elle vit pourtant en ses rangs des joueurs de talents tels que Paul LE GUEN, Corentin MARTINS, Ronan SALAÜN, Claude « coco » MICHEL, Christian GOURCUFF, Mickael LANDREAU, etc… Dommage que Jocelyn GOURVENNEC n’ait pu y être aussi.

Mode, druidisme …

Pourquoi, en ces temps où l’écologie est à la mode, ne pas diffuser des entretiens de notre grand druide, Pêr-Vari KERLOC’H, des cérémonies du Gorsedd de Bretagne en tant qu’institution philosophique bretonne afin qu’il soit un guide ou source de compréhension de la religion druidique à savoir cette religion qui était la nôtre avant la christianisation ?

Et pourquoi les costumes bretons (motifs bigoudens ou tout bonnement celtiques) ne pourraient-ils pas donner lieu à une modernisation au point d’inspirer de nouveaux vêtements, tout en reprenant des mots bretons qui ne seraient pas plus ridicules que les habituels mots anglais?
Et pourquoi ne pas veiller à réhabiliter nos objets spécifiques du quotidien (beurrier à eau, penn bazh, lit clos, armoire bretonne, cuillères de mariage ou de naissance (voir site de Hervé LORANT sculpteur à Plomodiern / Ploudiern)? Tous ces objets portent notre style spécifique qui n’a rien à envier à la mode artificielle et globalisée d’Ikea ou autre « Maison du monde».

Ne nous laissons pas réduire à trop peu de choses.
Une culture est toujours à défendre.
Même dans la modernité, soyons Nous-Mêmes

lovespoon
Lovespoon, cuillère de bois sculptée par Herve LORANT Poudiern

La superbe photographie ouvrant cet article Folklore ou Culture est signée Serj Philouze, un Photographe breton hors-pair

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