morvan marchal

Morvan Marchal et le Gwenn ha Du

de Mona BRAZ

Un double centenaire, fêté en 2023, nous invite à honorer la mémoire de ceux qui furent à l’initiative de ces deux créations qui enracinaient la Bretagne à la fois dans l’humus fertile de son passé et de ses traditions, et dans la modernité.

Il s’agit en l’occurrence de Morvan Marchal pour le Gwenn ha Du et de Louis Le Bourhis pour le Festival de Counouaille.

le centenaire du Gwenn ha Du

Morvan Marchal avait indiqué après son utilisation à des fins autres que celles qu’il avait imaginé : « Ce drapeau n’a jamais voulu être un drapeau politique, mais un emblème moderne de la Bretagne, synthèse de la tradition du drapeau d’hermines et d’une figuration de la diversité bretonne. »
Il avait détaillé sa symbolique : les neuf bandes représentent les neuf pays bretons (quatre blanches pour les pays de langue bretonne, cinq noires pour les pays de langue gallèse).

Et pourtant, dès ses débuts, le Gwenn ha Du n’était utilisé qu’à des fins politiques.
Il a été démocratisé par le mouvement folk des années 60-70. Mais le sortir, le brandir ou l’afficher était toujours un acte militant à l’époque, pas bien vu des autorités nationales. Les sexagénaires et plus se souviendront que les autocollants BZH ou du drapeau breton collés sur la voiture nous valaient d’être fichés par les services de police.

« Les mouchetures d’hermine, héritées du XIIIe siècle, représentent la Bretagne ducale, souveraine. Le Gwenn ha Du résume le territoire historiquement et géographiquement, dans les couleurs historiques de la Bretagne. » Nous rappelle le vexillologue Mikael Bodlore-Penlaez, spécialiste en études autour des drapeaux, président de l’association Bannieloù Breizh, à l’initiative du défilé de 100 drapeaux pour fêter les 100 ans du Gwen ha Du (plusieurs versions du Gwenn ha Du, les drapeaux des pays historiques de Bretagne, de villes bretonnes et les drapeaux interceltiques).
Ce rassemblement de drapeaux a été exceptionnel, c’était le premier à être organisé depuis la fête des drapeaux organisée à Kemper en 1924, il y a 99 ans !
Mikael Bodlore-Penlaez, emportera ces 100 drapeaux au Festival Interceltique de Lorient début août 2023.

Morvan Marchal

Les 100 drapeaux de l’Association bretonne Bannelioù Breizh (« drapeaux de Bretagne » en langue française)

Qui est Morvan Marchal ?

Morvan Marchal est cofondateur du Groupe Régionaliste Breton en 1918.

Il se rallie aux idées fédéralistes au début des années 1920.
Il s’oppose régulièrement à la montée du courant nationaliste d’Olier Mordrel au sein du GRB Groupe Régionaliste Breton. Après l’échec de la transformation du GRB en Parti Autonomiste Breton, en 1931 il fonde avec le Guingampais Goulven Mazéas la Ligue Fédéraliste de Bretagne. Ses activités pendant la Seconde Guerre mondiale le font condamner à une peine d’indignité nationale à la Libération. Mais, selon certains travaux récents, celles-ci auraient été destinées à fournir une couverture à des activités de résistance.

Il signe en 1938 Le Manifeste des Bretons fédéralistes avec Rafig Tullou et Goulven Mazéas contre la guerre à venir. Ce manifeste affirme : « […] l’impérieux devoir de regrouper ceux de nos compatriotes qui ne veulent pas confondre Bretagne et Église, Bretagne et réaction, Bretagne et parti-pris puéril anti-français, Bretagne et capital, et encore moins Bretagne et racisme. »

Morvan Marchal et les Seiz Breur

Morvan Marchal est l’un des cinq architectes à faire partie du groupe, d’artistes bretons Seiz Breur.
Il conçoit le Gwenn ha Du de 1923 à 1925, avec la possible aide de Ronan Klec’h. Prenant une approche moderniste, il cherche à rompre avec la bannière d’hermines parfois utilisée depuis le Moyen Âge, jugée trop proche du drapeau monarchiste français, dont les fleurs de lys sur fond blanc sont souvent confondues avec les hermines sur fond blanc de la bannière bretonne.

