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Le tombeau du Duc de Bretagne François II : symbolisme et alchimie.
L’écriture de cet article est née du lancement du chantier de restauration du tombeau du Duc de Bretagne François II et Marguerite de Foix, les parents de la reine Anne de Bretagne, à Nantes / Naoned.
Selon le Ministère de la Culture, « la première phase de restauration a commencé en juin 2023 avec le démontage complet du tombeau. Les parties basses seront ensuite plongées dans des bains permettant d’éliminer les sels qui altèrent les éléments sculptés. Le tombeau sera ensuite remonté dans la cathédrale en 2025. »
Ces travaux longs et complexes avaient été reportés en raison de l’incendie de la cathédrale en 2020, et ils seront entièrement financés par l’État pour un montant de 1,12 millions d’euros.
D’une manière générale, les tombeaux – ou les cénotaphes, lorsque le monument ne contient pas les restes du défunt – ont comme fonction première d’entretenir une mémoire, familiale ou collective. Leur érection relève de préoccupations et de sentiments divers, où interviennent, tour à tour ou conjointement, désir d’ostentation, volonté de reconnaissance, ambition artistique. C’est sans doute celle-ci qui assure le plus efficacement la longévité de ces édifices.
Viollet-Le-Duc entreprend en 1865 le Dictionnaire raisonné de l’architecture et rédige ainsi l’article Sculpture : « Il s’agit de chercher comment l’art le plus élevé peut être, celui de la statuaire, naît ou renaît au sein d’un milieu social, où il va puiser ses éléments, s’il n’est qu’un ressouvenir, comme dit Socrate, ou s’il est un développement spontané, comment il se développe et progresse, comment il décline. »
Puis, en 1879 s’ouvrent les portes du Musée de Sculpture comparée, créé par le même Eugène Viollet-Le-Duc et dont Jules Ferry accepte de débloquer l’argent nécessaire à la création.
Incarnation de la conviction de la supériorité de la France, les experts de la sous-commission du musée de Sculpture comparée estimaient en 1883 que « la comparaison avec les arts des autres pays ou des autres époques était inutile tant la supériorité de l’art médiéval français s’affirmait au travers de la présentation des moulages des chefs-d’œuvre médiévaux. « (Archives du musée des Monuments français.)…
En ce qui concerne le cas particulier du tombeau du Duc de Bretagne François II, et de sa femme Marguerite de Foix, il s’agit d’un monument funéraire qui se trouve en Bretagne, à Nantes / Naoned, dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, et qui fut réalisé en différents matériaux nobles dont le marbre de Carrare au début du XVIe siècle par Michel Colombe (sculpteur berrichon avec son atelier) et Jean Perréal (architecte et peintre du roi de France Louis XII).
Il est considéré depuis le XIXème siècle, et aujourd’hui encore, comme le fleuron de la statuaire Renaissance française, sinon européenne.
Le tombeau du Duc de Bretagne François II : une symbolique politique
L’ensemble, commandé par Anne de Bretagne pour honorer la mémoire de ses parents est également un mémorial de la dynastie des Montfort, et apparaît, dans une vision romantique, comme un symbole marquant de l’Histoire de Bretagne, en tant que « tombeau de la nationalité bretonne » dans cette époque charnière où l’hommage au dernier Duc de Bretagne est rendu par celle dont le mariage forcé conduit à l’accaparement de la Bretagne par la France.
En 2001, Jean-René Gaborit (Conservateur Général chargé du Département des sculptures du Musée du Louvre) écrivait que ce tombeau « avait été chargé, dès la commande, d’intentions politiques, idéologiques et religieuses ».
Le fait que cette commande avait été passée plus de dix ans après la mort du duc favorisait, en effet, la conception d’un monument au programme symbolique complexe. Il s’agit bien là d’une sculpture savante, dont le programme de réalisation fut adapté par chacun des intervenants selon sa culture, ses références et les potentialités de son art, et servi par une virtuosité de réalisation et de finition qui porte ce monument de mémoire au niveau de chef-d’œuvre des commandes de cour de la première Renaissance française
La reine Anne de Bretagne et la reine Arthémisie d’Halicarnasse.
Il est utile de préciser ici qui était Arthémisie d’Halicarnasse si importante pour Anne de Bretagne qu’elle jugeait nécessaire de faire figurer cette reine d’Halicarnasse dans l’ouvrage enluminé destiné à instruire et à édifier les femmes de sa cour, Les Vies des femmes célèbres.
En effet, Arthémisie d’Halicarnasse était reine et guerrière, symbole du monde à l’envers chez les Grecs pour lesquels le monde à l’endroit était : les femmes aux travaux ménagers à la maison pendant que les hommes s’activaient dans les assemblées et sur les champs de bataille.
Le Mausolée commandé pour son époux par la reine Arthémisie d’Halicarnasse ressemble très fortement au monument de Nantes / Naoned alors en cours de sculpture et d’installation, que le peintre enlumineur de l’ouvrage a sans doute reproduit pour complaire à sa souveraine et commanditaire et rappeler l’importance majeure de la construction de ce tombeau royal.
Arthémisie reine d’Halicarnasse tient une place particulière dans la bataille de Salamine, 480 avant J.-C., que nous connaissons par le récit qu’en fait Hérodote, et où elle commanda cinq navires qualifiés comme, « après ceux des Sidoniens, les plus réputés ».
Arthémisie, Reine d’Halicarnasse, faisant construire le tombeau de son époux Mausole, Jean Pichore, Paris, 1506, Les Vies des femmes célèbres. A. Du Four, Ms XVII, fol. 35v (Artemise) © Musée Dobrée – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique
Dans ce récit, la distinction des sexes est couplée à celle qui oppose les vainqueurs aux vaincus, les maîtres aux esclaves, les Grecs aux Barbares : Arthémisie, qui trompe Xerxès avec courage – vertu masculine -, souligne par contraste l’altérité barbare et féminine d’un roi vaincu par les Grecs ; les Athéniens trompés par la ruse d’Arthémisie sont les vainqueurs, mais des vainqueurs de comédie, presque des femmelettes ; Arthémisie, sujette du Grand Roi, renverse également la hiérarchie qui l’oppose à son maître : elle s’est jouée de lui comme des autres. Admirée par le roi perse, estimée comme une égale par l’élite perse et grecque qui accompagne l’armée royale, la reine guerrière n’est personnellement pourchassée que par les seuls Athéniens qui mettent sa tête à prix : nous assistons là à une véritable Amazonomachie. Selon une anecdote rapportée par Polyen, Xerxès offrit à la Reine Arthémisie une armure grecque complète tandis qu’il envoya une quenouille et un fuseau à l’amiral de la flotte athénienne…
Revenons à ce tombeau breton et hors normes qui marquera son époque.
