A Bouvron, table rase de plus de six siècles d’histoire!
Bouvron, commune rurale du bocage de Haute-Bretagne d’un peu plus de 3 100 âmes, entre Nantes/Naoned et Saint-Nazaire/Sant Nazer, est en passe de voir disparaître une partie du patrimoine bâti de son centre-bourg. La municipalité souhaite démolir une série d’immeubles du XVe et XIXe siècle afin d’y construire un projet de logements et de commerces.
Sommaire
La municipalité de Bouvron entend imposer aux citoyens la destruction de 600 ans de leur histoire commune.
Son intention première consiste à faire table rase, au cœur du bourg, d’un îlot constitué d’un immeuble commercial et résidentiel du début du XIXe siècle, aux composantes architecturales remarquables, et du dernier témoignage de l’édifice médiéval de la commune, le manoir de Boisjourdan, demeure de Pierre Raboceau, secrétaire de deux ducs de Bretagne au XVe siècle. Pour justifier cette intention, la mairie promet l’implantation à cet emplacement, face à l’église, en surplomb de la place centrale, d’un immeuble à étages comportant quelques surfaces commerciales et des logements.
L’association Bouvron Patrimoine a révélé à l’ensemble des citoyens, aux élus locaux en premier lieu, aux administrations, à la Direction Régionale des Affaires Culturelles entre autres, l’existence de cette richesse architecturale et culturelle, du legs de notre histoire qu’elle
constitue. Malgré toutes les sensibilisations et toutes les mobilisations, malgré toutes les propositions de dialogue en provenance des habitants, des experts, des administrations, la municipalité s’est enfermée dans le carcan de sa décision première, une décision induite alors par une méconnaissance de la valeur patrimoniale du site.
De la découverte d’une chambre haute à l’annonce d’une démolition
L’histoire remonte en 2012, ou la mairie décide d’acheter l’îlot, dans le projet de réaménager le centre-bourg. Patrice Maillard, bouvronnais passionné d’histoire locale, est alerté par un conseiller municipal qui vient de découvrir des « pierres sculptées » dans l’un des bâtiments de l’arrière-cour.
Lors d’une visite de l’îlot en juillet 2012, il découvre avec d’autres férus d’histoire, une très ancienne salle à l’étage, une cheminée à manteau droit en granit armoriée en son centre, une grosse poutre et de petites solives supportant une terrasse faite de torchis et de bardeaux de bois, des enduits de torchis et un chaulage sur les murs. L’ensemble était difficile à dater précisément mais ils avaient à faire à un édifice plusieurs fois centenaire.
En 2013, le projet du centre-bourg se précise, l’îlot Datin est voué à la destruction.
Un article est publié dans le journal Ouest-France en septembre 2013 pour informer et médiatiser la découverte faites en juillet 2012. La municipalité ne réagit pas. Des courriers sont adressés aux élus en 2016 et 2017, sans aucune réaction de leur part.
S’engagent alors des recherches plus approfondies afin de mesurer la valeur patrimoniale de la découverte et de la porter à connaissance des élus. Jean-Louis Boistel tailleur de pierre et maître d’œuvre en restauration du patrimoine, Gwyn Meirion-Jones archéologue et professeur émérite de l’université de Reading et Yves Dubost architecte honoraire du patrimoine constatent mutuellement l’origine médiévale de la découverte. « les murs nord et ouest sont visibles et présentent une maçonnerie en appareillage et les choix de pierres de moellons de gabarits et de calibres sont typiques du XIVe siècle » indique Jean-Louis Boistel.
Ils concluent à l’unanimité que la salle à la cheminée armoriée est bien la « chambre haute d’un manoir » dans un état de conservation incroyable.
S’ensuivent dix années d’abandon et de déshérence qui laisse aujourd’hui l’immeuble Datin dans un état disgracieux mais pas dégradé. En effet, la qualité des matériaux utilisés à l’époque pour sa construction ont permis au bâtiment de rester fièrement édifié depuis le XIXe siècle et bien avant.
En 2020, au vue du projet de démolition imminent de l’îlot, l’association Bouvron Patrimoine alerte les services de l’état. La DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) des Pays- de-la-Loire est prévenue et se déplace sur site pour effectuer un état des lieux. Suite à sa visite, elle demande à la municipalité de réaliser des études archéologiques avant toute démolition.
Entre temps, Bouvron Patrimoine réalise une exposition en ligne intitulée « l’îlot Datin au fil des siècles » afin de documenter et de détailler l’histoire de la bâtisse.
C’est l’INRAP (Institut National de Recherche en Archéologie Préventive) qui est missionnée pour réaliser des diagnostics archéologiques entre le 23 avril et le 13 mai 2022 sur la place, ancien emplacement de l’église érigé au XIIe siècle et dans l’immeuble Datin. Le 23 avril 2022,
deux jours avant la venue de l’INRAP, un permis de démolition est affiché sur l’îlot. Le bureau de Bouvron Patrimoine est très étonné de cet affichage d’autant plus que la mairie n’évoquait plus officiellement le projet de démolition.
