ressentir son identité en Bretagne

En Bretagne, ressentir son identité …

de Thierry GUERIN

Il me semble qu’il conviendrait de comprendre pourquoi il peut être difficile pour certains, y compris à priori Bretons, de ressentir leur propre identité et culture. Voire même parfois de comprendre l’implication d’autres pour cette culture.

L’identité est une chose complexe et ce, pour diverses raisons.

Tout d’abord, il nous faut saisir une évolution majeure depuis l’après-guerre, pour la société humaine occidentale.
Celle-ci nous conduit d’une société traditionnelle, collective à une société individualiste car centrée sur les besoins de chacun. La question du confort de soi serait venue se substituer à beaucoup de choses tant et si bien qu’aujourd’hui, il nous est permit de nous installer là où on en a envie, choisir notre identité sexuelle, épouser même la culture qui nous plait, choisir un intérieur d’inspirations diverses, orientales ou autres. Alors comment se référer précisément à l’identité bretonne ?
Le monde entier nous appartiendrait, en tout cas, c’est ce que l’on dit.

Toutes ces certaines choses peuvent être appréhendées comme de l’ordre du progrès, de la liberté.
L’excès de cet individualisme peut aussi poser question vis à vis d’attitudes potentiellement orgueilleuses par lesquelles nous penserions par un réflexe quasi impérialiste que le monde nous appartiendrait donc, que la vie est facile et qu’elle serait sans plus de frustrations.
Par cela, ce qui paraitrait le plus critiquable ce serait l’exigence posée par l’individu que le monde s’assigne à lui et non l’inverse. Nous pourrions retrouver ici une posture de consommateur par laquelle l’individu se construirait à partir de normes mondialisées qu’on lui donne (goûts musicaux, vestimentaires auxquels il doit adhérer dans un souci d’appartenance à un groupe, etc…).

En cela, se reconnaitre Breton peut se confronter à la question de « pourquoi faire ?

A quoi cela sert-il ?
Pour quels intérêts ?
D’autant plus que la confusion est favorisée par un brassage des populations, un poids des normes portées sur l’ici et maintenant et sur une posture illusoire où chacun se construirait davantage par lui-même et non plus dans la continuité de plus anciens, tout en se plaisant à se regarder sur les réseaux sociaux.

Il conviendrait aussi d’ajouter à cette rapide réflexion qu’au delà de ce qui caractérise « l’air du temps » précédemment évoqué, il faut reconnaitre que épouser son identité bretonne implique aussi et immanquablement un effort, un investissement.
L’état français a ainsi fait le nécessaire pour que l’Histoire des Bretons reste inconnue. Pire, le doute fut largement disséminée tant et si bien que chaque période de son histoire pose question. En voici quelques unes..

La Bretagne fut-elle vraiment indépendante puisqu’il y eut parfois hommage-lige aux rois de France ?

Les Rois et Ducs de Bretagne ont majoritairement refusé cet hommage et lorsqu’ils le firent ce n’étaient visiblement que par stratégie politique.
Les lois qui régnaient en Bretagne ne furent-elles pas que bretonnes et aucunement françaises?
Si un hommage rendu suffisait à annuler l’indépendance d’un pays alors pourquoi le Roi d’Angleterre en rendant cet hommage au Roi de France n’en demeurait pas moins un souverain entier?

La Loire-Atlantique fut-elle vraiment bretonne dans la mesure où elle ne fut pas bretonnante ?

Cette question pourrait tout d’abord être amendée car l’affirmation qu’elle sous-entend serait peut-être à préciser.
Que devrions-nous pourtant dire du pays de Retz ou de Guérande / Gwenrann où le breton de ce dernier fut parlé jusqu’en 1970 ?
Pour le reste, la Loire-Atlantique fut celte, avant d’être colonisée par les Romains puis par les Francs malgré la résistance armoricaine et de soldats bretons installés dès le IIIème siècle. Il conviendrait donc de comprendre que la Loire-Atlantique fut en tant que Marches de Bretagne un terrain d’affrontement entre les Bretons et les Francs.
Par conséquent, oui, Nantes / Naoned connut une garnison franque et une colonisation plus forte qu’ailleurs en Bretagne, (mais certainement autant qu’à Rennes / Roazhon, autre place forte des Marches de Bretagne) au sein d’une population armoricaine.