Le mausolée combine des éléments stylistiques différents, « les gisants réalisés sur le mode traditionnel et une ornementation dans le style novateur de la Renaissance sur les parois latérales dans lesquelles sont intégrées les statuettes des Apôtres de style gothique tardif et des pleurants. » nous décrivent Kathleen Wilson-Chevalier et Eugénie Pascal dans Patronnes et Mécènes en France à la Renaissance. Cette combinaison d’influences Gothique et Renaissance correspond au niveau de prestige international recherché pour ce tombeau. Elle est due notamment à la collaboration dans un même atelier et autour du même projet de sculpteurs bretons et français chargés des statues, et italiens chargés de l’ornementation.
Le Duc de Bretagne François II porte le grand collier de l’ordre de l’Épi – créé par le Duc de Bretagne François Ier († 1450) – avec le pendant de l’Ordre de l’Hermine, fondé en 1381 par le Duc de Bretagne Jean IV : les deux ordres avaient fusionné en 1448.
Marque de chevalerie, ce bijou est aussi une manifestation d’indépendance, voire de rébellion. En effet, pour Louis XI, créer des ordres de chevalerie était usurper un pouvoir royal, comme battre monnaie d’or et utiliser les légendes monétaires du royaume…
Mais, rappelons que pour les papes d’alors, le Duc de Bretagne était « par la grâce de Dieu, roi en son duché » : la Bretagne gardait encore chez les chroniqueurs un statut particulier « parce qu’elle était un ancien royaume » où l’on frappait monnaie d’or, attribut royal.
Dans un mémoire adressé en 1384 par le Duc de Bretagne Jean IV, le Conquéreur au Roi Charles VI, il est précisé : « Vous plaise scavoir le païs de Bretagne estre un païs distinct & separé d’autre (…), & anciennement, & naguerres estoit appelé Royaume gouverné par Roys ; comme le furent le roy Gicquel, le roy Salomon, le roy Conan, & autres leurs successeurs qui l’ont gouverné en gouvernement royal, comme ceux qui du tout ont jouy des choses Royalles comme monnoyes ; garde d’Eglises, bris de mer, & autres choses contenues in his quae sunt Regalie Regni. Que il apparoist clairement le païs de Bretagne avoir esté & estre Royal tenu et gardé, & encore est le Duc de Bretagne en possession des droicts Royaux… »
Dans une généalogie légendaire, quasi mythique, le Duc de Bretagne était censé descendre en droite ligne de Brutus le Troyen, dont la Bretagne était supposée tenir son nom. Pour les Bretons, le lignage ducal était aussi noble et ancien que la lignée troyenne des Rois de France. Ainsi commence la généalogie d’Anne de Bretagne dressée en 1514 par Pierre Choque, dit Bretagne, roi d’armes de la reine…
Le tombeau du Duc de Bretagne François II : une symbolique funéraire.
Dès sa base protectrice, ce tombeau est marqué aux chiffres du Duc de Bretagne François II et du Duché de Bretagne. Peut-être aussi d’une allusion à la première épouse de François II, la Duchesse Marguerite de Bretagne. La cordelière rappelle la dévotion du duc envers son saint patron, François d’Assise, mentionné dans son testament, à quoi la Reine Anne de Bretagne a rajouté le souvenir des liens du Christ en sa Passion, affichant, malgré les apparences et l’apparat, le signe très clair du choix de la pauvreté évangélique dans le monde.
Les deux gisants sont grandeur nature.
Le Duc de Bretagne François II n’est pas en armure, comme les chevaliers des temps gothiques, mais en costume d’apparat, royal et pacifique. Tout dans ces vêtements d’apparat, rappelle que la Bretagne continentale avait été un royaume au IXème siècle, au temps deNominoë, reconnu roi par le pape, de son fils Erispoë reconnu roi par l’empereur Charles le Chauve, de « saint » Salomon et d’Alain Ier le Grand.
A la mort de ce dernier Roi de Bretagne, en 907, les Normands déferlèrent une nouvelle fois sur la Bretagne où ils s’établirent jusqu’à ce qu’Alain Barbetorte, petit-fils d’Alain le Grand, ne les chasse du comté Nantais et de l’Armorique.
En 942, certes Barbetorte prêta hommage au Roi de France, Louis IV, en tant que duc, mais ses monnaies portaient la légende imitée des deniers carolingiens GRACIA DEI REX, affirmant l’origine divine de son pouvoir, ou celle, nouvelle, de DVX BRITANNIAE.
De plus, dans sa lettre de création d’un Parlement ordinaire et sédentaire en Bretagne, à Vannes / Gwened, le 22 septembre 1485, le Duc de Bretagne François II stipulait :
« Comme de toute antiquité nous & nos predecesseurs Roys, Ducs & Princes de Bretaigne, qui jamais de nos noms et titles de Principauté n’avons recogneu ne recognoissons createur, instituteur, ne souverain, fors Dieu tout-puissant, aions droict & nous appartienne, par raison de nos droictz Royaux & souverains, avoir & tenir Cour de Parlement souveraine en exercice de justice & juridiction en tout nostre païs & Duché… »
Le 10 juin 1462, lorsque le Duc de Bretagne François II réunit le Parlement Général de Bretagne dans la haute salle des Halles de Vannes / Gwened, il siégea « en ses majestés et habit Royal »
Les deux défunts sont représentés sur la dalle de marbre noir comme ils furent exposés, en la salle d’honneur de leurs funérailles, sur leur lit de parade tendu de velours noir.
Aux quatre angles, des pommes écailleuses de passementerie qui rappelle que la pomme de pin était un symbole d’immortalité dans l’Antiquité.
Le tombeau du Duc de Bretagne François II : une symbolique héraldique et alchimique.
Au-delà des pommes de pin, ce tombeau montre d’autres éléments symboliques, parmi lesquelles, le lévrier, le lion, le dragon, le serpent, les anges et les quatre vertus cardinales.
La question posée est celle de savoir si la Reine Anne de Bretagne connaissait la portée ésotérique et symbolique des éléments du tombeau qu’elle commandait pour honorer ses parents et, à travers eux, la Bretagne.
