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Non ! le revenu des retraités n’est pas supérieur à celui des travailleurs
Un article paru dans le journal Le Télégramme du samedi 29 mars 2025 intitulé « Faire contribuer les retraités : ce qu’en pensent nos lecteurs » rédigé par Martin Vaugoude suscite bien des commentaires…
Cet article est très intéressant et détaillé et montre que les deux tiers des retraités sont hostiles légitimement à un prélèvement supplémentaire.
Je viens ici simplement commenter une affirmation, à mon avis, mal comprise, disséminée dans l’opinion public pour préparer la mise en place d’un nouveau prélèvement. Cette affirmation joue sur une confusion et institue une pensée fallacieuse dans la tête de nos concitoyens.
Dans cet article, elle se présente dans l’avant dernier paragraphe intitulé « Un revenu supérieur aux travailleurs » et illustré par les propos suivants : « Quant à Daniel, 68 ans, il reconnait que ce n’est pas normal que les retraités aient en moyenne un revenu supérieur aux travailleurs (selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites, le niveau de vie des séniors est équivalent à celui de l’ensemble de la population, en incorporant leur patrimoine). »
J’apporte les arguments sourcés en commentaires :
La mise à la retraite entraine une chute des revenus significatives
Sur la base d’un article paru dans Capital le 26/08/2024 écrit par Caroline Robin, la perte de revenu dans une situation normale d’arrêt d’activité, est de 47.10% pour un cadre du secteur privé, 23.90% pour un non-cadre du secteur privé, 37.10% pour un fonctionnaire catégorie B et 52.20 % pour un fonctionnaire de catégorie A (pour ce dernier, l’explication est la non prise en compte des primes pour le calcul de la pension).
Il est bien évident que la connaissance de ces données attestées fait sursauter lorsque vous lisez que les retraités ont un revenu supérieur aux travailleurs.
En fait, plusieurs articles, dont celui du Télégramme, instille cette idée sur la base de la confusion entre « niveau de vie » et « revenu disponible ».
Une confusion des notions qui trompe l’opinion
Le « revenu disponible » sont des liquidités reçues de différentes sources (salaires, pensions, revenus mobiliers et immobiliers) et l’estimation du « niveau de vie » implique la prise en compte du patrimoine.
D’ailleurs, le rapport de juin 2024 du Conseil d’Orientation des Retraites ne fait pas la confusion. A la page 128, il affirme bien :
« Au total, le revenu disponible des ménages retraités s’élève à 2 659 euros mensuels en moyenne et celui des ménages actifs à 3 774 euros en 2021. Le revenu disponible des ménages retraités représente ainsi 79,3 % du revenu de l’ensemble des ménages (3 353 euros) alors que celui des actifs en représente 112,5 %. »
Une note très claire de la CFDT Retraités du 15/10/2024 précise aussi à ces adhérents ces éléments :
« On pourra objecter, à juste titre, que les retraités sont avantagés car ils sont, à plus de 60 %, propriétaires de leur habitation principale en ayant complétement remboursés leurs prêts. L’Insee calcule un niveau de vie intégrant les « loyers imputés » ou « loyers fictifs », c’est-à-dire les loyers que les propriétaires auraient à payer s’ils étaient locataires du logement qu’ils habitent. Dans ces conditions, le niveau de vie des retraités passe à 105 % contre 107,6 % pour les actifs. Dans tous les cas, le niveau de vie des retraités est inférieur à celui des actifs ».
En fait, cette confusion « revenus/niveau de vie » est largement entretenue par les médias (qui souvent n’analysent pas finement les notions retenues) tel l’exemple flagrant et immédiat ci-dessous d’un article de Cedric Stanghellini du 9/10/2019 sur le site de TF1Info, qui affirme en plus que c’est vrai…

Légitimité de ce calcul de niveau de vie ?
J’ajoute une critique de fond sur ce calcul d’incorporation de loyers fictifs qui me parait être une hérésie sur plusieurs aspects :
- C’est quoi être propriétaire d’une maison ? Il s’agit d’une épargne constituée sur quelques décennies, épargne gelée dans un bien immobilier, épargne qui a été taxée en charges sociales et impôt sur le revenu la plupart du temps. Il semble normal à cause du temps qui passe, que les personnes âgées, économes, aient accumulé une réserve d’épargne, justement pour assurer leurs vieux jours et se trouver en sécurité.