C’est cela qui permet de comprendre pourquoi Nantes / Naoned connut des attaques bretonnes qui tentaient de rejeter la présence mérovingienne y compris en favorisant l’assaut des Vikings en 843.
Le Roi Nominoë y parvint au IXème siècle pour qu’ensuite Nantes / Naoned devienne le siège du pouvoir breton jusqu’au XXe siècle (avec Roazhon). Pour ceux qui se plairaient à considérer encore la Loire-Atlantique comme franque puisque sous cette occupation pendant trois siècles, auraient à expliquer, si seul le critère du nombre de siècles prédominerait tout (ce qui n’est pas le cas), pourquoi ne serait-elle finalement pas devenue bretonne au bout ensuite de onze siècles! !!

A ce titre, la Savoie ne serait donc pas française.

Certains le questionnèrent encore en se référant à l’immigration de Bretons de Basse-Bretagne au XIX ème siècle à Nantes / Naoned qui produisirent des réactions équivalentes à celles face à des étrangers.
Là encore, ne mélangeons pas tout.
Les Nantais nommaient alors ces Bretons, les « bresonecs » et les désignaient parfois avec rejet vis à vis d’une misère sociale effroyable. Nous avions alors là des réactions d’opposition de classes sociales bourgeoises à Naoned, celles dont nous disposons, confrontées à une pauvreté venue de Basse-Bretagne. Pour le reste, la nomination de « bresonecs » ne faisait que faire référence au fait qu’ils étaient bretonnants alors que les Nantais étaient Bretons mais non bretonnants.
Pour conclure sur ce point, souvenons nous des paroles d’Aristide Briand qui interpellaient les gens de Saint Nazaire / Sant Nazer en disant « mes chers Bretons de Loire-Inférieure« .
Aristide Briand est-il fou ou inculte pour dire cela?

Les Bretons n’ont-ils pas fêté l’annexion ?

Certains disent qu’à certains endroits, des feux de joie furent allumés.
Mais que fêtaient-ils ? La paix ? Certainement.
Le fait de devenir Français ? Sans doute que non, puisque le contrat de mariage d’Anna Vreizh avec Louis XII stipulaient que si la Bretagne s’unissait à la France, le droit de demeurer Breton était accordé aux Bretons (lois armoriques).

Certains (qui peuvent avoir des intérêts personnels à cela) dénonceraient donc la démarche hégémonique de Bretons qui chercheraient à imposer leur langue partout ou à réunifier un territoire disloqué.
Mais où se situe vraiment la démarche autoritaire ?
Est-elle aujourd’hui dans le fait de vouloir se rapprocher d’une vérité historique ou est-ce lorsque celle-ci a été rendue interdite à des millions de personnes ?

L’ignorance des masses …

L’ignorance des masses, notre ignorance, fut donc exploitée et l’est encore par l’État français pour que la reconnaissance de chacun en tant que Breton ne puisse jamais se faire.
Par cela, il nous condamna tous à devoir réapprendre notre culture, à faire l’effort de reprendre nos langues, nos coutumes, nos spécificités culturelles. C’est un effort qui nous appartient de réaliser. Mais est-ce si facile du fait de l’individualisme précédemment décrit.
Bien sûr, pour mieux paralyser ce mouvement, d’autres se plairont aussitôt à dénoncer une démarche artificielle.
C’est ainsi que des critiques porteront sur la langue bretonne réunifiée ou sur l’incorporation dans la langue bretonne de mot français ou encore sur l’émergence « trop récente » et donc considérée comme artificielle des bagadoù qui ne seraient pas conséquent que la création des nationalistes.
Mais quand une culture évolue, cela ne veut-il pas seulement dire qu’elle est vivante et que par conséquent qu’elle est grande !!

La Bretagne ne serait pas celtique ?

Et évidemment d’autres encore se plairont à dire que la Bretagne n’est pas celtique sans rien expliquer du fait que les Bretons disposent d’une langue pour autant celtique. Quelle contradiction !
D’autres à l’inverse répondront que la Bretagne est celtique comme toute la France, voire davantage, en mettant de côté que si la France le fut, elle ne le resta pas du fait de l’invasion franque et consorts, d’origine germanique. Alors que la Bretagne en étant celtique avant l’arrivée des romains fut ensuite sujet à une immigration de nouveau celtique car bretonne.
Pour finir, je citerais ce que la France fit de la collaboration bretonne qui ne concerna pas même cent personnes avec les nazis pour la présenter comme l’expression du nationalisme breton en ignorant que la résistance bretonne était bien plus conséquente.

Pour certains l’idée de Bretagne ne serait donc que l’ordre du sentiment et aucunement politique.

Oui, elle est immanquablement sentimentale et c’est très bien ainsi.
C’est à ce titre, une force, une profondeur d’âme qui attendrait des institutions. Elle n’est pas assez politique, elle le fut et elle l’est mais il ne tient qu’à nous qu’elle le devienne davantage… au détriment aussi de ceux plus français ou qui ne voudraient rien comprendre à l’arrachement culturel dont chaque breton fut victime, qui s’y opposeraient.
Alors à quoi bon se dire Bretons ?
Pour défendre une culture spécifique, qu’il nous faudrait retrouver, pour rectifier un vol, un abus identitaire., la perte d’un trésor.