Si l’on en croit l’historien Leroux de Lincy, la bibliothèque de la reine était l’une des plus importante d’Europe à son époque, et l’on y trouvait des livres manuscrits et imprimés en latin, en grec, en hébreu, en français et en italien. Cette grande bibliothèque fut augmentée des mille cent cinquante livres volés à Naples par Charles VIII pendant la guerre d’Italie (de 1494 à 1559, entrecoupé de dix périodes de paix), sans compter les commandes de livres enluminés dont le plus connus au niveau international est le livre Les Grandes Heures d’Anne de Bretagne pour la réalisation duquel Jean Bourdichon a travaillé plus de quatre années, de 1503 à 1508. A ceci s’ajoute le fait que la reine Anne aimait la conversation des diplomates auxquels elle aimait répondre dans leur propre langue…
Selon Fulcanelli dans le tome second de Les demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré et l’ésotérisme du Grand Œuvre, les chroniqueurs de son temps nous apprennent que les couleurs de la livrée que portait la Reine Anne de Bretagne étaient, avant la mort de Charles VIII, le noir, le jaune et le rouge, soit les couleurs hermétiques. Et qu’après la mort de ce dernier, elle réduisit les couleurs au nombre de deux : le noir et le rouge, soit les deux extrêmes de l’Œuvre alchimique. Anne de Bretagne fut la première Reine de France à rompre la coutume qui obligeait les souveraines à porter le blanc en cas de deuil : elle s’imposa et donna un nouveau « la » en portant le noir pour le deuil de son premier mari.
La Reine Anne de Bretagne savait la portée symbolique des images et des couleurs, le mausolée de Nantes / Naoned est un témoignage du niveau de ses savoirs et connaissances ainsi que de sa volonté politique.
L’analyse et l’interprétation de cette symbolique animalière en ce qui concerne le lion et le lévrier, passera par le registre héraldique. En effet, la Bretagne a été, sinon la première, du moins une des premières où soient apparues les armoiries. Le plus ancien sceau armorié de femme répertorié en France est breton (étonnant ?), il s’agit de celui Yseult de Dol qui apparaît pour la première fois sur un acte de 1183.
Selon Michel Pastoureau : « L’étude de l’héraldique bretonne, au même titre que l’héraldique de la Grande-Bretagne méridionale, doit être mise en relation avec celle de l’héraldique arthurienne et des armoiries des romans arthuriens. » Il en ressort que l’étude des armoiries bretonnes pour la période médiévale, fait apparaître qu’il existe bien une héraldique véritablement bretonne, mais que celle-ci à côté d’éléments tout à fait originaux, emprunte la plupart de ses composantes soit à une héraldique qualifiée de celtique, soit à l’héraldique des pays de l’ouest de la France, anciennes possessions des Plantagenêts.
Le lion
C’est le moine Gildas qui nous donne les informations les plus anciennes, de fait fortement christianisées, du lion en Bretagne (actuelle Grande-Bretagne) et en Armorique dans sa chronique De excidio Britanniae. Ainsi, selon Gildas, aussitôt après que les légions romaines de Stilicon aient quitté la Bretagne, en 407 après J.-C. ; un certain nombre de rois locaux ont été oints en Grande-Bretagne selon la coutume juive… Le lion était donc l’emblème de certaines des premières maisons régnantes de Grande-Bretagne. Cet emblème devait être le lion de Juda, puisqu’il n’était pas un étendard en usage par les troupes romaines.
Mais, est-il permis de penser qu’il s’agissait d’un symbole tiré de la faune locale ?
Pourquoi pas !
Les derniers lions d’Europe ont disparu au IIème siècle de notre ère. Son extinction progressive pourrait être due à diverses causes, dont la chasse aux lions, répandue dans l’Antiquité, et leur surutilisation dans les amphithéâtres romains (ils étaient plus facilement accessibles pour les Romains que les lions d’Afrique du Nord) …
Le lion aurait probablement été apporté comme symbole en Grande-Bretagne par la branche espagnole de la Gensa Flavia : les généraux Flavius Theodosius et Flavius Magnus Maximus. On le retrouve dans les armoiries héraldiques des familles bretonnes et normandes, puis il revient en Angleterre en provenance de Normandie, entrant définitivement dans les armoiries héraldiques de la famille royale.
En Bretagne, comme dans la plupart des autres régions, en héraldique, c’est le lion qui est l’animal le plus fréquent, ils sont tous originaires du diocèse de Tréguier (Boterel, Coetinizan, Kerimel, Quemenadec) et semblent constituer un groupe héraldique à part entière.
Pour autant, les lions anglais de Richard « Coeur de Lion » étaient odieux aux Bretons car le roi d’Angleterre avait ravagé la Bretagne en 1196. D’un autre côté, les lys de France représentaient un danger pour l’autonomie bretonne menacée du fait de l’absorption en 1204 du Duché de Normandie par le domaine royal de France.
Pendant ce temps, pour affirmer son indépendance, Philippe Auguste faisait battre à Guingamp / Gwengamp, Nantes / Naoned et Rennes / Roazhon des monnaies d’argent portant à l’avers son effigie avec la légende : « Philippus Rex » et au revers : la vieille croix celte avec mention « Dux Britanie ».
Le roi des animaux, avec sa réputation de force, de bravoure et de noblesse, est le symbole de la puissance et de la souveraineté, on l’associe au soleil, à l’or. Il représente également le pouvoir, la sagesse et la justice.
Sur le tombeau de Nantes / Naoned, le lion est allongé aux pieds du Duc de Bretagne François II, et il est tourné vers l’extérieur. Il présente, entre ses pattes avant, un écu en forme de losange figurant les armoiries de la Bretagne surmontées d’une couronne (confirmant que le lion est un soutien classique de l’héraldique bretonne).
Le lévrier
En héraldique bretonne, le lévrier est le chien le plus fréquent des blasons. Le chien en général évoque la fidélité, la reconnaissance, l’obéissance, l’amitié et l’attachement. Le mot lévrier vient du latin leporarium, soit garenne, parc, où l’on tient des lapins, des lièvres, à cause de l’instinct du lévrier à courir les lapins et les lièvres, leur faire la chasse.
Le lévrier serait l’un des premiers chiens domestiqués.
Cette race élégante et mystérieuse a très peu changé, d’après ce que l’on en a vu sur les murs des temples et tombes de certains pharaons égyptiens. D’ailleurs, Anubis le dieu de la mort, est représenté sous une forme similaire au lévrier. Les lévriers en Égypte étaient les chiens des rois et pharaons.
Plus proche de nous, les lévriers furent considérés de la même façon dans la haute société britannique où ils devinrent symbole de statut social. L’histoire des lévriers espagnols débute avec les Celtes gaulois (le nom « Galgo » provient de Gallicus Canis, soit le chien gaulois), lévriers mentionnés dans des écrits romains datant du premier siècle après J.-C.
