Europe fédérale par Mathieu Guihard

Diwall* : il y a Europe fédérale et Europe fédérale !

de Mathieu GUIHARD
Publié le Dernière mise à jour le

L’Europe fédérale des nations, notre destin; est une réflexion consacrée à la construction de l’Europe Fédérale.
Deuxième volet sur trois : Diwall* : il y a Europe fédérale et Europe fédérale !

Il faut se poser la question : qu’entend-t-on par Europe fédérale. L’ignorance du public hexagonal est grande tant l’expression est quasiment bannie du monde médiatico-politique parisien. Le fédéralisme est un gros mot en France depuis la Terreur (1)
Pourtant des fédéralistes européens français existent bel et bien : on les trouve chez les macronistes, les Verts et au PS. Les souverainistes français (LFI, RN, Reconquête, PCF, LR, etc) les fustigent. Voici la seule ligne de fracture qu’on nous sert depuis quarante ans.

Pendant la campagne des élections européennes de 2024, Bernard Guetta, député européen sortant Renew (macroniste), a sorti un livre au titre évocateur et provocateur : La nation européenne. Bernard Guetta se dit fédéraliste européen, et s’oppose aux souverainistes français autant qu’aux impérialismes russe et américain. Au fil du récit dispensable et assez narcissique de ses pérégrinations européennes pour aller convaincre des Lituaniens, des Suédois, des Polonais ou des Roumains souvent dubitatifs, se dessine l’idée d’une Europe fédérale. Vraiment fédérale ?

Bernard Guetta pose un diagnostic juste sur les dysfonctionnements actuels d’une Union Européenne sclérosée. En soixante ans, on a construit l’Union Européenne, pas à pas. Mais on est resté au milieu du gué. Nos institutions sont hybrides et incompréhensibles. Nous n’avons pas eu le courage d’aller au bout de la construction européenne et nous avons un « machin » technocratique lent comme un mammouth, et guidé en réalité par les États-membres qui en sont les vrais cornacs.
Toutes les grandes décisions sont prises par les gouvernements des États-membres, c’est un fait jamais dit en France.
Même les beaux principes européens ne résistent pas à la férule des États-nations. Il n’y a qu’à voir l’absence totale de réaction de l’Union Européenne quand Madrid a gravement violé les droits humains et les libertés fondamentales des textes européens lors du référendum d’auto-détermination empêché par Madrid en Catalogne en 2017.
Les Etats-membres ont validé, et les institutions européennes n’ont pipé mot.
Révélateur. Mais Bernard Guetta n’en parle pas dans son livre, préférant évoquer les peuples en lutte lointains, ou les conservateurs polonais… Un vrai Raphaël Glucksmann (2).

Il y a nation et État-nation.

Alors oui Bernard Guetta fustige le poids écrasant des États-membres, veut que le Parlement Européen ait plus de pouvoir et déplore le pouvoir du Conseil sur celui-ci. Et donc il veut ériger la « nation européenne ».
Sauf que l’Europe n’est pas une nation, et les Européens ne sont pas un peuple, c’est là son erreur. Une erreur française.

Un État n’est viable et sain que s’il est le fruit d’une nation. Guetta veut en réalité ériger l’État-nation Europe. Il reproduit le processus historique mortifère de la France, État prédateur antérieur à une nation française qui cherche encore, mille ans plus tard, pathologiquement, son identité nationale. L’Europe des Français pro-européens ressemble bigrement… à une France qui chercherait un nouvel empire, coloniserait son propre continent. Une Europe jacobine qui engendrerait révolutions à l’intérieur et guerres à l’extérieur, qui serait vouée à l’autodestruction pour le malheur de ses habitants. On connait tout cela.

Fédéralisme européen ou jacobinisme français ?

Bernard Guetta est donc un jacobin français comme les autres.
Du reste, il ne ménage pas ses efforts pour « vendre » la France à ses interlocuteurs européens. Avec le désengagement américain de Trump en Europe de 2017 à 2021, il triomphe et présente la France comme le « défenseur de l’Europe » (page 22). Sauf que quand l’Europe est agressée en 2022, quand il s’agit de passer aux actes, c’est la France qui envoie le moins de matériel militaire aux Ukrainiens et qui discute le plus longtemps avec Vladimir Poutine, quelque soit la longueur de la table…

Quelle Europe se profile donc là ? Une Europe soumise au rêve de domination de l’État-nation France, trop content de retrouver son lustre d’antan en substituant la domination américaine soft par son impérialisme français tout droit sorti du XIXe siècle.
Disons-le tout de suite, les pays d’Europe centrale ont bien compris le jeu des Français contre l’Europe des peuples qui aboutira, comme à chaque fois dans l’Histoire, par un arrangement de la France impérialiste avec les impérialistes. Mais on ne la leur fera pas (3).