Détruire 600 ans d’histoire et une architecture vernaculaire
Demeure de Pierre Raboceau, secrétaire du Duc de Bretagne Pierre II et François II (1453-1480), (identifié grâce à ses armoiries sur la cheminée), le manoir ou « château de Boisjourdan » à su traverser les siècles et échapper aux péripéties historiques, notamment aux bombardements américains de 1944, il constitue un exemple rare encore debout aujourd’hui d’une chambre noble médiévale au constructeur connu.
La démolition de l’immeuble Datin constituerait un préjudice important pour la commune au regard des qualités du bâtiment : son histoire, celui d’avoir été la demeure du secrétaire du Duc de Bretagne en autre, sa morphologie, celle d’une architecture néoclassique du XIXe siècle et dont sa volumétrie participe à la structure globale du cœur du bourg de Bouvron depuis tant d’années. L’immeuble est le dernier témoin de plus de 600 ans d’histoire, du XIVe siècle à nos jours, il représente une figure esthétique, symbolique et historique du paysage du centre-bourg de Bouvron. Il forme un noyau bâti central par ses dimensions, sa massivité, son allure trapue et son architecture qui dialogue avec la morphologie des autres bâtiments du centre-bourg de Bouvron. L’îlot constitue un repère indissociable du cœur de bourg, il entretient une relation sensible avec son environnement, il renvoie à l’identité même du territoire de Bouvron, celle d’une commune du bocage de Loire-Atlantique.
Un bourg de campagne, affirmant son caractère, à la vitalité retrouvée
Depuis 200 ans, l’architecture de l’îlot Datin a structuré l’image du bourg de Bouvron. Les investigations récentes – d’abord de citoyens attachés au patrimoine et à la connaissance, ensuite d’archéologues professionnels de l’INRAP – ont révélé une tout autre dimension de l’édifice. Nous pouvons désormais retrouver, au cœur du bourg, une composante significative de son apparence au XVe siècle. De ce fait, s’il est préservé dans toutes ses dimensions et s’il est mis en valeur, l’îlot Datin peut devenir un emblème pour Bouvron, un identifiant du bourg, un facteur différenciant pour la commune.
L’attractivité de la commune est un enjeu essentiel pour Bouvron Patrimoine.
Ce que deviendra la place de l’abbé Corbillé sera déterminant. Un centre « ville » à l’image de ce que certaines communes périphériques des agglomérations sont devenues ? Ou un centre bourg commerçant, vivant, à taille humaine, d’une commune fière de son histoire et de son identité rurale ? Cette deuxième option est le choix de l’association ; elle implique la préservation de notre richesse architecturale et culturelle, une réflexion ouverte quant à sa restauration et à son aménagement, une action vigoureuse pour accroître l’offre commerciale dans ce cadre.
Un état dégradé jamais prouvé
Pour justifier son choix, la mairie met en avant « l’état très dégradé du bâtiment » constaté à l’occasion d’une étude technique. A ce jour, malgré la demande de consultation de cette étude par Bouvron Patrimoine, malgré la promesse des élus de sa mise à disposition, malgré les relances nombreuses de l’association, la municipalité ne l’a toujours pas transmise. Faute de pouvoir consulter cette étude, l’association reste persuadée de la qualité de l’ensemble des bâtiments de l’îlot Datin. Avec 200 ans et 600 ans d’ancienneté, étant donné les techniques constructives de ces époques et la qualité des matériaux utilisés, l’association fait le pari d’un bâti durable, résistant et esthétique.
A cette question, l’association ajoute celle-ci : comment les élus peuvent-ils connaître le coût d’une réhabilitation de l’îlot Datin si ils en on écarté la possibilité dès le départ ?
Quelque soit l’état du bâti, il est impératif de faire estimer une rénovation par un architecte du patrimoine. Le conseil municipal est en droit et en devoir de disposer de toutes les données lui permettant de faire le meilleur choix.
Patrimoine culturel et patrimoine naturel, la même nécessité de les préserver
Ce projet de démolition vient en contradiction avec les projets portés par la municipalité.
Elle se préoccupe de l’environnement, de sa destruction, de ses dérèglements et recherche des solutions pour réduire les conséquences des activités humaines. Ce sont aussi des enjeux qui retiennent l’attention de Bouvron Patrimoine et guident sa démarche. Et, justement, cette destruction projetée du patrimoine de Bouvron pour laisser la place à un immeuble impersonnel se traduira par un triple impact carbone dommageable : celui de la démolition, celui du traitement et du stockage des matériaux et, bien entendu, celui de la reconstruction totale de l’îlot Datin.