Le Gwenn ha Du est présenté publiquement pour la première fois lors de l’exposition des arts décoratifs de Paris en 1925.
Ce drapeau Gwenn ha Du est adopté la même année par Marcel Cachin et son Association des Bretons émancipés, proche du PCF Parti Communiste Français.

festivals awards

Ça Breizh partout !

Le Gwenn ha Du de Morvan Marchal partout en Bretagne et bien au-delà !

Le Gwenn ha Du est cependant largement associé aux mouvements autonomistes et nationalistes bretons dans les années 1920 et 1930, et est utilisé autant par des résistants comme par des collaborateurs lors de la Seconde Guerre mondiale. Il est ainsi régulièrement interdit avant, pendant, et après le conflit par les autorités françaises qui le considère séditieux.
Après-guerre, il redevient populaire grâce aux associations culturelles, puis trouve une dimension politique lors de mouvements sociaux dans l’après mai-68 en Bretagne.

Morvan Marchal est initié à la Franc-maçonnerie entre 1921 et 1924.
Lorsqu’il déménage à Laval, il intègre dans ce cadre la loge Volney. Il est par ailleurs membre de la Gorsedd de Bretagne et produit plusieurs travaux en lien avec le druidisme, notamment dans le cadre de la revue néodruidique KAD à partir de 1936. Cette dernière entend remettre en question le christianisme, et prône un retour à la foi des anciens celtes. Il est aussi le directeur de publication de la revue néodruidique Nemeton, en relation avec Rafig Tullou.
En dehors de son chef d’œuvre, le Gwenn ha Du, Marchal laisse des contributions à des revues, dont Le Symbolisme de Marius Lepage. Il adhère aussi au MOB, Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne en janvier 1961. Il décèdera le 13 août 1963, cela fera soixante ans cette année…

Le Gwenn ha Du et le Bro Gozh Ma Zadoù

L’année 2009 a été un autre grand moment de l’histoire du Bro Gozh Ma Zadoù et du Gwenn ha Du, rendant de fait un hommage posthume et populaire à Morvan Marchal et à Taldir Jaffrenou.
En effet, un parfum de victoire flottait lorsque le ministère de l’Intérieur validait le 14 février 2009 la présence du drapeau breton sur les plaques d’immatriculation des véhicules achetés en Bretagne, après débat et vote décisionnel du Conseil régional de Bretagne alors présidé par Jean-Yves Le Drian qui partageait la proposition portée par les élus UDB Union Démocratique Bretonne d’alors (Kristian Guyonvarc’h, Naïg Le Gars et Mona Bras).

Gwenn ha Du

En Bretagne, le drapeau breton Gwenn he Du est partout, même sur les nos plaques d’immatriculation. Ici sur un véhicule d’un média en Loire Atlantique

Un autre bouquet parfumé de joie nous venait lorsque nous découvrions que la Coupe de France 2009 serait journée entre deux équipes bretonnes : Rennes / Roazhon et Guingamp / Gwengamp.
Là aussi, l’action des élus régionalistes UDB Union Démocratique Bretonne se montrait efficace et se traduisait par l’implication du Conseil régional de Bretagne qui faisait imprimer vingt mille drapeaux bretons distribués à raison d’un Gwenn ha Du toutes les deux places au stade de France.

Concernant le Bro Gozh Ma Zadoù, sur son blog languebretonne.org, Fañch Broudig rappelle les circonstances auxquelles l’on doit de l’avoir entendu résonner au stade de France le 3 mai 2009.

Le Gwenn ha Du et le sport breton

Extrait du Télégramme de ce 8 mai qui reprend en manière de clin d’œil deux mots de… « La Marseillaise » pour annoncer « Jour de gloire pour le Bro Gozh Ma Zadoù « . Selon Yvon Le Corre, « les occasions de l’entendre ne sont pas légion… Il est inconnu de beaucoup de Bretons. »
Et ce sera, ajoute-t-il « une découverte pour la plupart des jeunes Bretons« .
Mona Bras, la conseillère régionale UDB à l’origine de la demande, commente la décision de la FFF Fédération Française de Football : « c’est quand même positif, c’est un premier pas vers une reconnaissance plus officielle. Le monde sportif est moins timoré que le monde politique » dit-elle.