Une obsession française.

Bernard Guetta se démène pourtant comme un coq sûr de son indispensabilité. Il déplore que ses partenaires européens ne partagent pas son amour pour la planification à la française (p.61). Il se voit comme une élite avant-gardiste montrant le chemin à suivre aux peuples d’Europe (p. 84). Révélateur est pourtant l’opposition qu’il fait entre fédéralisme et nationalisme (p.111), alors que les deux sont tout à fait compatibles dans le cadre européen.
D’ailleurs, il range les nations comme les régions au rang de vieilleries inutiles (p. 102). Il tient mordicus à faire rentrer l’Ukraine dans l’UE, les agriculteurs bretons et français étant sûrement des vieilleries également inutiles, qu’on peut sacrifier « au nom de la démocratie et de la liberté ».

Bref, Guetta est en fait un banal étatiste français qui veut appliquer l’impérialisme français à l’échelle européenne, bâtir une Europe bleu-blanc-rouge, l’Europe à la sauce jacobine. Sa « nation européenne » est en réalité l’État-nation Europe, et en cela il est comme tous les « fédéralistes » européens français. Dominique Strauss-Kahn n’appelait-il pas de ses vœux, dans les années 2000, à l’érection d’une Europe « du Sahara au Pôle Nord » ? Les rêves de grandeurs, toujours…
Une manie bien mortifère née de la Révolution française et qui finit irrémédiablement en catastrophe totalitaire. Non merci !

En fin de compte, rien ne différencie les « fédéralistes » européens français des souverainistes français. Voici comment le nostalgique Eric Zemmour parlait sur les ondes de RTL le 10 septembre 2018 : « Le génie français, c’est de refaire l’empire romain. C’est-à-dire d’unir toutes les populations européennes, jadis unifiées sous l’Empire romain, et de les prendre sous son aile. La France est le nouvel empire romain ! »
Quelle différence, au final ? Ce sont les deux faces d’une même pièce, celle de l’impérialisme français travesti en humanisme. Yann Fouéré, dans son classique « L’Europe aux cent drapeaux », les avait déjà cernés dès 1968, fustigeant tour à tour « l’Europe des Etats-nations que préconise le général De Gaulle, (et) l’Europe unique des citoyens dont rêvent les extrémistes de la « nation-Europe » ». (p.38)

L’Europe authentiquement fédérale !

Dans cet ouvrage essentiel, Yann Fouéré associe l’État-nation Europe à l’hyperfiscalité, le contrôle de l’information, le contrôle des masses… mis en place par des hommes d’affaires et des hauts-fonctionnaires (p.64). Cela ne vous rappelle rien ?
Il faut lire Yann Fouéré, il est d’une lucidité et d’une modernité implacables. Il prédit que si les États-nations d’Europe perdurent, ils aboutiront à la dictature européenne et à la troisième guerre mondiale, après avoir mené aux deux premières.

Prémonitoire ? Mais alors, sommes-nous condamnés à bannir tout utopie, tout rêve d’un avenir européen prospère et harmonieux ?
Le grand politique breton Aristide Briand, prix Nobel de la paix 1926, voulait construire les États-Unis d’Europe, des militants bretons des années 1930 comme Morvan Marchal défendaient l’idée du fédéralisme européen. Des utopistes, assurément. Car l’heure était aux empires et à leur universalisme facteur de guerres toujours plus destructrices. Aujourd’hui, dans un monde où la condition humaine est au cœur de la globalisation et de la technologie, l’idée d’une Europe fédérale véritable n’a jamais été aussi pertinente et nécessaire.
C’est celle de l’Europe aux 100 nations, celle des peuples de la grande famille européenne.

(1) La “Terreur” est une période de la Révolution Française qui débute en 1793 et qui a façonné la vie politique française depuis lors..

(2) Raphaël Glucksmann est un député européen parisien connu pour dénoncer régulièrement les violations des droits humains à travers le monde.

(3) Bernard Guetta est « blessé par ce telles accusations » (p.42). Il découvre pourtant l’image peu flatteuse de la France auprès de ses partenaires européens : « C’était la France qui était la plus dangereuse à leurs yeux. » se lamente-t-il p.47. Il y revient plusieurs fois et ne comprend pas le « faux procès » que ses partenaires font à la France soupçonnées de « double jeu » avec Poutine (pp.117 et 131).

* Diwall mot breton signifiant « attention » en langue française

Retrouvez la première partie de cette réflexion en trois volets

Retrouvez la troisième et dernière partie

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