Le lévrier ou galgo était si respecté que sa possession fut interdite aux classes non aristocratiques, en Espagne et en Angleterre… Et, nous dit Gary Tinterow, conservateur de l’art moderne au Métropolitan Museum of Art, à New York : le lévrier est la seule race de chien qui apparaît invariablement dans l’histoire de l’art depuis les 5000 dernières années…
Pourquoi un lévrier sur ce tombeau royal breton, et pas une hermine ?
Une légende raconte qu’une vieille femme en détresse fut secouru par le Duc Jean III de Bretagne (1286-1341). Pour le remercier, elle lui offrit un magnifique lévrier blanc du nom de Yoland en lui précisant qu’il « n’appartiendra jamais qu’au duc de Bretagne et à lui seul ».
Après la mort du Duc de Bretagne Jean III, le duché revient à Charles de Blois (1319-1364) mari de Jeanne de Penthièvre la boiteuse, fille du défunt Jean III. Ce règne sera amputé par la Guerre de Succession de Bretagne avec le Comte de Montfort (frère de Jean III) qui se terminera lors de la bataille d’Auray / An Alré, le 29 septembre 1364, part la mort de Charles de Blois. Le Comte de Montfort devenant de fait Duc de Bretagne sous le nom de Jean IV.
La chronique de Pierre le Baud relative à cette bataille, raconte comment le lévrier Yoland aurait changé de camp avant l’engagement des combats, pour se mettre aux pieds du Comte de Montfort…
Nantes / Naoned, château des Ducs de Bretagne
Après le décès du Duc de Bretagne François II en 1488, la Duchesse Anne de Bretagne décide d’agrandir la demeure et fait sculpter son blason sur la tour. Ce dernier représente deux lévriers soutenant l’écu de Bretagne et orné de la couronne ducale. Son second mariage avec Louis XII, est l’occasion pour Anne de Bretagne de rehausser le Grand Logis en symbolisant sur la pierre son couple royal. Louis XII est représenté comme toujours par un porc-épic et Anne de Bretagne…par un lévrier.
Sur le tombeau de Nantes / Naoned, le lévrier, orienté à l’opposé du lion, est allongé aux pieds de la Duchesse Marguerite de Foix. À son collier orné d’hermine est attaché l’Ordre de la Cordelière, créé par Anne de Bretagne après la mort de ses parents.
Il présente entre ses pattes avant les armoiries mi-parti de la Bretagne (partie gauche) et de Foix-Béarn-Navarre (partie droite), armes héritées de son père Gaston IV de Foix-Béarn et de sa mère Éléonore de Navarre.
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Fulcanelli termine son deuxième livre, Les Demeures Philosophales, par l’examen des quatre gardes du corps du tombeau du Duc de Bretagne François II sculptés par Michel Colombe, qui ne sont autres que les quatre vertus cardinales.
Il leur consacre un très long chapitre qui représente peut-être sa pensée la plus aboutie en matière de symbolisme alchimique.
Les vertus théologales sont au nombre de trois : la Foi, l’Espérance et la Charité qui sont données par Dieu qui fait qu’elles sont d’ordre divin et surnaturel. On peut imaginer que Michel Colombe les a représentées dans les trois anges qui tiennent et soulèvent les coussins sur lesquels reposent les têtes couronnées du duc et de la duchesse. Tout comme Raphaël représentera ces trois vertus par des anges en 1511 au palais du Vatican.
Les vertus cardinales sont au nombre de quatre : Tempérance, Justice, Prudence et Force.
Elles sont d’ordre humain, l’individu devant trouver en lui-même la force d’accomplir son devoir. Ces mêmes vertus cardinales se retrouvent dans le jeu de Tarot.
En Bretagne nous les retrouvons sculptées à l’église Saint-Derrien (1683) dans la commune de Kommanna, où elle encadre le baptistère constitué d’un bassin de pierre surplombé d’un dais de bois.
Les vertus sont donc au nombre de sept, tout comme les éléments de l’alchimie spirituelle visant à la transformation de l’être : la Terre, l’Eau, l’Air, le Feu, le Soulphre, le Mercure et le Scel…
Les principes du chemin proposé par l’alchimie étaient déjà soulignés chez les philosophes grecs :
– Je sais que je ne sais rien : parole de Socrate retranscrite par Platon dans son apologie de Socrate.
– Connais-toi toi-même : gravé au fronton du temple de Delphes.
– Rien de trop : gravé au fronton du temple de Delphes.
Se connaître soi-même et savoir qu’on ne sait que peu de choses sinon rien, nous invitant à remettre notre égo à sa juste place, celle de serviteur de l’âme et de l’âme du monde qui recèle toutes les âmes. Ceci de traduisant dans les faits par l’acceptation d’être anonyme et s’effacer derrière la grandeur du but recherché…
Le règne de l’hubris et de la démesure dans le monde dans lequel nous vivons et auquel nous participons, nous invite à porter le premier de nos regards sur la Tempérance.
La tempérance
La Tempérance est munie en sa main droite d’un mors à cheval, symbole d’une conduite raisonnée et maîtrisée de sa vie, « Qui veut aller loin ménage sa monture. » nous dit le vieil adage. Et, qui veut aller loin doit aussi dompter le cheval sauvage en débourrage. C’est Montaigne qui méditait à cheval et expérimenta une chute sévère, dans ses Règles pour l’esprit, il invite à dompter le cheval échappé (le cheval qui a échappé à son maître).
En sa main gauche la Tempérance tient une horloge, symbole du temps qu’il faut pour toute chose et qu’il faut savoir respecter, ainsi que du temps qui atténue les passions. « Il y a un temps pour tout. » Elle symbolise également la mesure du temps qu’il ne faut pas gaspiller en vanités, mesure en tout pour éviter l’excès. Elle rappelle que le prince doit rechercher le juste milieu, l’équilibre. Son habit presque monacal exprime le refus des tentations du monde et de la chair qui mènent justement à l’excès.
Cette représentation de la Tempérance est différente des images habituelles qui, comme celle de l’arcane du Tarot la Tempérance, nous montre une femme versant un liquide d’un vase à l’autre. Ce geste étant destiné à couper le vin avec de l’eau ainsi qu’il était fait lors des banquets de la Grèce antique.
La tempérance est ce qu’un individu se retient de faire, dans la maitrise de soi. Ceci inclut la retenue de représailles ou de vengeance comme désir de paix et de pardon ; la retenue d’arrogance comme forme d’humilité et de modestie ainsi que la retenue d’excès comme forme de prudence, de calme et de contrôle de soi.
Pour les Grecs (Platon et Aristote notamment), la tempérance ou modération, (autre terme pour traduire le grec énkráteia) est une vertu essentielle, qui vise à contrer un vice qui hantait les Grecs : la démesure.