Pour rappel, l’émission carbone de la construction d’un bâtiment collectif comparable à votre projet représente, sur cinquante ans, environ 1500 Kg de CO2/m2 alors que, dans la cas d’une réhabilitation, elle se limite à seulement 800 Kg de CO2/m2. Dans un contexte de raréfaction des ressources, de nécessaire sobriété énergétique, de réchauffement climatique, démolir un édifice, traiter et stocker les matériaux, puis reconstruire à neuf est une incohérence évidente, une posture en contradiction totale avec le bon sens d’une préoccupation écologique.
Face aux préoccupations environnementales actuelles, à l’économie des ressources ; valoriser et exploiter l’existant fait sens. De par sa situation centrale, son passé historique, son implantation qui dialogue depuis plusieurs siècles avec le cœur de bourg, ses qualités urbaines, sa capacité d’adaptation à accueillir de nouveaux usages et de nouvelles activités, l’îlot possède toutes les qualités et de nombreux atouts nécessaires à un projet de réhabilitation, donnant ainsi une seconde vie au lieu, un nouveau souffle au bourg de Bouvron en prenant soin de l’histoire locale. Cette bâtisse et ses singularités historiques, forment un potentiel certain qui renforcerait l’attractivité et le caractère de la commune.
La loi ZAN, faux prétexte pour démolir
Pour tenter de justifier son projet de destruction, la municipalité vient d’avancer de façon opportuniste, l’argument de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), une démarche qui nous invite à réduire de 50 % le rythme de consommation des sols naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030.
Cependant, l’objectif de la loi ZAN n’est pas de démolir pour reconstruire, mais de mieux construire. Mieux construire en limitant l’impact sur l’environnement, donc, le contraire du projet actuel de la municipalité. Ce que la loi ZAN identifie comme étant d’une urbanisation prioritaire, ce sont les « dents creuses » et les espaces vacants non végétalisés dans les bourgs. L’îlot Datin n’est pas une « dent creuse ». C’est un ensemble de bâtiments où, en faisant preuve de créativité, on peut concevoir des surfaces de vente et des appartements actualisés, un lieu attractif pour de nouveaux commerçants et de jeunes Bouvronnais. C’était l’usage projeté par une municipalité précédente lorsque, en 2012, elle décida de l’acquérir.
Alors, la commune est-elle dépourvue de ces espaces vacants pouvant répondre à la logique de la loi ZAN comme votre projet le laisse supposer ? Non, bien entendu. En centre bourg, les périmètres adaptés à la construction d’un habitat collectif ou semi-collectif ne manquent pas.
Pourquoi ne pas étudier dès maintenant une programmation de logements à l’emplacement – vacant depuis de nombreuses années – de l’ancienne salle de cinéma Sainte-Thérèse (parcelle n° 1224, section cadastrale G, une surface de 1645 m2) ? Pourquoi ne pas étudier également une programmation de logements sur les terrains vacants dans le centre-bourg derrière la Minoterie et la minothèque (parcelles n° 67 et 68, section cadastrale G, une surface de plus de 3 000 m2) ?
Mardi 17 janvier 2023, lors des vœux aux habitants, le maire de Bouvron à officiellement annoncé les travaux de démolitions d’une partie du centre bourg pour le printemps 2023.
Lundi 23 janvier, l’association Bouvron Patrimoine a alors renouvelé ses inquiétudes, ses motivations et ses attentes dans un courrier adressé aux élus de Bouvron avec en copie la Ministre de la culture, le Ministre de l’écologie et les politiques régionaux, départementaux et locaux. L’association à également renouvelé sa demande de communication des diagnostics de l’îlot Datin (études architecturales et structurelles), ainsi que la totalité de l’étude commandée auprès d’un écologue (faisant apparaître la présence d’espèces protégées, entre autres).
L’association à conclue en souhaitant qu’un débat public se rapportant à ce courrier figure à l’ordre du jour du conseil municipal organisé du 15 février 2023.
L’association est maintenant dans l’attente d’une réponse de la mairie mais une chose est sure, Bouvron Patrimoine, les habitants et les associations locales de sauvegarde du patrimoine s’impliqueront corps et âmes pour sauvegarder et valoriser ce patrimoine commun qu’est le
centre-bourg de Bouvron.
Bouvron Patrimoine
Association de valorisation et de sauvegarde du patrimoine.
Photos Patrice Maillard
Titre et photo de NHU Bretagne
2 commentaires
Un article, c’est votre droit, une photo de moi prise sur ma page facebook personnelle, non. Merci de corriger le tir 😉
Bonjour Emmanuel et merci de votre commentaire. Nous avons retiré votre photo et vous prions de bien vouloir nous excuser si cela a pu vous incommoder. Bonne journée. Cordialement