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Bretagne à vendre ?
«Souvent conquise, jamais soumise» dit la formule, en tout cas jusqu’à présent.
Notre pays breton est beau, on le sait. Il dégage une puissance qui a toujours attiré des gens de passage ou d’adoption. Longtemps, la Bretagne fut décriée, ridiculisée. Hormis les fonctionnaires, instruments de l’autorité coloniale, elle n’attirait que les aventuriers et aventurières capables d’aller au delà des clichés, stigmates et moqueries.
Avec l’accélération de la mobilité tout a changé.
L’apparition du tourisme de masse après guerre a doucement enclenché le phénomène. Au fur et à mesure des années, les plus riches des touristes sont devenus des propriétaires locaux, car la bourgeoisie ne peut s’empêcher de vouloir acheter ce qu’elle apprécie et, par là même, de détruire tout ce qu’elle touche.
Très vite les premiers pôles touristiques, en majorité sur la côte sud et nord-est, sont devenus les villes et villages où la proportion de résidences secondaires affiche un pourcentage plus qu’indécent.
Déjà, des résistances s’étaient exprimées, comme avec les revendications politiques sur le droit de vivre au pays. À l’époque du FLB Front de Libération de la Bretagne, il avait bien sûr porté quelques coups dans cette direction. Le phénomène était encore contenu.
Dans les années 2000-2010…
C’est une vague anglo-saxonne qui a déferlé sur les logements du pays, sur les côtes comme dans les terres. Cette fois, ils et elles venaient en majorité pour s’installer, même si cela se faisait pour beaucoup en communauté fermée, sans chercher à se rapprocher des populations locales.
En réponse, A-Stroll , un collectif indépendantiste de gauche, avait mené campagne pour alerter sur la situation. Car la question n’est pas qui vient vivre, ni comment, mais l’effet mécanique de l’expulsion des Bretonnes et Bretons par l’explosion des prix.
Si la vague d’achats immobiliers est trop grande, les prix qui étaient adaptés aux budgets des locaux se mettent à flamber. Se loger devient donc de plus en plus difficile, jusqu’à ce que la vague retombe, mais sans que les prix ne retombent avec elle. En tout cas, jamais au niveau d’avant.
Malgré tout l’histoire se répète.
C’est maintenant au tour d’une vague française de déferler sur le pays. Et les prix explosent, encore une fois. Même les campagnes sont devenues « attractives » et à la mode chez les bourgeois des villes. De plus, la LGV a rapproché Rennes / Roazhon de Paris, ce qui est bien pratique. La N 164 toute neuve ouvre grand les portes du centre Bretagne et bientôt la LGV ira même jusqu’à Quimper / Kemper ! Plus aucun territoire breton n’est maintenant épargné, l’attaque est générale et la réponse doit l’être tout autant.
Pire, phénomène déclenché par le confinement en 2020, les prévisions pour fin 2021 et 2022 sont encore plus de ventes immobilières, plus d’installations permanentes et secondaires dans le pays.
Un grand remplacement.
Si tout se confirme, nous pouvons donc dire sans honte que le phénomène enclenché est un grand remplacement, une colonisation de peuplement français sur la Bretagne.
Le coût de la vie explose, le peuple breton s’appauvrit comme partout ailleurs, et les plus aisés des Français viennent s’installer sans que les locaux ne puissent rivaliser financièrement. Il ne reste donc qu’une question : au bout d’un moment, si on ne peut plus vivre en Bretagne, où irons-nous?
L’exil, comme avant ?
Mais pour aller où ? En France sans doute, là où les prix seront moins élevés qu’en Bretagne, pour y déloger une autre population locale par l’inflation immobilière ? Je doute que cela colle à l’esprit breton.
La résistance ? Voilà qui est peut-être plus dans notre mentalité mais rien n’est moins sûr et seul l’avenir nous le dira.
En attendant, tout le monde serre les dents et tente de se débrouiller comme il le peut.
Les médias ne parlent pas ou peu du phénomène et les politiques en Bretagne brillent une fois encore de leur mutisme. En bas pourtant, ça en parle, beaucoup. Depuis l’été 2021, le sujet arrive en tête des conversations banales après la météo. La dernière fois qu’on avait vu un sujet politique aussi sensible prendre cette place, c’était l’écotaxe. À ce moment, les élites bretonnes n’en parlaient pas, elles faisaient l’autruche, même devant l’imminence de la catastrophe et de l’explosion à venir.
Si nous ne sommes bien qu’au début d’une vague bien plus massive que les précédentes, ce sujet va pourtant devenir le centre de tous les problèmes et de toutes les questions politiques bretonnes.
Mais quand un peuple se trouve à ce point acculé, que peut-il faire d’autre que se réveiller ?
C’est la conclusion de l’essai « Bretagne colonie« , par Alan Le Cloarec, à paraître très prochainement.