La justice
La Justice sous les traits de laquelle certains ont cru voir Anne de Bretagne elle-même, porte en sa main gauche un livre, représentant la loi, dont la couverture est illustrée d’une balance, représentant la justice.
En sa main droite, elle tient un glaive pointé vers le ciel, glaive imposant dont le pommeau est orné d’un Soleil rayonnant, et dont la pointe est délicatement recouverte d’un pan de son voile ou péplum, car si habituellement la Justice est représentée les yeux bandés, ici, elle est dévoilée tout comme l’épée qui n’est pas cachée dans son fourreau mais dont la pointe est protégée, semblant dire : « Rendre la justice, mais ne pas détruire la personne ».
Le glaive châtie et la balance pèse la gravité du crime ou le poids des arguments des deux parties. La statue porte une couronne rappelant que le prince exerce le rôle de juge et d’arbitre.
Le mythe grec (repris à bon compte par les Romains) raconte que Zeus/Jupiter, après avoir dévoré Métis/Prudence, se sentant un grand mal de tête, eut recours à Vulcain qui, d’un coup de hache, lui fendit la tête. De son cerveau sortit Athéna/Minerve tout armée. Elle aida son père dans la guerre des Géants où elle se distingua par sa vaillance. Puis, elle eut un différend resté célèbre avec Posséidon / Neptune pour donner son nom à la ville d’Athènes. Les douze grands dieux, choisis pour arbitres, décidèrent que celui des deux qui produirait la chose la plus utile à la ville lui donnerait son nom. Poséidon/Neptune, d’un coup de trident, fit sortir de terre un cheval, Athéna / Minerve en fit sortir un olivier, ce qui lui assura la victoire et depuis la ville d’Athène porte son nom.
Dans les antiquités grecques et romaines, Athéna / Minerve, était la déesse personnifiant la sagesse, la Connaissance des choses, la Pensée créatrice et divine matérialisée en toute chose et latente en chacun de nous, une Pensée qui cimente la cité de l’utilité que chacun lui apporte.
Le péplum était alors le manteau, ou voile brodé, à l’usage des femmes ; et on promenait en grande pompe, à Athènes, le péplum géant sur lequel avait été brodée la dispute entre Athéna/Minerve et Poséidon/Neptune.
Ce voile, ce péplum porté par la statue de la Justice fait écho ici à la puissance d’investigation et de pénétration de l’épée jusqu’au dévoilement de l’intime complexité des choses et des êtres.
Le glaive solaire évoque l’animation, le rythme, le mouvement cyclique qui président à toute évolution et à toute transformation.
La balance nous rappelle l’utilité qui doit présider à toute décision juste afin de préserver l’équilibre du monde entre toutes ses parties. Elle vient nous dire selon Fulcanelli, que « la proportion de matière assimilable dépend directement de l’énergie métabolique propre, reste toujours variable, et ne saurait s’évaluer. Tout l’ouvrage est donc soumis aux qualités naturelles ou acquises, tant de l’agent que du sujet initial. » ce qui nous ramène aux débuts de mes propos sur la Justice dont nous savons maintenant qu’elle est la fille de la Prudence et de Jupiter.
Le livre fermé sur lequel s’inscrit la balance fait écho au livre des lois cosmiques, divines et humaines qui sont reliées et dont il nous appartient de reconnaître l’interdépendance afin de préserver l’ordre du monde qui lui-même ouvrira les portes de l’harmonie du monde. Le livre est fermé pour nous éviter d’être piégés par la lettre et pour nous obliger à en extraire l’esprit et à en comprendre le sens, la signification secrète.
La prudence
La Prudences tient en main droite un compas, symbole de la mesure de tout acte, et en main gauche un miroir reflet de toute pensée et capteur des conseils de sagesse de l’ancien, figuré en double visage.
Le mot prudence nous vient du latin prudentia qui veut dire : prévoyance, prévision, compétence, sagesse ; et du grec phronêsis qui désigne l’acte de penser, de réfléchir. Platon fait dériver la phronêsis, en tant que pénétration éthique, de la contemplation de normes et lois éternelles, et en dernier ressort, du Bien.
Dans le dialogue du Phédon, pour Platon la phronesis, est l’acte propre de l’âme : la pensée, et l’exercice qui la constitue et la conditionne à atteindre la sagesse par la connaissance. Dans d’autres dialogues, Platon écrit que Socrate affirmait qu’avoir la phronesis signifiait être vertueux. En pensant avec la phronesis, la personne a de la vertu. Par conséquent, toute vertu est une forme de phronesis. Être bon, c’est être une personne intelligente ou raisonnable avec des pensées intelligentes ou raisonnables. La phronesis permet à une personne d’avoir une force morale ou éthique. Dans le Ménon, Socrate explique que la phronesis, qualité synonyme de compréhension morale, est l’attribut le plus important à apprendre, même s’il ne peut pas être enseigné ; la phronesis s’acquiert en développant notre compréhension de nous-même. Elle est le retour à soi, selon le besoin d’intériorité prôné par Socrate, condition nécessaire à la réminiscence.
Le double visage de la Prudence.
Ce double visage figure d’un côté un vieillard qui connaît le passé, et de l’autre une jeune femme. La prévoyance ne peut se passer de l’expérience. Ces deux visages font penser bien sûr à Janus, le dieu bifrons des passages. Mais, le monde patriarcal des Romains ne représente pas la parèdre de Janus, son indissociable déesse Carna.
Janus est célébré le premier janvier, ouvre l’année et les jours qui s’allongent et laisse derrière lui les ténèbres hivernales ; il est associé à Saturne, autre dieu du temps qui passe (les Saturnales fêtées lors du solstice d’hiver dédiées à Saturne, et précèdent de peu le premier janvier, fête du dieu Janus).
Carna elle, est célébrée le premier juin, ouvre la seconde partie de l’année et les jours qui raccourcissent. Ovides, dans ses fastes, décrit ainsi la jeune et belle déesse Carna : « Le premier jour du mois de juin t’est consacré, Carna, déesse des gonds. Elle ouvre ce qui est fermé, elle ferme ce qui est ouvert ; tels sont les attributs de sa divinité. On la prenait pour la sœur de Phébus, et, si quelque jeune amant lui adressait des paroles passionnées, elle répondait aussitôt : « Il y a trop de jour ici, et le jour est pour beaucoup dans la pudeur ; conduisez-moi vers quelque grotte retirée, je vous suivrai. » Janus la voit ; à sa vue, il s’enflamme ; il essaie par de douces paroles d’attendrir cette inflexible beauté : la nymphe, suivant sa coutume, le prie de trouver un asile solitaire ; elle feint de le suivre, de l’accompagner ; mais bientôt le guide est seul ; on vient de l’abandonner. Mais c’est en vain, ô insensée ! Janus ne voit-il pas ce qui se passe derrière lui ? Il sait déjà où tu es cachée. C’est en vain, te dis-je, car sous la roche où tu te réfugies, il te serre dans ses bras, il te possède et s’écrie : « Pour prix de tes faveurs, pour prix de ta virginité perdue, je soumets les gonds à ton pouvoir. » Et à ces mots, il lui donne une branche d’aubépine, pour écarter des portes toute funeste aventure.