- Vouloir comparer une famille active de 30 ans et un couple de retraités de 80 ans, semble une tentative hasardeuse qui conduit à des arguments trompeurs.
- Si, nous prenons le monde de l’entreprise, où le chiffre d’affaires est l’équivalent du revenu des personnes physiques, pourquoi ne pas rajouter à ce chiffre, le loyer fictif des bâtiments totalement dégagés des emprunts ou bien les réserves de trésorerie accumulées ?
- Pourquoi ne pas rajouter aussi, tant qu’on y est, des quotes-parts de l’épargne liquide engrangée en imaginant un revenu fictif complémentaire correspondant à des prélèvements opérés sur cette réserve ?
La Cigale lorgne le niveau de vie des Fourmis
Les Français ressemblent à des fourmis par rapport à l’Etat-Cigale car ils épargnent près de 15 % de leurs revenus.
Evidemment, une convoitise permanente est activée chez la Cigale lorsque l’on estime cette épargne (hors immobilier) à 6000 milliards d’euros (le double de la dette publique), et un patrimoine total des ménages de 14 000 milliards (qui comprend le patrimoine professionnel) chez les fourmis françaises (source : Etude Banque de France)
Bien sûr, il y a un lien entre le patrimoine et les revenus. Mais c’est une hérésie de vouloir « manipuler » des données pour influencer et anesthésier l’opinion pour favoriser une nouvelle piqure avant un prélèvement sanguin, en faisant appel encore aux bons sentiments et à la générosité, avant de mettre la main sur leur portefeuille pour y verser des deniers durement acquis dans un panier percé.
Oui, les retraités, qui sont vieux, ont normalement un peu plus de moyen épargné que ceux qui sortent des écoles (on enfonce ici des portes ouvertes !). C’est comme dire qu’un homme de trente coure plus vite que celui de 80 ans, ou qu’une femme de 25 ans a plus de chance d’avoir des enfants à son âge que celle de 70 ans…Chaque âge de notre cycle de vie à ses avantages et ses inconvénients.
Oui, les retraités sont vieux, mais est-ce une raison de les désigner comme une cible à ponctionner ?
L’article du Télégramme souligne très justement que les droits acquis aujourd’hui sont issus d’un nombre d’heures travaillées supérieures à ce qu’ils seront dans le futur (60500 heures pour 65800 heures hier). Il est erroné aussi de dire (comme l’annonce quelques témoins dans l’article) que les facilités d’emploi d’hier ont disparu. A ce jour, dans de nombreux secteurs d’activité, les entreprises recherchent des bras qu’elles ne trouvent pas dans la jeunesse, si bien que de nombreux séniors font du « cumul emploi-retraite », souvent sollicités par leur dernier employeur (et au passage, les cotisations payées par ces « cumulards » ne donnent aucun droit supplémentaire !).
Soyons sans tabou aussi : la génération des années 50/60 a été élevée encore dans l’esprit du travail pour réussir et nous prenions tout travail même s’il ne convenait pas tout à fait.
Les générations suivantes demeurent exigeantes sur d’autres critères (le niveau de salaires, les horaires, la qualité de vie, le social etc.) et sont aussi protégées par un système d’assistance qui n’existait pas jadis.
Les limites du consentement aux prélèvements
Rappelons aussi que la Cigale peut braquer les Fourmis avec une arme discrètement mise en place. Ainsi le gouvernement pourrait également faire appel à la loi Sapin 2, adoptée en France en 2016. Celle-ci permettrait à l’Etat de bloquer les avoirs des assurances-vie. En cas d’un besoin important de financement, le gouvernement pourrait donc les geler le temps de régler la crise.
En conclusion, en tant que fourmi, je pense que le comportement du gestionnaire Cigale inquiète et au-delà du sujet des retraites, les fourmis bretonnes se demandent où va leur argent : taux des prélèvements obligatoires au maximum avec une baisse généralisées des services publiques.
N’oublions pas les articles 13 et 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui devrait nous inciter à mettre notre nez dans les affaires de la Cigale.
Mais, malheureusement, nous ne pouvons pas dire à notre Cigale-Etat « vous chantiez ? j’en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant ». La Cigale a assujetti les fourmis efficacement mais cela peut-il demeurer longtemps et sans limite ?
Illustration principale NHU Bretagne générée par Grok