J’avais en effet pris l’initiative d’écrire aux deux présidents des clubs de football concernés, Rennes / Roazhon et Guingamp / Gwengamp, qui m’avaient répondu qu’ils acceptaient le principe que soit chanté le Bro Gozh Ma Zadoù, mais en dehors des temps officiels.
De son côté Jean-Yves Le Drian, au nom du Conseil régional de Bretagne, exprimait la même demande au président de la Fédération Française de Football.
Victoire tout de même que celle d’utiliser la passion populaire pour le football à des fins culturelles et politiques concernant l’identité bretonne portée par le Bro Gozh Ma Zadoù d’un côté et de l’autre par le Gwenn ha Du !

équipe de Bretagne

Le foot, un sport en Bretagne

Conclusion

À la fin du VIIIè siècle après JC, les Celtes qui avaient dominé la majeure partie de l’Europe, depuis plus d’un millénaire avant JC, n’existent plus en tant qu’entités indépendantes que dans l’extrême ouest de l’Europe, en Bretagne armoricaine, en Cornouailles, au pays de Galles, en Irlande, en Écosse et dans l’île de Man.
Éclaté en apparence, cet archipel celtique cultive pourtant des valeurs communes, comme l’illustrent le mythe toujours vivant du roi Arthur, le développement d’une forme de christianisme original (le christianisme celtique qui vivra plus de sept siècles jusqu’au XIIè siècle), et aujourd’hui encore, la persistance du bardisme et du druidisme et la grande vitalité des musiques et des festivals. La Bretagne armorique détient le joyeux privilège d’être la première région d’Europe en termes de nombre de festivals et de tailles de ceux-ci, attirant des publics du monde entier. Le drapeau moderne de la Bretagne, le Gwenn ha Du, est répandu fièrement dans toutes les parties du monde et sert de signe de reconnaissance entre les Bretons et Bretonnes du monde…

Ainsi vont depuis cent ans, le Festival de Cornouaille et le Gwenn ha Du !
Louis Le Bourhis et Morvan Marchal que tout séparait politiquement dans la vision de la Bretagne, entre régionalisme et nationalisme, sont réconciliés aujourd’hui dans l’appropriation populaire de leurs créations par les Bretons et les Bretonnes.

Sources

  • Lannig Stervinou : 1923, l’an 1 du Festival de Cornouaille, avec vidéo d’archives, de 14 mn https://www.letelegramme.fr/culture-loisirs/festivals/cornouaille/1923-lan-1-du-festival-de-cornouaille-6396216.php?fbclid=IwAR0dixlt_OtvRyH0A4n5NmO6VpxH4DWvAz0j7RNk5DHhpvx1HA5rN8x7db0
  • Quimper.bzh : Aux origines du festival de Cornouaille
  • Erwan Chartier : La construction de l’interceltisme en Bretagne, des origines à nos jours : mise en perspective historique et idéologique, 2010
  • Erick Falc’her-Poyroux : L’Interceltisme musical, genèse d’une naissance
  • Christian Bougeard : Les forces politiques en Bretagne : Notables, élus et militants (1914-1946)
  • Lionel Henry : Dictionnaire biographique du mouvement breton
  • Georges Cadiou : EMSAV : Dictionnaire critique, historique et biographique – Le mouvement breton de A à Z du XIXe siècle à nos jours
  • Michel Raoult : Druides et sociétés initiatiques contemporaines, 1992
  • Philippe Le Stum : Le néo-druidisme en Bretagne, origine, naissance et développement, 1998
  • Fañch Broudig : langue bretonne.org – 2009
  • Charles-Henri Morard : Panceltisme et paix universelle, 1891
  • Charles Le Goffic : Le mouvement panceltique, article de 34 pages publié dans la Revue des Deux Mondes en mai 1900. Edité sous forme de livret en mai 2017 par Le savoir en poche (CreateSpace Independent Publishing Platform). Accessible gratuitement en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Mouvement_panceltique

BNF-Gallica, Wikipédia, Ouest-France, le Télégramme, Fédération française de football, archives Conseil régional de Bretagne,

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