A cette façon romaine et binaire d’envisager le temps répond la vision ternaire des Celtes, visible dans les dieux tricéphales ou autres triades de divinités, entre passé, présent et avenir ; entre trois temps de l’existence encadrée de la naissance et de la mort ; entre un dieu père, une déesse mère, et un jeune dieu… Mais aussi, la vision ternaire des alchimistes selon laquelle, des noces alchimiques entre « un vieillard sain et vigoureux, le soufre, et une belle et jeune vierge, le mercure » devait naître un « enfant métallique » le rebis ou l’androgyne. Symbolisme humain à ne pas prendre littéralement bien sûr !
Tout comme Arthémisie, reine d’Halicarnasse était importante aux yeux de la reine Anne, la place de la femme, en altérité avec l’homme, était rendue visible dans cette statue de la Prudence.
Le miroir
Ce miroir convexe est également celui de la vérité dans la réflexion : la Prudence y voit l’image de ses faiblesses et se connaissant elle-même, peut mieux corriger et rectifier sa conduite. Au-delà de cette lecture, notons que le miroir est convexe, donnant à ce dernier la propriété de réduire les formes tout en conservant leurs proportions respectives. Mais pourquoi ? Pour les alchimistes, le Miroir de l’Art est celui dans lequel l’être humain voit sa véritable nature qui est celle de notre petit monde de sapience dans notre microcosme, ce minuscule reflet lui-même renfermant l’immensité de l’univers. Erudite et polyglotte en son temps, peut-on imaginer que la Reine Anne ait eu accès à l’œuvre œuvre de la mystique et poétesse chrétienne Marguerite Porete qui, en 1295, traite du fonctionnement de l’Amour divin dans Le Miroir des âmes simples anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d’amour ?
J’ose l’hypothèse que le miroir de la Prudence, en tant que Miroir de l’Âme, serait aussi une évocation et une reconnaissance pudiques de Marguerite Porete ? Cette dernière fut jugée hérétique et brûlée à Paris en 1310 avec son propre livre, sur ordre de l’Inquisition avec le plein aval de Philippe IV le Bel, la semaine même où furent brûlés vifs les premiers Templiers…
Les vêtements : la simplicité avec laquelle la jeune femme est vêtue (cape, ceinture en corde sur une jupe longue, simple voile noué sur la poitrine : le tout respire l’humilité monacale) renforce le sentiment de sagesse.
Le compas :
La Prudence tient un compas de géomètre dans sa main droite Le compas est considéré comme l’emblème des sciences exactes et de la rigueur mathématique, ainsi qu’un symbole de prudence, de justice, de tempérance et de véracité. Le mot compas nous vient du latin compassare, soit mesurer avec le pas. Le compas à la particularité de pouvoir se régler et ainsi de s’adapter aux besoins de chacun et du moment. A la différence de la règle ou de l’équerre qui sont fixes et ne peuvent que reproduire leur forme, le compas est un instrument de liberté et de rigueur pour l’esprit. Le plus rudimentaire des compas tracera toujours un cercle parfait, à la dimension et à l’emplacement choisi par son utilisateur. Le compas évoque le domaine de l’esprit, à la différence de l’équerre qui évoque le monde de la matière. Le compas mouvant et dynamique, permet de créer et de concevoir alors que l’équerre statique est avant tout un outil de contrôle. L’Équerre et le Compas symbolisent ainsi l’état de l’homme comme une âme éternelle se manifestant dans un corps temporaire. Le cercle est notre nature spirituelle imperceptible, notre centre qui englobe le cercle de notre périphérie, notre nature humaine. Dans la poésie et le symbolisme de la renaissance, le cercle était un symbole de la perfection et de l’âme humaine.
Le serpent
Aux pieds de la Prudence, sous le compas, se trouve un serpent, rappelant les paroles du Christ « Soyez prudents comme des serpents » ou « Soyez rusés comme des serpents » qui redonne à ce reptile ses lettres de noblesse et rappelant sa double nature. Il représente avant que l’Église n’en fasse l’emblème du mal, de bonnes choses comme la connaissance, la guérison, un guide spirituel, la terre, l’eau, la renaissance, la transmutation, la régénération et l’immortalité, …
En bonne chrétienne, et en femme érudite, Anne n’ignorait pas que dans l’Évangile selon Jean, Jésus se compare au serpent dressé par Moïse sur la colline dans le désert : « Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut, de même, que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle ». Elle savait aussi probablement que les pères de l’Église ont vu dans le Christ, « Serpens, Christus, proper sapientiam », le serpent crucifié en rappel du serpent d’airain élevé par Moïse pour la guérison des Hébreux mordus par les serpents. Irénée de Lyon mentionne les Ophites, une secte gnostique : « Certains disent que c’est la Sagesse elle-même qui fut le Serpent : c’est pour cette raison que celui-ci s’est dressé contre l’Auteur d’Adam et a donné aux hommes la gnose ; c’est aussi pour cela qu’il est dit que le serpent est le plus rusé de toutes les créatures. Il n’est pas jusqu’à la place de nos intestins, à travers lesquels s’achemine la nourriture, et jusqu’à leur configuration, qui ne ferait voir, cachée en nous, la substance génératrice de vie à forme de serpent. »
La force
La Force dont il est ici question n’est pas la force physique mais la force d’âme (Fortitudo en latin), autrement dit, le Courage. Posséder la vertu de force d’âme, c’est être capable de surmonter la plus grande des faiblesses humaines, la peur. L’homme est par nature enclin à craindre le danger, les épreuves, la souffrance et la mort. Être fort, c’est être capable de s’affirmer et de rester fidèle à ses valeurs, malgré cette peur.
