Sommaire
Papa, viens voir … c’était un 24 Décembre : conte de Noël ou proche avenir ?
— Oh ! Papa, viens voir !
Cédric leva les yeux de son ordinateur portable et porta le regard vers son fils en tee-shirt, debout près de la porte-fenêtre inondée de soleil. Et au-delà de lui vers le square au centre de la petite place, où tout à l’heure un ouvrier de la ville s’affairait.
— Dis… c’est quoi ?
Elouan était en arrêt, figé, les bras légèrement écartés, le dos rond, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Il ne bougeait plus, interloqué.
Cédric venait de l’apercevoir, lui aussi.
Après tant d’années !
Il se leva d’un bond et approcha doucement, en faisant attention de rester en retrait de la fenêtre.
— Ne bouge surtout pas Elouan. Si tu ne bouges pas il ne te verra pas, et il n’aura pas peur, il ne s’enfuira pas. C’est un oiseau. Un petit animal capable de voler dans les airs.
Tu sais, on en a vus dans des livres. Celui-là, on l’appelait un rouge-gorge. Tu vois la couleur de sa gorge ? elle est toute rouge…
— Ah ouiii ! Mais elle est pas rouge sa gorge, elle est orange !
— Oui tu as raison.
Cédric pensa : on « l’appelait »… oui, autrefois…
Il n’y avait pourtant pas si longtemps…
Oh, c’était arrivé presque d’un seul coup.
Néanmoins il y avait eu des signes avant-coureurs.
Déjà, dans les années 1960, des scientifiques avaient tiré la sonnette d’alarme.
Rachel Carson la première, qui avait écrit le livre Le Printemps Silencieux, anticipant leur disparition.
Puis à partir des années 70, les naturalistes et les écologistes nouvellement apparus avaient informé et lancé des campagnes pour empêcher le désastre qui s’annonçait. Mais rien n’y avait fait. Les espèces vivantes disparaissaient les unes après les autres, à bas bruit.
Presque honteusement.
D’abord quelques insectes (« Bon débarras, qu’est-ce que ça peut salir le pare-brise en s’écrasant dessus quand on conduit ! » disaient
les voisins), puis des plantes, puis encore des insectes. Puis des oiseaux et des mammifères.
Pesticides, pollution de l’eau et de l’air, disparition des haies et coupe des arbres, bétonisation de la campagne, pression humaine partout, et le climat qui s’était emballé ― il faisait tout-de-même 24 degrés une veille de Noël…
Une espèce animale sur cinq va disparaître en Bretagne : tu fais quoi ?
Et en 2033, brutalement… plus aucune espèce d’oiseaux sauvages.
Ni ici ni ailleurs.
Plus aucune. Les journaux et internet, quand ils en parlaient, disaient ― au choix ― que c’était normal, que c’était l’évolution, qu’on n’allait pas revenir dans le passé, que les dinosaures aussi avaient disparu, et que les oiseaux avaient fait leur temps.
Elouan, qui venait d’avoir cinq ans, n’avait jamais vu d’oiseau. Sauf dans quelques histoires et dans des dessins animés. Dans son esprit c’était un peu comme des licornes ou des dragons.
Cédric en avait les larmes aux yeux.
Ainsi c’était donc vrai ce qu’on racontait : la nature revenait !…
Réellement, elle revenait.
Quand le système politique et économique avait commencé à montrer des signes de faiblesse dans les années 2020, après la crise mondiale du Covid, puis à s’effondrer, les anciennes solidarités naturelles qu’on croyait disparues étaient réapparues. Les petites nations oubliées ou rayées de la carte avaient resurgi tranquillement à la périphérie des grands états centraux impuissants (c’était le cas de la Bretagne, redevenue un territoire autonome tourné vers la mer et le monde), et un peu partout les communautés s’étaient organisées à la base, proscrivant définitivement en particulier la chimie agressive qui avait fait tant de mal, et vivant à partir du bio, de la récup et du recyclage, et ceci dans tous les domaines : agriculture, habitat, transports, énergies… Si loin des anciennes querelles politiques périmées.
Et l’incroyable se produisait, là, sous ses yeux …
Maintenant c’étaient non pas une, mais deux pies qui venaient de se poser dans le grand tilleul aux branches nues de la place, à côté duquel poussait un rejeton.
— Oh ! Et ça Papa c’est quoi ??
Il prit la main d’Elouan et la serra doucement.
— C’est aussi des oiseaux, ce sont des pies. Je vais te montrer un vieux livre qui raconte leur vie…
Il était si heureux, tout-à-coup.
La nature était vraiment résiliente, quand on lui foutait enfin la paix.
Il regarda le rouge-gorge, perché sur un outil laissé là. Puis les pies jacassant et sautant d’une branche à l’autre en se poursuivant. Puis Elouan émerveillé, battant des mains en criant « Ouiii », les yeux grands ouverts devant le spectacle.
Il entendit la porte d’entrée s’ouvrir, Kristell rentrait du travail.
Elle vint les rejoindre, il se retourna et lui sourit.
Leur fils grandirait dans un monde où la nature ― les arbres, les oiseaux ―reprenait sa place…
#JeSuisBreizhponsable