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Le Crown Estate, c’est quoi exactement ?
Le Crown Estate est un immense portefeuille d’actifs fonciers, immobiliers et maritimes appartenant à la Couronne britannique. Mais attention : il ne s’agit pas d’une propriété privée du roi d’Angleterre. Officiellement, il s’agit d’un bien public, géré par une société indépendante, au bénéfice du Trésor britannique. En réalité, c’est surtout un instrument économique et politique permettant à l’État central anglais de prélever des milliards de livres sur le dos des nations périphériques : Écosse / Alba, Pays de Galles / Cymru, Cornouailles / Kernow, et dans une moindre mesure le nord de l’Irlande …
Un peu d’histoire
L’origine du Crown Estate remonte à 1760, lorsque le roi anglais George III accepte de céder les revenus de ses terres au Parlement britannique en échange d’une rente annuelle, aujourd’hui appelée le Sovereign Grant. Depuis, ce domaine s’est transformé en colosse foncier : terres agricoles, forêts, centres commerciaux, immeubles de prestige à Londres… mais surtout, fonds marins jusqu’à 12 milles nautiques autour du Royaume-Uni.
Et c’est là que le scandale prend de l’ampleur.
Des chiffres qui donnent le vertige
Le Crown Estate est aujourd’hui évalué à plus de 16 milliards de livres sterling. Il génère chaque année environ 500 millions de livres de profits nets. Ces profits sont versés à 100 % au Trésor britannique, sauf une part (actuellement 25 %) reversée à la monarchie pour financer ses activités.
Mais une grande partie de ces richesses provient de l’exploitation des ressources marines en Écosse et au Pays de Galles / Cymru. Notamment les énergies renouvelables offshore (éolien en mer, câblages, droits d’exploitation sous-marine, etc.). Le Crown Estate détient les droits sur ces fonds marins, et encaisse des royalties gigantesques sur les projets d’éoliennes géantes, de câbles de données ou encore de forages.
En Écosse : un précédent qui montre la voie
Depuis 2017, l’Écosse a obtenu le transfert du Crown Estate sur son territoire. Il est désormais géré par une structure distincte : le Crown Estate Scotland.
Résultat ? Les revenus restent à Édimbourg /Dùn Èideann, au service des communautés locales et des politiques publiques écossaises. En 2023-2024, cette entité a généré plus de 113 millions de livres, dont une grande partie provient de la location de zones marines pour les projets d’énergies renouvelables.
Mais Londres refuse d’aller plus loin.
Comme l’a dénoncé récemment le journal The Scotsman, le gouvernement britannique a interdit à Crown Estate Scotland d’emprunter de l’argent pour investir, alors que l’Angleterre, elle, s’autorise cette flexibilité. Une fois encore, le pouvoir central impose ses limites à la souveraineté écossaise. L’indépendantiste Stephen Flynn (SNP) a dénoncé cette décision comme une nouvelle preuve du mépris de Westminster envers les aspirations écossaises.

Au Pays de Galles / Cymru : une colère qui monte
Contrairement à l’Écosse, le Pays de Galles / Cymru ne contrôle pas son Crown Estate.
Le domaine y est géré depuis Londres, et les profits sont aspirés par le Trésor britannique. Pourtant, les ressources marines galloises sont gigantesques. Selon Nation Cymru, 93 % de la valeur du Crown Estate gallois est liée aux fonds marins, soit plus de 850 millions de livres sterling. Mais la grande majorité des revenus échappe au Pays de Galles.

En mars 2025, Nation Cymru a rapporté que 15 des 22 autorités locales galloises ont voté pour soutenir la dévolution du Crown Estate. Ces conseils locaux, de Gwynedd à Rhondda en passant par Wrexham, exigent que les ressources de leur pays restent au service des Gallois, et non du Trésor à Londres. Ces motions locales rejoignent les demandes répétées du gouvernement gallois et du parti Plaid Cymru, qui dénoncent un vol organisé par l’État central.

Londres dit non, encore et toujours
Interpellé à plusieurs reprises, le gouvernement britannique a opposé une fin de non-recevoir aux demandes galloises. En décembre 2023, un amendement à la Chambre des communes visant à transférer le Crown Estate au Pays de Galles / Cymru a été massivement rejeté (316 voix contre, 59 pour). Westminster invoque la peur de « fragmenter le marché » et de « créer une instabilité dans le secteur énergétique ». Traduction : Londres veut garder le contrôle sur les profits et ne fait pas confiance aux nations dévolues.
Ce refus brutal a été largement dénoncé par les élus gallois comme une forme moderne de colonisation économique. Car en réalité, ce qui est en jeu, c’est bien la souveraineté économique et énergétique des nations périphériques. Et Londres refuse catégoriquement de la leur accorder.
Un débat qui parle aussi à la Bretagne
En observant cette bataille entre le pouvoir central anglais et les nations celtiques galloise et écossaise, on ne peut s’empêcher de penser à la Bretagne. Si demain la Bretagne retrouvait sa souveraineté politique, qui contrôlerait les fonds marins au large de nos côtes ?
Qui encaisserait les bénéfices des éoliennes flottantes, des câbles transatlantiques ou des futures exploitations marines ? Aujourd’hui, tout est centralisé à Paris.
Et demain, si rien ne change, ce sera toujours l’État français qui siphonnera les profits.
Vers une reconquête du bien commun
L’exemple du Crown Estate révèle une chose essentielle : le combat pour l’autonomie ou l’indépendance ne se joue pas seulement sur des symboles. Il s’agit de pouvoir économique concret, de ressources naturelles, de capacité à investir dans son avenir. Ce n’est pas un hasard si les indépendantistes écossais et gallois font de la reprise du contrôle sur le Crown Estate une priorité.
Comme le rappelle The National en Écosse, c’est en gardant les richesses produites localement que l’on peut développer des infrastructures, financer la transition écologique, et répondre aux besoins des citoyens. À l’inverse, quand les décisions sont prises à Londres, les profits s’envolent… et les peuples restent spectateurs.

L’heure du réveil démocratique
Le Crown Estate est le symbole d’un pouvoir central qui refuse de partager, même ce qui ne lui appartient pas vraiment. En refusant de transférer ce patrimoine aux nations qui le produisent, Westminster expose au grand jour la réalité de son emprise coloniale sur l’Écosse et le Pays de Galles / Cymru.
L’enjeu est désormais clair : ce sont les peuples qui doivent décider de l’usage de leurs ressources.
Et pour cela, il faut rompre avec le centralisme autoritaire de Londres pour l’Écosse, le Pays de Galles, les Cornouailles et le nord de l’Irlande… et sûrement avec celui de Paris pour la Bretagne.
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