La Force est représentée, sur le tombeau de Nantes / Naoned, en armure avec un casque guerrier, car il s’agit d’une vertu virile. Dans l’iconographie, cette vertu est souvent représentée appuyée contre une colonne ou une tour. Ici elle extirpe le dragon de la tour crénelée (un donjon ? La Maison Dieu du tarot ?) où il s’est retranché et symbolise donc la force morale qui triomphe de l’immoralité et de la tentation. L’expression de son visage reflète une certaine douleur rentrée, comme si l’effort d’arracher le dragon (le Mal) de la tour (le Bien, le for intérieur) ne se faisait pas sans combat intérieur. Elle rappelle le rôle du chevalier chrétien dans la défense de la foi. Elle est coiffée de la dépouille d’un lion dont on aperçoit le mufle, rappelant le premier travail d’Héraclès contre le lion de Némée.
La tour et le dragon.
Cette tour fait penser à celle de la Maison-Dieu du Tarot qui représente l’humilité nécessaire et salvatrice, l’ego anéanti par l’épreuve, la destruction des masques et autres montages mensongers. C’est aussi la tour d’ivoire de nos certitudes et autres croyances erronées. Pour las alchimistes, « nous voyons en réalité une tour dont le toit se soulève sans difficulté, comme un couvercle. Il n’est donc pas question ici de tour foudroyée. Cette tour est tout simplement l’athanor ou four des alchymistes au moment où se produit ce qu’on appelle la première conjonction qui est le don de Dieu. » Dans la statue de la Force, la tour est fermée de partout et semble s’être ouverte de l’intérieur, comme un œuf au moment de l’éclosion. De la brèche, un jeune dragon est sorti, saisi au cou par la Force.
Pétris d’images chrétiennes depuis plus de mille ans, le dragon nous apparaît essentiellement comme un gardien sans pitié ou comme un symbole du mal et du démon. Il est le gardien des trésors cachés, et comme tel, l’adversaire qui doit être vaincu pour y avoir accès. C’est en Occident, le gardien de la Toison d’Or et du Jardin des Hespérides ; et la légende de Siegfried confirme que le trésor gardé par le dragon n’est autre que l’immortalité.
C’est, pour les alchimistes, la neutralisation des tendances adverses, du soufre et du mercure alchimiques ; alors que la nature latente, non développée, est figurée par l’Ourobouros, le dragon qui se mord la queue.
Pour les Bretons, le dragon rouge est l’emblème du pays de Galles. Le Mabinogi de Lludd et Llewelys raconte la lutte du dragon rouge et du dragon blanc, ce dernier symbolisant les Saxons envahisseurs. Finalement, les deux dragons, ivres d’hydromel sont enterrés au centre de l’île de Bretagne, à Oxford, dans un coffre de pierre. L’île ne devait subir aucune invasion tant qu’ils n’auraient pas été découverts. Le dragon enfermé est le symbole des forces cachées et contenues : les deux faces d’un être voilé. Le dragon blanc porte les couleurs livides de la mort, le dragon rouge celles de la colère et de la violence. Les deux dragons enterrés ensemble signifient la fusion de leur destin. La colère est tombée, mais les dragons pourraient ressurgir ensemble. Ils demeurent comme une menace, une puissance virtuelle, prompte à se lancer contre tout nouvel envahisseur.
Bien plus tard, le poète Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un jeune poète, dira : « Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions. » Ces propos semblent convenir à l’ultime description que nous pourrions faire aujourd’hui de ce dragon libéré de la tour-prison par la main ferme et secourable de la Force.
Le colimaçon et les tresses.
Le casque porté par la Force est composé de deux spirales de colimaçon surmontées de la partie supérieure de la tête du lion dépouillé de sa crinière et de sa gueule, le tout laissant deviner les tresses de la chevelure contenue.
Le colimaçon, véritable spirale, symbolise dans ses divines proportion du nombre d’or, les principes de pérennité en mouvement, d’évolution circulaire et ascensionnelle. Cette statue de la Force nous montre la permanence de l’Être dans la mobilité d’un monde éphémère…
« Le pélerin connait aussi l’adage des bâtisseurs : ce que je fais me fait. Ainsi de la maison intérieure que l’on passe toute une vie à édifier, consolider, agrandir et embellir. » nous informe Jacqueline Kelen dans Le bréviaire du colimaçon, un livre sur la vie spirituelle. L’auteure nous interpelle sur la vie intérieure, trop négligée à notre époque en raison de l’impérialisme de la société de consommation et nous invite à vivre la « sobriété en tout ». Pour ce faire, elle utilise le symbole du colimaçon qui va lentement, se contente de peu et ne cherche pas la gloire. Il emporte partout avec lui sa « cellule intérieure ». Le colimaçon nous adresse un message, celui de comprendre l’urgence de ne pas vivre à la superficie de soi-même pour laisser s’épanouir « l’espace du dedans » dont parle Henri Michaux.
Selon Kafka, « Il y a deux péchés capitaux humains dont tous les autres dérivent : l’impatience et la paresse. Ils ont été chassés du Paradis à cause de leur impatience, ils n’y entrent pas à cause de leur paresse. » La Force vient nous rappeler la nécessité de son usage.
Les tresses, trois mèches de cheveux savamment entremêlées, quant à elles symbolisent la force du rayonnement solaire. Dans un mouvement ternaire, pensée, énergie sexuelle et force sont canalisées et métamorphosées. La tresse évoque aussi l’épi de blé, prolongement de la colonne vertébrale. Elle est alors symbole de fertilité, de beauté et de sagesse.
Le mufle du lion : il fait écho au premier des douze travaux d’Hercule, celui du lion de Némée ; premier car il est la clef de voûte de l’édifice de l’ensemble des travaux. Il représente Héraklès / Hercule aux yeux de tous : C’est la Force, la Puissance, le Courage. Le travail demandé à Hercule est de trouver le lion qui ravage alors le pays de Némée. Le symbolisme du lion, roi des animaux, évoque ici le point culminant de la personnalité égotique de l’homme – le « petit moi égotique » qui ramène tout à lui-même – issue de l’involution dans l’ignorance et du sentiment d’être séparé autrement dit, « l’égo », le piège de s’identifier à lui et la croyance dans le fait que l’âme serait séparée de la personne. Symbole de puissance, le lion est la volonté de puissance de l’égo de son propre droit et non du droit du Divin. Pour le vaincre, Héraklès est dotée d’une massue pourtant considérée comme un instrument archaïque au temps des Grecs. Son utilisation par Héraklès signifierait alors que le travail sur soi ne nécessite pas des outils sophistiqués. La matière du travail, ce sont nos peurs, nos replis, nos mensonges, nos insincérités et toutes choses qui se sont inscrites dans nos mémoires émotives et corporelles et qu’il faut prendre à bras le corps. Par contre, le lion une fois vaincu, seule sa peau est conservée car, l’égo ramené à sa juste place est nécessaire à la poursuite des expériences humaines.