Mais inversons aussi la question : Comment se dire français si cela doit se faire à partir de mensonges ?
J’ai l’impression d’être un Sénégalais à qui on apprenait que ses ancêtres étaient les Gaulois alors que moi, mes ancêtres avaient une autre Histoire.
Si la France ne nous respecte pas, comment l’aimer ?
Ce serait à elle de s’interroger sur ce qu’elle fait des différences des autres.

Nous ne pouvons plus juste nous dire Breton sans pouvoir représenter une différence culturelle.
Nous ne pouvons plus juste nous dire Breton sans pouvoir proposer sur le plan culturel une particularité (linguistique, de pensée, de traditions), sans saisir la profondeur de son apport.
Ne consommons pas notre identité, vivons là.
Unissons nos efforts en ce sens, tous, de Bretagne historique, gallésants, bretonnants, et non bretonnants mais tous, Bretons.

Titre et illustrations de l’article NHU Bretagne

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3 commentaires

Hervé Brétuny 11 mars 2024 - 10h44

le Breton s’est étendu jusqu’aux portes de Chateaubriant et a été parlé jusqu’au XIeme siècle en pays d Retz (au sud de ll’estuaire) , je ne comprend pas pourquoi cette interrogation fausse sur la Loire-atlantique.
après tout la Loire-Atlantique a un bout de basse-bretagne avec le pays guerandais, ce n’est absolument pas le cas en lille et vilaine, alors pourquoi pas cette question sur l’ille et vilaine ? une seule raison : LA PARTITION administrative

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guerin 11 mars 2024 - 13h36

bonjour Si j’en crois votre commentaire peut-être me suis-je mal exprimé. J’ai essayé justement de reprendre les affirmations que font certains, histoire de discréditer la cause de la Bretagne. J’ai donc tout simplement voulu reprendre des faits historiques en disant que même si la Loire-Atlantique a été moins bretonnante que les autres, elle n’en ai pas moins bretonne et qu’elle l’a toujours été puisque colonisée par un nombre limité d’individus francs au sein d’une population armoricaine. C’était surtout cela que je cherchais à mettre à avant. Mais peut-être avez-vous raison, peut-être ai-je relayé sans le vouloir quelque chose du formatage d’esprit, telle que ce que l’on peut recevoir sur la question lorsqu’on a vécu longtemps en Loire-Atlantique. Merci à vous

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cosquer 19 mars 2024 - 21h47

Un point intéressant « ces jours-ci », qui ressort du fondement des démocraties occidentales basées sur un universalisme totalement individualiste et mortifère, c’ est la perte d’identité vécue à leurs tours par les Etats-Nations, dont la France en particulier. Assister à cet effondrement génère un sentiment difficile à exprimer. Mais, si on se place du point de vue des conséquences en Bretagne de la colonisation par la France, on constate qu’ils sont à leurs tours, en train de vivre ce que nos parents et nous-même avons vécu et vivont; C’est le moment de leurs faire remarquer qu’en ayant détruit les cultures de territoires autonomes et même indépendants, ils ont aussi détruit les fondements de leurs fameux droits de l’homme qui ont toujours été bafoués dès qu’ il s’agit du droit des peuples…Eux non plus n’auront bientôt plus de droit. Comment vont-ils s’en sortir, eux qui n’ont que le compte en banque pour s’exprimer, ceux qui en ont un pour le moins? N’est-il pas temps de changer totalement d’avenir et de parler de fédéralisme pour leur faire comprendre que leur survie identitaire dépend des 8 peuples originels que l’on trouve en hexagone. Nous avons en Bretagne la chance encore aujourd’hui d’avoir une culture exprimée et vécue, une culture qui rassemble encore les Bretons…et reconnue à l’étranger. Non seulement elle rassemble mais elle devient l’objet de regards, d’envies et malheureusement d’exploitation par ceux qui font la promotion de la Bretagne. Certains heureusement honnêtes réalisent vraiment ce phénomène en Bretagne qui ne se trouve plus beaucoup ailleurs si ce n’est dans les lieux à forte identité…
Oui je crois qu’il y a une carte à jouer pour l’avenir de la Bretagne qui montre encore une voie à suivre, à contre courant de l’uniformisation et de l’auto destruction qui règne dans les sociétés occidentales. Une condition cependant, ré-apprendre de nos cultures et replacer nos territoires dans une émancipation vraie.

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