Le lion est également l’animal totémique de Samson, le chef des sept saints fondateurs de Bretagne, patron de Dol, siège de l’archevêché de Bretagne. Il se fête le 28 juillet, tout prêt donc de la fête de Lugnasad. Par le système des « armes parlantes » bien connu en héraldique, le lion (leon en breton) se retrouve bien entendu sur les armoiries du Léon (d’or au lion morné de sable, soit : un lion noir sans langue ni griffes sur un fond jaune), cette partie historique du nord-ouest de la Bretagne autour de Saint-Pol-De-Léon / Kastell Paol dont la cathédrale est dédiée à un autre des sept saints fondateurs de la Bretagne.
Le lion apparaît également dans la symbolique chrétienne où il souligne chez saint Marc la puissance et la dignité royale du Christ. Le tétramorphe a été emprunté aux figures des Quatre Vivants en Égypte et à Babylone en Mésopotamie, – encore appelés Quatre Vents ou Quatre Gardiens soit quatre hypostases du créateur, et il apparaît dans l’arcane XXI du Tarot, Le Monde, une carte de renaissance dont la mandorle est aussi un symbole très utilisé dans l’iconographie chrétienne. À Babylone, ils figuraient les quatre points cardinaux (Lion-Nord, Serpent-Est, Aigle-Sud et Taureau-Ouest) et en astrologie, ils symbolisent les quatre signes fixes du zodiaque. Les premiers chrétiens s’approprièrent ces symboles, les associant chacun à un évangéliste, changeant alors complètement leur signification à partir du Vème siècle. Ainsi, le Lion est l’évangéliste Marc, associé au Nord dont nous savons qu’il ne faut pas le perdre si nous ne voulons pas nous égarer. Il est écrit dans Isaïe le prophète : « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur… » Or, pour l’Eglise, la voix qui crie dans le désert est celle d’un lion, symbole de l’Évangile selon Marc ; sachant que selon l’Evangile de Luc, le lion est le symbole du cœur et des passions de celui-ci.
Nous voyons dans le casque porté par la Force, à quel point le lion est dominé et ramené au même niveau que le colimaçon nous rappelant qu’à notre royaume intérieur fera écho notre royauté ontologique en tant qu’enfants divins, nés du Ciel et de la Terre…
Concernant le Force, je laisserai le dernier mot à l’Epistémon de Rabelais : « Que tour de fortification ou de château fort c’est autant dire que tour de force. Et, tour de force réclame courage, sapience et puissance. Courage lorsque le danger se présente ; sapience drue connaissance y est requise ; et puissance car si personne ne le peut, ne rien entreprendre tu dois. » Ainsi, la Pierre des philosophe, le but à atteindre, est le dragon enclos en sa forteresse ; et son extraction fut toujours regardée comme un véritable tour de force.
Conclusion
Les analyses et interprétations auxquelles se prête le tombeau du duc François II de Bretagne et de son épouse Marguerite de Foix, parents de la reine Anne de Bretagne, sont si nombreuses et renouvelées dans leurs potentiels à chaque génération, que celle que je vous ai proposée est bien loin d’être exhaustive et encore moins une vérité gravée dans le marbre. Le message se décode de multiples façons et s’il avait une clé, elle ne nous a pas été livrée avec le monument. Aussi, chacun et chacune reprendra le travail pour découvrir avant toute choses en soi les places et natures des quatre vertus, sachant qu’une vertu est tout d’abord un pouvoir, la propriété particulière d’une chose, une qualité portée à un degré supérieur ; le mérite, la valeur, les qualités et la vigueur morale, l’énergie, la bravoure, le courage et la vaillance recélés en chacun et chacune de nous.
Pour la petite histoire, en août 1834, l’écrivain Victor Hugo avait séjourné à Nantes / Naoned, la ville natale de sa mère, Sophie Trébuchet. Il y rejoignait sa maîtresse Juliette Drouet, et partageait ses impressions de voyage :
« J’ai vu à Nantes beaucoup de vieilles belles maisons, la cathédrale, édifice tronqué de toutes époques, qui contient une admirable chose, le tombeau de François II. Parles-en à ton père. Le château de Nantes a dû être magnifique. Ce qui en reste est d’une grande beauté, bien féodale et bien sévère. Je suis monté au moment où le soleil se couchait sur le clocher de la cathédrale et de là j’ai vu toute la ville, les quatre bras de la Loire, l’Erdre dont les bords sont charmants, le canal, tous les vieux toits, et la prairie de Mauves. C’est beau… »
Sources bibliographiques et iconographiques
– Jacques Santrot : A Nantes, le tombeau des parents d’Anne de Bretagne, le duc François II et Marguerite de Foix, 2017
– BNF/Gallica : Tombeau de François II, duc de Bretagne, et de Marguerite de Foix, sa seconde femme – Estampe du graveur Nicolas Pitau (1670-1724).
– Wikipédia : fiche Tombeau de François II de Bretagne et fiche Anne de Bretagne
– Thomas Grison : Le tombeau des ducs de Bretagne et son symbolisme : cathédrale de Nantes, 2015
– Sophie De Gourcy : Le tombeau des ducs de Bretagne, un miroir des princes sculpté – Pont entre deux Mondes. De la terre au ciel, du gothique à la Renaissance, du duché au royaume, 2015
– Sophie De Gourcy : Le tombeau des ducs de Bretagne : vers un idéal de Justice et de Bon Gouvernement – article publié dans Association Bretonne, 2015
– Jean-Yves Copy : Du nouveau sur la couronne ducale bretonne : le témoignage des tombeaux – In Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1982
– Kathleen Wilson-Chevalier et Eugénie Pascal : Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2007
– Camille Thomas : Les animaux dans l’héraldique de Bretagne – thèse, 2008
– Blandine Hirschauer : Le lévrier, symbole breton ?
– Dominique de Font-Réaulx : Le moulage du Tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix au musée de Sculpture comparée, 1999
– Fulcanelli : Les demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré et l’ésotérisme du grand Œuvre, 3ème édition 1964
– Photo du tombeau du Duc de Bretagne François II : Loic LLH
1 commentaire
La bibliographie impressionne, mais déroute vite. Les références « classiques » sont oblitérées au profit des références ésotériques. Et faut-il y accéder ! La thèse vétérinaire de Camille Thomas n’est pas à la B.M. de Rennes, ni à la B.U. de Rennes 2, ni au Crbc à Brest. Elle figure seulement à la Bib. de documentation du Musée de Bretagne à Rennes. Par ailleurs, la signataire de cet essai d’interprétation ignore résolument les statuaires et leur liberté de création ou d’interprétation.